3. Le pardon et la repentance

Revenons à la question du pardon dans le cas où :

  • l’offenseur refuse de reconnaître l’offense, la minimise, la nie
  • ou bien se situe lui-même en victime
  • ou encore reconnaît les faits mais nie les conséquences
  • ou n’exprime que de vagues regrets.

Pour l’offensé, cette attitude continue à lui créer une profonde douleur. Puisque l’offenseur reste insensible, oublie qu’il a mal agi, évite celui qu’il a blessé ou justifie son acte, l’offensé a tendance à s’impatienter, se révolter, se scandaliser. La rancune et la haine s’accumulent et il souffre de cette situation. Doit-il, pour se libérer de ces effets négatifs, de cette impasse, pardonner à l’offenseur si celui-ci ne montre aucun regret ? Non ! Ce serait une grande erreur de croire qu’il est bénéfique d’accorder son pardon à quelqu’un qui ne se repent pas.

A. Pas de pardon sans repentance

La Bible est très claire : l’offensé n’a pas à pardonner s’il n’y a pas repentance de l’offenseur. Comment alors l’offensé peut-il se libérer de sa blessure sans le pardon de l’offense ? Il va emprunter un autre chemin, qui consiste à exprimer sa colère et sa tristesse de manière appropriée. C’est le rôle du conseiller de l’aider à exprimer cette colère et à mettre en place un type de relation qui assure sa sécurité affective, psychologique et spirituelle. Et même s’il le faut, cesser toute relation avec l’offenseur, particulièrement dans les cas d’inceste, de viol, de violence conjugale ou d’abus sexuels, spirituels ou psychologiques.

Au sujet de la question des abus, nous recommandons la lecture  du chapitre 22 de notre Manuel de relation d’aide (Empreinte Temps Présent).

La colère ainsi dite, souvent grâce à un geste, une démarche symboliques, va libérer de la honte, de la haine, de la culpabilité et de la colère contre soi. L’offensé devra ensuite lâcher son besoin de justice et sa souffrance entre les mains de Dieu, le juste juge qui ne tient pas le coupable pour innocent. L’image pour illustrer cette attitude est la suivante. La personne offensée a un dossier entre les mains et celui qui le lui a donné ne veut pas en reconnaître la paternité. L’offensé ne veut pas le garder car cela l’empoisonne, donc il donne le dossier à Dieu. Ce comportement, appelé « lâcher prise » n’est pas le pardon. Il rend libre l’offensé mais pas l’offenseur. Celui-ci devra rendre des comptes à Dieu, à qui le dossier a été transmis.

B. De la colère au militantisme

L’énergie que libère le souvenir de l’offense devra maintenant trouver une expression nouvelle dans un militantisme concret. C’est l’exemple de Martin Luther King. Pasteur noir dans un état du Sud chrétien des Etats-Unis qui pratiquait ouvertement la discrimination raciale, il a connu et souffert de nombreuses injustices à cause de sa couleur de peau. Il a su transformer sa juste colère en militantisme pour la défense des droits civiques et pour la paix. Il n’a pas accordé de pardon bâclé à des personnes ne se repentant pas mais, tout en s’en remettant au Dieu de toute justice, est devenu militant pour la justice. Citons un verset parmi tous ceux qui évoquent clairement la nécessité d’un repentir du coupable pour que l’offensé puisse accorder le pardon : « Si ton frère s’est rendu coupable d’une faute, reprends-le et s’il la reconnaît, pardonne-lui » (Luc 17.3). Ce texte commande de pardonner à celui qui se repent. Dans la Bible il n’est jamais question d’accorder le pardon inconditionnellement et sans repentance de la part de l’offenseur. De plus, nulle part Dieu ne demande à la victime de se repentir parce qu’elle n’a pas pu accorder le pardon à quelqu’un qui ne le demande pas. De même il n’est jamais question de demander pardon à la place d’une autre personne.

Toute la terminologie biblique pour évoquer le pardon va dans le même sens. En effet dans la Bible, le pardon est traité comme une notion juridique, il s’exprime en terme d’offenseur et de dettes : les termes tels que « ôter l’offense, remettre une dette, faire grâce, renvoyer libre,… » sont employés dans les textes bibliques pour parler de pardon. Cela signifie qu’il y a d’abord reconnaissance de la dette avant octroi du pardon.

C. AUGUSTIN et STOTT à l’appui

Bien des auteurs chrétiens appuyèrent cette idée. Saint Augustin dans ses Sermons disait déjà qu’il n’incitait pas l’offensé à se rendre vers l’offenseur et lui pardonner si ce dernier refusait de se repentir… « sois seulement prêt à le faire s’il le demande », ajouta-t-il.

Plus près de nous, le théologien évangélique John Stott nous appelle à pardonner autrui de la même façon que Dieu nous a pardonnés. Or, souligne-t-il, c’est seulement lorsque nous nous repentons que Dieu pardonne. Voilà ce qu’il déclare à ce sujet :

« Si Bonhoeffer nous a mis en garde contre l’idée de grâce à bon marché, il faut aussi dénoncer la paix à bon marché. Affirmer l’idée que la paix est rétablie lorsque ce n’est pas le cas, c’est faire œuvre de faux prophète. (…) Il y a des situations dans lesquelles il faut refuser le pardon à une personne jusqu’à ce qu’elle se repente. La vrai paix et le vrai pardon sont des trésors qui coûtent. Et c’est seulement lorsque nous nous repentons que Dieu pardonne. Jésus nous a dit de faire de même : si ton frère vient à t’offenser, reprends-le et s’il se repent, pardonne-lui. Comment pouvons-nous pardonner une offense si celui qui l’a commise n’en vient ni à la reconnaître ni à la regretter ? » (John STOTT, Le Sermon sur la montagne, PBU, p. 43).

Vis-à-vis de Dieu, poursuit le théologien systématicien Paul Wells, nous recevons le pardon quand nous reconnaissons notre péché, quand il est confessé ouvertement devant lui et devant ceux que nous avons offensés. Au sujet de ceux qui voudraient accorder le pardon sans repentance, Wells ajoute : « Sommes-nous plus saints que Dieu ? Notre repentance est nécessaire à son pardon ; celle de notre offenseur ne l’est pas moins pour le nôtre. » (Paul WELLS, Certitudes N° 195, Mai 2000, p. 26).

C’est aussi l’avis de Jacques Buchold, professeur à la faculté de théologie de Vaux-sur-Seine qui confirme cette position dans ses écrits (Le pardon et l’oubli, Sator, 1989).

D. Examen des textes bibliques

Quelques textes bibliques sont souvent cités comme argumentation pour que l’offensé accorde des pseudo pardons inconditionnels. Mal interprétés, ces versets induisent et gardent les gens en erreur :

1. « AIMEZ VOS ENNEMIS ET PRIEZ POUR CEUX QUI VOUS PERSECUTENT » (MATTHIEU 5.44)

Certes, mais ce passage ne dit en aucun cas de pardonner sans repentance. En vérité, l’acte de ne pas pardonner s’il n’y a pas repentance est plutôt une marque d’amour pour le pécheur. Comme le dit le prophète Esaïe, « fait-on grâce au méchant, il n’apprendra jamais à être juste. Sur la terre du bien, il commettra le mal et il ne verra pas la majesté de l’Eternel » (Esaïe 26.10). Le pardon sans repentance ressemble à un excès de grâce ; en réalité c’est un manque de vraie compassion : pour son bien, celui qui a fait le mal doit se repentir. De plus, pardonner sans repentance, c’est cautionner le mal. Cela donne l’impression au coupable qu’il peut blesser les autres sans jamais s’acquitter de ses dettes.

2. LA PRIERE DE JESUS SUR LA CROIX : « PERE, PARDONNE-LEUR, CAR ILS NE SAVENT PAS CE QU’ILS FONT » (LUC 23.34)

Le temps du verbe ici est un aoriste impératif, temps qui décrit une action ponctuelle. L’aoriste impératif sert à exprimer un ordre particulier en opposition à un ordre général. C’est par exemple le même temps employé aux noces de Cana lorsque Jésus ordonne aux serviteurs : « Remplissez d’eau ces jarres », avant de les changer en vin (Jean 2.7). Ce n’est donc pas un verset instituant une obligation de pardonner à tout le monde en toutes circonstances, mais il s’agit de la demande unique de Jésus à son père dans les cieux de pardonner le péché des hommes, en cet instant où il meurt sur la croix. Ce n’est en aucun cas une généralisation. Il en est de même avec Etienne en Actes 7.60 qui, au moment de sa lapidation, demande à Dieu : « Seigneur, ne leur impute pas ce péché ». C’est ici aussi un aoriste, une action ponctuelle.

3. JESUS, EN MATHIEU 18.17

Il déclare que si l’offenseur refuse d’écouter l’offensé, refuse d’écouter les deux ou trois anciens et aussi d’écouter l’église, alors « mets-le sur le même plan que les païens et les collecteurs d’impôts ». Ce texte montre que même Jésus conçoit une situation où le pardon est impossible parce qu’il n’y a pas repentance.

4. L’APOTRE PIERRE DECRIT JESUS

L’Apôtre Pierre décrit Jésus qui, devant ses juges, «  injurié, ne rendait point d’injures ». Or la suite du verset est beaucoup moins citée : « mais il remettait sa cause entre les mains du juste juge » (1 Pierre 2.23). Il s’agit bien de la démarche que nous exposons dans ce chapitre.

5. PAUL PARLE D’ALEXANDRE L’ORFEVRE

De même Paul parle d’Alexandre l’Orfèvre qui a fait preuve de beaucoup de méchanceté à son égard : « Le Seigneur lui rendra selon ses œuvres. Garde-toi aussi de lui » (2 Timothée 4.14-15). C’est ici encore la notion de lâcher prise entre les mains de Dieu.

Ces textes montrent que les hommes de la Bible, et Jésus lui-même, n’accordent pas de pardon à bon marché, sans repentance mais suivent le cheminement dont nous avons parlé : exprimer sa colère et s’en remettre à Dieu.