2. L’Ecriture interprète l’Ecriture
Ce principe utilisé depuis des millénaires souligne à quel point il est nécessaire de consulter des passages parallèles pour expliquer un texte afin de compléter ou d’approfondir la compréhension que l’on en a.
A. Comparer entre des textes parallèles du même auteur
Un même auteur va souvent développer les mêmes idées, en utilisant le même type de langage. Il est donc utile, lorsqu’on veut comprendre un texte, d’étudier ce que ce même auteur a dit par ailleurs sur le même sujet. Il est en effet souvent difficile d’être exhaustif dans un seul paragraphe, il faut donc mettre en parallèle plusieurs textes pour connaître la pensée de l’auteur sur un thème. Non seulement cette comparaison permet d’éviter les contresens mais elle permet aussi d’enrichir l’intelligence du texte.
C’est particulièrement valable pour les enseignements de Jésus qui s’adressent souvent à un public précis (pharisiens, groupe de disciples) pour répondre à une situation et il est parfois nécessaire de relire l’ensemble de ses paroles pour se faire une idée fidèle de ce qu’il veut dire. Ainsi d’un côté Jésus demande à ses disciples de «présenter l’autre joue si quelqu’un te frappe sur une joue» mais peu de temps avant, lui-même refuse de se faire lapider et contestera avoir été frappé sur la joue devant Caïphe. La comparaison entre des textes du même auteur permet de faire la différence entre ce qui a une portée universelle et ce qui est plus circonstancié. De même Jésus déclare: «Que celui qui n’a point d’épée vende son vêtement et achète une épée», mais en une autre occasion il déclare à Pierre qui veut faire usage de son arme: «Remets ton épée à sa place; car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée.» (Mathieu 26,52. Ces éléments paradoxaux pourraient se résoudre par la dialectique et par l’approche principielle, voir plus loin).
B. Comparer avec des textes parallèles d’un autre auteur
Cette comparaison peut se faire à plusieurs niveaux, par exemple par une étude du mot comme nous l’avons vu au chapitre 5. Il s’agit, pour comprendre un texte, d’en identifier les mots clés et de regarder dans quels autres textes ils réapparaissent. Ainsi, si on étudie la rencontre entre Dieu et Moïse au buisson ardent, on constate que Dieu lui dit la même chose qu’il dira à Elie: «Tiens-toi debout sur le rocher». Ces deux hommes sont en fait souvent associés dans toute la révélation biblique: c’est à eux deux que Dieu va se révéler de manière extraordinaire, eux deux ne connaîtront pas la mort et on les retrouve tous deux à la transfiguration.
Mais la comparaison entre le texte étudié et ceux d’autres auteurs se fait surtout au niveau des idées, en mettant en parallèle des textes avec la même thématique ou des faits semblables. C’est le cas pour cette devise de l’Ecclésiaste: «Il n’y a de bon pour l’homme que de manger et de boire!» Face à cette sentence étonnante, il s’impose de la comparer avec d’autres textes du reste de la Bible. D’autres versets viendront éclairer cela, tel que: «Tout est permis mais tout n’est pas utile», ou bien: «L’homme ne vivra pas de pain seulement» ou encore: «Eux qui ont pour dieu leur ventre». On voit bien qu’il est indispensable de faire un lien avec l’ensemble de la révélation biblique.
Prenons l’exemple de la pratique du jeûne. Si l’on étudie un texte traitant de ce sujet, il sera nécessaire de le confronter avec un passage comme celui où le prophète Esaïe déclare: «Voici le jeûne auquel je prends plaisir: détache les chaînes de la méchanceté, dénoue les liens de la servitude, renvoie libres les opprimés, et que l’on rompe toute espèce de joug; partage ton pain avec celui qui a faim, et fais entrer dans ta maison les malheureux sans asile; si tu vois un homme nu, couvre-le, et ne te détourne pas de ton semblable.» Osons plonger dans la richesse de toute l’Ecriture pour en comprendre le sens sans nous limiter à un seul texte sur un sujet!
C. Interpréter l’Ancien Testament à la lumière du Nouveau Testament
Dans toute lecture de la Bible, il existe deux écueils. Le premier serait de ne pas considérer l’Ancien Testament en lui-même, de le sous-estimer c’est-à-dire de ne pas étudier le texte dans un premier temps pour lui-même. Inversement, le deuxième écueil consisterait, après avoir compris ce texte, de ne pas l’éclairer à la lumière du Nouveau Testament.
C’est là le cœur de ce principe selon lequel l’Ecriture s’interprète par elle-même. Pour comprendre un texte de l’Ancien Testament, il faut l’éclairer par le Nouveau Testament et surtout par la venue du Christ. Pour chaque texte, il faut savoir ce que Jésus, et les auteurs du Nouveau Testament à sa suite, ont enseigné sur ce dont parle le texte étudié. Le Christ est l’éclairage central de notre compréhension de la Bible et surtout de l’Ancien Testament. Comme il est rapporté dans l’Evangile: «En effet, si la loi nous a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ.» Il n’y a qu’un principe d’explication du dessein de Dieu et de l’Ecriture, à savoir Christ. En effet, à partir du moment où la Parole de Dieu, le Verbe éternel, s’est incarné en Jésus de Nazareth, toute l’Ecriture doit être interprétée avec cet éclairage. On parle alors d’une herméneutique christocentrique. (L’herméneutique a été définie au 1er chapitre. Inversement, comme l’a rappelé Jérôme, «ignorer les Ecritures, c’est ignorer le Christ».)
Certains textes de l’Ancien Testament sont repris spécifiquement dans le Nouveau Testament. Il est alors aisé de voir comment nous devons désormais interpréter ce texte, dans les traces des auteurs du Nouveau Testament. Cela correspond tout à fait à une phrase de Jésus qui revient souvent en Matthieu 5: «Vous avez appris, mais moi je vous dis…». De même Pierre réinterprète la notion de pureté de l’Ancien Testament à la lumière de l’œuvre du Christ. Il déclare ainsi: «Vous savez que la Loi interdit à un juif de fréquenter un étranger ou d’entrer chez lui. Mais Dieu m’a fait comprendre qu’il ne faut considérer aucun être humain comme souillé ou impur.» Et il poursuit: «Maintenant je comprends vraiment que Dieu n’agit pas différemment selon les personnes. Dans toute nation, tout homme qui respecte Dieu et qui fait ce qui est juste lui est agréable».
Prenons l’exemple de la loi du lévirat, institution répandue dans les temps de l’Ancien Testament. Lorsqu’un homme mourait, son frère devait épouser la veuve pour sa survie économique mais surtout pour assurer une descendance au défunt. Lorsque Paul, dans ses lettres aux Romains ou à Timothée, traite du sort de la veuve, il réinterprète profondément cette loi: tout d’abord, il donne à la veuve le droit de se remarier, sans préciser que cela doit être avec son beau-frère. De plus, la solidarité à exercer envers la veuve n’est plus maritale ou sexuelle et n’a plus comme but la descendance: en effet Paul va élargir le devoir de solidarité qui dans le lévirat lie un homme à la veuve de son frère, à tous les domaines. En réalité il étend même cette solidarité à l’ensemble de la famille: «Si quelqu’un ne prend pas soin des siens, surtout de ceux qui vivent dans sa maison, il a renié la foi, il est pire qu’un incroyant.»
Quant à Jésus répondant aux sadducéens perplexes devant les inconséquences de la loi du lévirat, il va les renvoyer à la réalité de la résurrection et les mettre en face du Dieu vivant. Il en est de même pour tous les textes de l’Ancien Testament évoquant la nécessaire effusion du sang d’un animal pour le pardon des péchés. L’auteur de l’épître aux Hébreux explique comment le sacrifice sanglant du Christ a eu lieu «une fois pour toutes», dispensant les générations à venir d’autres sacrifices sanglants. Tout texte de l’Ancien Testament à ce sujet se soumet à l’œuvre de salut du Christ à la croix.
Cependant beaucoup d’autres textes ne sont pas repris directement et doivent être réinterprétés par le prisme de la venue du Christ. Rappelons l’exemple des lois dont le but est la protection de la famille et dont nous avons parlé dans le paragraphe sur la connaissance de l’Israël ancien. Christ étant désormais au centre du triangle, toutes ces lois qui protégeaient la famille doivent désormais protéger la relation avec le Christ.