3. Elle ne se contredit pas

C’est là un principe cher aux confessions chrétiennes: la Bible forme une unité cohérente, elle ne se contredit pas. Mais alors, qu’en est-il des difficultés ou de certaines contradictions constatées au fil des lectures?

A. Les contradictions apparentes

Certaines affirmations contradictoires s’expliquent assez facilement pour les motifs suivants.

  • La contradiction n’est que dans la forme, c’est-à-dire dans le terme employé mais pas dans le sens profond. C’est le cas lorsque pour un même discours, les paroles de Jésus rapportées par les différents évangélistes diffèrent sensiblement. Il s’agit sûrement de deux traditions orales pour un même événement, mais bien du même enseignement.
  • Le but poursuivi par un auteur est différent, ou l’auditeur à qui il s’adresse est différent. Du coup, certaines divergences apparaissent car il ne s’agit que d’un point de vue différent.
  • Une erreur de transcription. Il arrive parfois que l’écart entre deux textes vient d’une erreur de recopiage des scribes. Rappelons tout de même que la plupart des différences textuelles concernent l’orthographe et non le sens. Les différences concernant le sens pourraient être répertoriées sur une seule page!

Toutefois, en dépit de ces explications possibles, de nombreuses contradictions ne semblent pas s’élucider. C’est la notion de paradoxe ou de dialectique qui nous aide alors à prendre en compte cette réalité de l’Ecriture.

B. Intégrer le paradoxe dans la Bible

Bien interpréter la Bible, c’est aussi très souvent accepter sa dimension paradoxale. Depuis les bancs d’école, nous sommes habitués au raisonnement logique en terme de cause à effet et à l’expression linéaire de la pensée. Ce type de raisonnement suppose le principe de non-contradiction: le noir ne peut être blanc et inversement. Nous pouvons accepter des nuances intermédiaires mais nous en arrivons toujours à l’exclusion de l’un par l’autre. Dans notre vie, nous avons aussi appris à raisonner ainsi et nous vivons notre foi de la même manière. Si nous sommes convaincus que l’affirmation «A» est vraie, alors seul ce «A» doit être pris en compte et rien d’autre ne peut exister à côté.

Or la réalité est différente et bien plus complexe que cela. En effet, elle est souvent paradoxale. Un paradoxe, ce sont deux principes ou deux éléments différents voire contradictoires qui s’opposent mais qui émanent de la même source et servent le même but. Ce qui sous-entend qu’on ne peut éliminer ni l’un ni l’autre. C’est le cas pour la trinité: Dieu est un mais en même temps, Dieu est trois personnes: le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Le chrétien devra être capable de regarder ces deux vérités contradictoires sans exclure l’une des deux ni choisir entre elles, puisque tout choix exclut alors une partie de la réalité.

Ce système s’appelle la dialectique ou plus simplement, la pensée paradoxale. Le philosophe chrétien Jacques Ellul a développé cette pensée au fil de son œuvre et notamment dans Ce que je crois. Il préfère parler de dialectique. Ce terme, ajoute-t-il, vient de dialogein, «parler avec», comme dans un dialogue, sachant que la préposition dia porte également l’idée de distance ou de contradiction.

 Pour expliquer cette pensée paradoxale, prenons une image simple: si vous mettez une charge positive près d’une charge négative, vous obtenez un éclair puissant. Or c’est un nouveau phénomène qui n’exclut ni le pôle négatif ni le pôle positif. La pensée paradoxale permet de maintenir un non en même temps qu’un oui. Ce système de pensée vigoureux doit par conséquent être adopté afin de prendre en compte les réalités paradoxales de la Bible.

La pensée paradoxale est indispensable à notre vie spirituelle pour comprendre la Bible. Volontairement ou non, l’homme est amené à penser et à s’exprimer de façon paradoxale. Le paradoxe est le moyen de tenir compte du réel sans s’amputer d’une bonne partie de nous-mêmes ou de la révélation biblique.

La pensée paradoxale représente une dynamique créative permanente. La prise en compte de la réalité par ce type de logique dialectique n’a donc rien à voir avec le fait d’être «tiède» (Apocalypse 3,16). Au contraire, c’est être bouillant dans la foi que d’être capable d’intégrer des réalités bibliques paradoxales sans renoncer ni à l’une ni à l’autre.

Exemples

Seule cette pensée dialectique peut en effet rendre compte de la révélation scripturaire, révélation elle-même fondamentalement et intrinsèquement paradoxale. En effet, les auteurs bibliques ont formulé paradoxalement l’ensemble de la révélation divine. Les exemples sont nombreux.

  • Grâce et œuvre

Paul déclare: «Vous êtes sauvés par grâce, par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de nous, c’est un don.» Cette affirmation est claire et simple. Nous connaissons les développements immenses de cette assertion, fondement de la Réforme et de notre foi chrétienne. Mais le même Paul affirme également: «Par conséquent, travaillez à votre salut avec crainte et tremblement»: Une évidente contradiction! Si nous sommes sauvés par grâce, il n’y a pas besoin de travailler à notre salut… Cette contradiction se retrouve dans l’épître de Jacques: «Nous sommes déclarés juste devant Dieu à cause de nos actes, et pas uniquement à cause de la foi.»

  • Le royaume de Dieu est déjà là mais il n’est pas encore là

Le Christ règne dès maintenant, et comme il l’enseigne à ses disciples, «le royaume de Dieu est parmi vous». Mais son royaume n’a pas non plus encore atteint son plein épanouissement qui ne se réalisera qu’avec son retour. Nous sommes appelés à travailler «pour le royaume» tout en sachant qu’il ne sera complètement réalisé qu’au retour du Christ. Nous soupirons dans l’attente du royaume à venir, bien que nous en ayons déjà les prémices.

  • La volonté de Dieu et celle de l’homme

Qui est capable d’influencer le cours des choses? Quelle est la part entre la liberté humaine et la puissance divine? Dieu est à la fois le Dieu des armées mais il nous semble qu’il est parfois aussi le Dieu désarmé. Si Salomon rappelle que «l’homme fait des projets, mais celui qui a le dernier mot, c’est l’Eternel», la Bible enseigne également la liberté de l’homme dans ses actes et sa pleine responsabilité:»Ce jour-là, il donnera à chacun ce que lui auront valu ses actes.»

  • La nature de Jésus

Il était à la fois pleinement homme et pleinement Dieu. Ainsi Paul, dans un même passage déclare: «Lui qui, dès l’origine, était de condition divine, ne chercha pas à profiter de l’égalité avec Dieu, mais […] il se rendit semblable aux hommes en tous points».

  • L’action de l’homme et l’action du Saint-Esprit

La Bible exhorte souvent le chrétien à prier sans cesse et à intercéder. Mais Dieu peut également agir de son propre chef. Notre part est de prier mais un miracle ou une conversion ne sont pas vraiment liés à la quantité ou à la qualité de nos prières. Comme dit le psalmiste: «Il en donne autant à ses bien-aimés pendant qu’ils dorment». De même, Dieu nous invite dans sa Parole à témoigner, mais il n’a pas besoin de nous pour agir.

Dans tous ces exemples, on voit bien qu’il y a souvent autant de versets bibliques pour les deux affirmations énoncées! Chacun de ces paradoxes pourrait être représenté par le schéma suivant (non reproductible ici). Prenons l’exemple de la question de la foi et des œuvres:

La Bible enseigne que c’est par la foi que nous sommes sauvés mais que sans les œuvres, notre foi est morte et qu’elle ne peut nous sauver. Où se trouve la vérité? Le point d’équilibre, la vérité est toujours à trouver entre ces deux axes. Elle n’est ni dans un axe ni dans l’autre ni dans la synthèse des deux. Cela signifie que la vérité est existentielle et non essentielle: elle est en mouvement et non figée. Bien entendu, c’est notre finitude qui ne nous permet pas de saisir la réalité parfaitement. Pour Dieu, en Dieu, la vérité est certaine. Mais pour nous les hommes, le point de vérité oscille entre deux axes. C’est par la richesse issue de la confrontation de ces affirmations paradoxales que Dieu nous rejoint là où nous sommes, dans notre vécu, sur notre chemin personnel de vie.

Ne s’en tenir qu’à un seul axe, ne retenir qu’une seule affirmation dans ces paradoxes conduit à de graves erreurs. Ce fut pourtant le cas souvent au cours de l’histoire de l’Eglise! On est tenté, pour ne pas voir le paradoxe et sa dynamique, de ne prendre et mettre en exergue que les versets qui vont confirmer l’axe sur lequel nous nous plaçons et oublier les autres, ce qui est cause de division dans l’Eglise et d’incohérence pour nous-mêmes.

Le paradoxe apparaît comme un système de pensée inconfortable mais qui laisse la vie se manifester dans toute sa force, sans qu’elle soit prédéterminée. Prendre en compte la dimension paradoxale de l’Ecriture est un élément essentiel pour bien comprendre chaque texte isolément. Reconnaissons qu’en dépit de nos efforts, il arrive que notre connaissance reste partielle. Et elle le restera jusqu’au jour où, comme Paul le déclare: «Nous connaîtrons comme nous avons été connus». Cependant, tout ce qui est nécessaire à notre salut et à notre sanctification est suffisamment limpide.