4. Interpréter les passages obscurs par les passages clairs

Les textes les plus opaques de l’Ecriture sont à expliquer par les plus simples. Si un texte parle très clairement d’un sujet, c’est à partir de ce texte qu’il faut éclairer, comprendre les autres.

Par exemple, certains textes de l’Apocalypse ou certaines prophéties traitant du retour du Christ sont difficiles à déchiffrer. C’est à la lumière d’un texte très clair à ce propos que ces textes plus difficiles doivent être compris, et ce texte, c’est la réponse de Jésus aux disciples qui lui demandent: «Dis-nous, quand cela arrivera-t-il, et quel sera le signe de ton avènement et de la fin du monde?» Jésus répond alors: «Pour ce qui est du jour et de l’heure, personne ne le sait, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais le Père seul.»

Cette clé de lecture a une conséquence directe: une doctrine se fonde toujours sur un texte clair, plutôt général et non sur un passage obscur et très circonstancié. Par conséquent, il est préférable de fonder une doctrine sur un texte d’enseignement plutôt que sur une histoire ou un passage symbolique ou encore poétique. Ainsi, on pourra fonder une doctrine sur la résurrection non à partir de la parabole de Lazare ni à partir de la résurrection de l’autre Lazare (Jean 11) mais à partir de 1 Corinthiens 15.

En bref, cet outil de l’analogie de la foi que nous venons de présenter est essentiel. Bien entendu, il ne dispense pas de comprendre le texte pour lui-même grâce aux outils précédemment présentés, car tous ces outils sont complémentaires.

La nécessité du ministère de docteur pour l’Eglise

S’il est vrai comme l’atteste ce chapitre que la Bible s’explique par elle-même, il faut rappeler l’importance du ministère des docteurs. Tout en soulignant la responsabilité propre à chaque croyant face à la Parole de Dieu, il faut en même temps mettre en évidence à quel point le travail des spécialistes de la Bible représente une richesse certaine. Dans tout processus d’actualisation du texte biblique, il importe de prendre en compte, d’écouter ce que ces érudits de la Bible ont à dire. Qu’ils soient théologiens ou enseignants de la Bible, ces «docteurs de l’Eglise» de notre époque ou appartenant à l’histoire de l’Eglise représentent un formidable trésor et un garde-fou dont il serait insensé de se priver.

Rappelons que jusqu’à l’invention de l’imprimerie et plus tard la diffusion en masse de bibles, quand il y avait lecture de la Bible, ce n’était qu’en communauté. Une copie manuscrite ou même imprimée dans les premiers temps de l’imprimerie coûtaient si cher qu’il était impossible d’en posséder une par foyer et même par communauté. Du coup, le rapport des chrétiens à l’Ecriture fut très longtemps collectif, et la lecture personnelle des Ecritures est un phénomène récent. Cet accès personnel à la Bible est une chance unique dans l’histoire de l’Eglise. Afin de ne pas la transformer en un individualisme où chacun se croit «pape, une bible à la main», tout chrétien doit avoir l’humilité d’écouter les autres chrétiens et notamment ceux que Dieu a dotés du don d’enseignement et qui se sont formés pour pratiquer ce don.

L’image biologique du corps chère à Paul nous est utile pour comprendre l’intérêt de ces spécialistes de l’Ecriture. Dans le corps humain, l’absorption, la digestion et l’assimilation des aliments sont assurés par des organes spécialisés, opérant au bénéfice du corps tout entier et transmettant à chaque cellule ce qui est nécessaire à son développement et à sa fonction.

De façon semblable, il y a toujours eu dans le peuple de Dieu de l’ancienne comme de la nouvelle alliance, des personnes chargées d’étudier et de méditer l’Ecriture pour l’actualiser en fonction des circonstances et des besoins au bénéfice des autres membres du corps de l’Eglise. Cela devrait être le souci premier des enseignants que de rendre intelligible la Bible aux chrétiens. S’intéresser ainsi à l’histoire de l’Eglise et aux recherches des docteurs permet de voir comment un texte a été compris, actualisé, non pour reproduire cette actualisation, mais pour nous mettre sur des pistes fructueuses.

Une lecture: le bon Samaritain (Luc 10,25-37)

Un docteur de la loi se leva, et dit à Jésus, pour l’éprouver: Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle?

Jésus lui dit: Qu’est-il écrit dans la loi? Qu’y lis-tu?

Il répondit: Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, et de toute ta pensée; et ton prochain comme toi-même.

Tu as bien répondu, lui dit Jésus; fais cela, et tu vivras.

Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus: Et qui est mon prochain?

Jésus reprit la parole, et dit: Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba au milieu des brigands, qui le dépouillèrent, le chargèrent de coups, et s’en allèrent, le laissant à demi mort.

Un sacrificateur, qui par hasard descendait par le même chemin, ayant vu cet homme, passa outre.

Un Lévite, qui arriva aussi dans ce lieu, l’ayant vu, passa outre.

Mais un Samaritain, qui voyageait, étant venu là, fut ému de compassion lorsqu’il le vit.

Il s’approcha, et banda ses plaies, en y versant de l’huile et du vin; puis il le mit sur sa propre monture, le conduisit à une hôtellerie, et prit soin de lui.

Le lendemain, il tira deux deniers, les donna à l’hôte, et dit: Aie soin de lui, et ce que tu dépenseras de plus, je te le rendrai à mon retour.

Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé au milieu des brigands?

C’est celui qui a exercé la miséricorde envers lui, répondit le docteur de la loi. Et Jésus lui dit: Va, et toi, fais de même.

Pour reprendre l’ensemble des outils de compréhension du texte présentés jusqu’ici, nous proposons de les appliquer à un texte connu, le bon Samaritain. Quel est le sens de cette parabole de Jésus?

Comme explique l’exégète Alphonse Maillot, c’est une parabole «un peu usée et souvent dégénérée en message philanthropique». Il est donc nécessaire de l’étudier avec beaucoup d’attention pour ne pas l’interpréter selon l’habitude de nos traditions, mais pour écouter ce que le texte veut vraiment dire. Nous verrons tout d’abord comment les lectures allégoriques et émotionnelles conduisent à comprendre ce texte. Puis nous appliquerons les outils de l’approche principielle présentés au fil des chapitres précédents.

1. La lecture allégorique de cette parabole

De nombreux théologiens ont interprété allégoriquement ce texte au fil des siècles. Ainsi au 4ème siècle, Origène expliquait que l’homme sur le chemin représente l’humanité (Adam) qui va de Jérusalem (du ciel) à Jéricho (le monde). Il est assailli par le diable et ses acolytes (les brigands). Ils le laissent à moitié mort de même qu’Adam en péchant a prononcé contre lui une sentence de mort. Ni la Loi (le prêtre) ni les prophètes (le lévite) n’ont pu l’aider. En revanche, le Christ (le Samaritain) s’est occupé de lui avec du vin (son sang qui purifie) et de l’huile (sa grâce). Il l’a chargé sur sa monture (son corps) et amené à l’hôtellerie (l’Eglise) où l’aubergiste a pris soin de lui (Paul). Puis il s’en est allé en promettant de revenir. Cette interprétation allégorique fut celle des Pères de l’Eglise mais aussi de Luther, de Melanchthon, du théologien baptiste John Gill et de l’exégète John Lange.

2. La lecture émotionnelle

Comme le remarque le théologien Amar Djaballah, cette parabole fut presque exclusivement interprétée de façon allégorique jusqu’à la fin du 19ème siècle. C’est à cette époque qu’on commença à en avoir une lecture «exemplariste», celle d’un bon exemple à suivre. Depuis, le sens de cette parabole est compris ainsi: Qui est mon prochain? Celui qui a besoin, à qui je peux apporter une aide! La lecture émotionnelle de ce passage serait: Je dois moi aussi aller faire du bien à mon voisin, surtout s’il est différent de moi et que je ne l’aime pas trop. Certes, l’enseignement de l’amour du prochain est biblique, et attesté par de nombreuses références. Mais est-ce là le sens de ce passage? On se demandera si Jésus, s’il avait voulu enseigner sur la charité envers nos ennemis, n’aurait pas plutôt évoqué un homme juif secourant un Samaritain. L’approche principielle nous permettra de collecter des indices à partir du texte pour y voir plus clair et en identifier le sens. 3.  La lecture principielle

Analysons ce texte avec les outils de l’approche principielle.

a. L’observation

Remarquons que ce titre de «bon Samaritain» n’apparaît nulle part dans le texte! Ce titre oriente souvent la compréhension du lecteur vers un comportement charitable qu’il devrait imiter alors que cette expression n’apparaît même pas dans le texte. L’autre observation étonnante concerne la question finale de Jésus au docteur de la loi. Si le but de Jésus avait été de mettre en avant le thème de la charité, à la fin de la parabole, il aurait dû demander au docteur: «Et toi, qui est ton prochain? Qui dois-tu envisager comme ton prochain pour te conduire comme ce Samaritain?» Mais il lui demande une chose assez différente: «Qui a été le prochain de cet homme blessé?» A ce stade de l’observation, ce n’est pas encore le temps de l’interprétation, mais nous relevons que la question est décalée par rapport à ce qu’on attendrait dans une perspective exemplariste, d’un comportement charitable à imiter.

b. Le découpage du texte

Nous avons tendance, à l’instar du découpage dans nos bibles, à n’étudier cette parabole qu’à partir de l’histoire racontée par Jésus au verset 30. Or ce texte commence déjà au verset 25. En effet, cette parabole est la réponse de Jésus à une question qu’on lui pose: «Que dois-je faire pour hériter la vie éternelle?» Il faut donc inclure cette question dans notre texte, ne pas détacher la parabole de son écrin car cela va orienter la compréhension de celle-ci.

c. Le contexte littéraire

Qu’est-ce qui encadre cette parabole? Juste avant, Jésus a envoyé les soixante-dix disciples en mission en leur disant: «Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson.» (v.2) Puis les disciples reviennent et Jésus loue alors le Père et s’exclame: «Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez! Car je vous dis que beaucoup de prophètes et de rois ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu» (v.24). Le contexte précédant la parabole est donc celui de la mission et du salut en Christ car c’est bien de lui-même dont Jésus parle dans sa louange. Quant à ce qui suit la parabole, c’est l’épisode de Marthe et Marie, l’une s’affairant et l’autre restant aux pieds du maître pour l’écouter. Et Jésus déclare: «Elle a choisi la bonne part», montrant par là même que ce ne sont pas les œuvres qui comptent avant tout, mais l’écoute du Christ.

d. Les caractéristiques de l’auteur, le plan du livre

Dans son Evangile et ensuite dans les Actes, Luc a un intérêt particulier pour les non-Juifs, et il souligne que le salut est pour tous: pécheurs, publicains, pauvres, malades, marginaux, veuves, etc. On perçoit cette universalité notamment dans le fait que son Evangile est destiné justement à un non-Juif, Théophile, et qu’il commence son récit à Jérusalem et conclut les Actes des Apôtres à Rome. Cette parabole est donc à comprendre dans le cadre d’universalité du salut propre à Luc.

e. Le genre littéraire

A la question posée, Jésus choisit de ne pas répondre par une définition qui risque d’être discutaillée. Il a compris que le docteur de la loi veut lui tendre un piège. Jésus le déjoue et choisit de répondre par une parabole; il faut donc analyser ce texte selon les règles typiques d’une parabole. Face à une parabole, on se demande quelle est la «rupture», ce qui choque. Or l’auditoire, rappelons-le, est composé de Juifs. Ici, cela ne choque pas l’auditoire qu’un lévite ou un prêtre passent sans s’arrêter pour secourir cet homme à demi-mort! S’arrêter sur la route, c’est peut-être tomber dans un piège et c’est sûrement risquer de ne plus pouvoir accomplir son service au Temple!

Les histoires populaires de l’époque sont souvent construites suivant la règle de trois: trois personnages ou trois événements. Ici le public s’attend donc à l’intervention d’un troisième personnage, et il s’attend sûrement à un laïc: il croit que Jésus, après avoir stigmatisé l’attitude du prêtre et du lévite va mettre en scène un homme comme eux, leur ressemblant et avoir ainsi une pointe anticléricale. Or Jésus les surprend en mettant en scène l’ennemi, le Samaritain. C’est inattendu et scandaleux que le troisième homme, celui qui va apporter le secours, soit un Samaritain! La pointe de la parabole ne va donc pas vers un exemple de service charitable envers le prochain que Jésus présenterait et qu’il faudrait imiter. Cette interprétation qui fait du chrétien d’aujourd’hui un Samaritain, ne tient pas du tout compte du fait qu’il était impossible pour les auditeurs et pour le docteur de la loi de s’identifier à un Samaritain.

f. Le sens des mots

Deux termes sont particulièrement intéressants ici. Tout d’abord, l’expression splagkhnizomai décrivant ce que le Samaritain ressent lorsqu’il voit le blessé à terre: «Il fut ému de compassion». Ce verbe grec est dérivé du mot «entrailles», c’est-à-dire qu’il eut les entrailles bouleversées. Les entrailles étaient considérées comme le siège des plus fortes passions, telles l’amour, la bonté, la bienveillance ou la compassion.

Or ce verbe est quasi exclusivement utilisé lorsque Jésus lui aussi est ému de compassion. On retrouve ce verbe lorsque Jésus est ému de compassion devant la foule qui n’a point de berger (Matthieu 14,14 ou Marc 6,34), devant la veuve de Naïn qui vient de perdre son fils unique (Luc 7,13), devant les deux aveugles de Jéricho (Matthieu 20,34) ou devant le lépreux (Marc 1,41). Ce verbe est caractéristique de l’amour de Jésus pour les humains en souffrance. A chaque fois qu’il ressent cette compassion, il va ensuite opérer un prodige: résurrection, multiplication des pains, guérison des yeux aveugles ou du lépreux. Remarquons que c’est lorsqu’il est en chemin, marchant d’une ville à l’autre (comme le Samaritain) que Jésus rencontre les personnes blessées ou malades qui l’émeuvent.

C’est aussi ce verbe qui décrit ce que ressent le père du fils prodigue lorsque celui revient à la maison, blessé par la vie (Luc 15,20). Quelle va d’ailleurs être l’attitude de ce père, semblable à celle de Jésus ou du Samaritain? Aller à la rencontre du blessé sur sa route.

Le deuxième terme intéressant ici est le mot «prochain». Pour les Juifs de l’époque, le prochain c’est le semblable, le membre de leur peuple. La question du docteur à Jésus est en fait une question de catéchisme de base en ce temps-là. La tradition juive éclaire le questionnement de cet homme. A cette époque, on était d’accord sur le fait qu’il fallait aimer son prochain, c’est-à-dire ses compatriotes et les prosélytes, mais on débattait pour savoir qui d’autre la Loi exigeait d’aimer.

Lorsqu’il est demandé à Jésus de donner une définition du prochain, il doit dire où lui place la frontière de l’amour, la limite du commandement. Or Jésus par la parabole, lui donne une définition du prochain qui se place sur un tout autre plan. Sa définition du prochain vient en fait répondre à la toute première question du docteur de la loi sur la vie éternelle. Car comme le dit le théologien Karl Barth: «Quand on ignore qui est son prochain, on prouve par là-même qu’on ignore la miséricorde divine.» Jésus rappelle au docteur de la Loi qu’avant de chercher qui il doit aimer, il doit connaître l’amour de celui qui peut l’aimer, le sauver.

g. Le contexte socio-culturel

Plusieurs éléments sont importants. – La géographie La route entre Jérusalem et Jéricho, longue d’à peu près vingt-cinq kilomètres, traverse le désert de Juda, et était alors infestée de bandits. C’est une route sinueuse, encaissée dans des rochers. D’ailleurs, on ne voyageait pas sur cette route tout seul… L’homme blessé, qui, semble-t-il, a voyagé seul, paraît sans doute d’emblée imprudent aux auditeurs. – Les personnages Le docteur de la loi qui pose la question est un légiste, un juriste, un homme qui étudie ce que nous appelons l’Ancien Testament et d’autres textes religieux pour essayer d’y discerner et enseigner quel doit être le comportement des Israélites dans toutes les circonstances de leur vie. Quelle différence existe-t-il entre un prêtre et un lévite? Ils sont tous deux descendants de la tribu de Lévi. Les lévites sont chargés de l’exécution de la musique, de la préparation des sacrifices, de la perception des dîmes et de la police du Temple. Les prêtres (également appelés «sacrificateurs») s’occupent exclusivement des sacrifices. Eux sont uniquement des descendants d’Aaron, lui-même descendant de Lévi et leur chef est le grand-prêtre.

Qu’en est-il du fait que ces deux personnages, le lévite et le prêtre ne s’arrêtent pas? Certes, la Loi biblique dit explicitement qu’un prêtre ne doit en aucun cas toucher un mort, sinon cela le rend impur pour son service au Temple (Lévitique 21). Toutefois, puisque le prêtre «descend» le long de cette route, c’est qu’il quitte Jérusalem et non qu’il s’y rend. Il a fini son service. Toutefois, il a peut-être peur de transgresser une autre loi: «Quiconque touchera, dans les champs, un homme tué par l’épée, ou un mort, ou des ossements humains, ou un sépulcre, sera impur pendant sept jours.» (Nombres 19,16). L’obéissance du lévite et du prêtre à la Loi les rend incapables de venir en aide à cet homme.

Il est surtout essentiel de comprendre qui étaient les Samaritains pour bien interpréter la parabole. Samarie fut bâtie pour servir de capitale au royaume du Nord d’Israël après le schisme entre le royaume du Sud et le royaume du Nord (9ème siècle avant Jésus-Christ). Depuis lors, la rivalité avec le reste d’Israël fut à rebondissements, compliquée mais toujours grandissante. Ce qui leur était, entre autre, reproché c’est qu’au moment de l’Exil (586 avant J.C), des colons babyloniens et assyriens furent installés dans les villes de Samarie. Au retour d’Exil (vers 538 pour les premiers retours), les Juifs décidèrent donc de tenir à l’écart les Samaritains, considérés comme pratiquant une religion mixte. Du coup, les Samaritains construisirent pour le culte leur propre temple à Sichem, sur le Mont Garizim. Mais il fut détruit par les autres Juifs, ce qui n’empêcha pas les Samaritains de continuer à célébrer, jusqu’au temps du Nouveau Testament, leur culte sur cet emplacement. La séparation est alors consommée: les Samaritains créent leur propre canon (se limitant aux cinq livres de Moïse) et vers l’an 7 ou 8 de notre ère, on leur interdit même de fréquenter le parvis intérieur du temple de Jérusalem. Bref, ils sont relégués au rang de païens. «Samaritain» devient une injure dans la bouche des Juifs; on ne leur reconnaît plus aucun lien avec le judaïsme. Et même, une Samaritaine est considérée impure dès le berceau et toute personne qui la touche est impure. D’ailleurs, dans le texte, on voit que dans sa réponse à Jésus, le docteur de la Loi ne parvient même pas à prononcer le nom de «samaritain». H.   L’analogie

La question du docteur de la Loi se retrouve un peu plus loin en Luc 18, 18-30 avec le dialogue de Jésus et l’homme riche: «Bon maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle?» Dans ce cas, notons que Jésus répond différemment car le contexte, l’auditeur est différent.

La réponse du docteur de la Loi à la question de Jésus: «Qu’est-il écrit?», est une compilation des plus grands commandements de l’Ancien Testament: elle réunit Deutéronome 6,5, appris par cœur et récité deux fois par jour par tout Juif pieux et Lévitique 19,18. Mais en fait, cette réponse devait être un élément important de l’enseignement de Jésus puisqu’on le retrouve ailleurs dans la bouche de Jésus. Cela semble indiquer que le docteur de la Loi cite ici une réponse déjà donnée par Jésus.

Bilan

C’est la synthèse de tous ces indices qui permet au lecteur de savoir comment mieux comprendre le texte. Qui a été le prochain de cet homme à demi-mort?, demande Jésus au docteur de la Loi, qui rappelons-le, l’a d’abord interrogé sur la vie éternelle.

Le prochain, dans l’histoire, c’est le Samaritain. Or le docteur de la loi est incapable de s’identifier au Samaritain, ce qui fait qu’en réalité, dans cette parabole, le docteur de la Loi est indirectement identifié… à l’homme blessé ! Le prochain, c’est celui qui s’approche de l’homme blessé. Le docteur de la Loi, c’est l’homme blessé qui doit être soigné.

Or de même que les auditeurs ne s’attendent pas à ce que ce soit un Samaritain qui vienne secourir l’homme blessé, de même le seul qui peut secourir le docteur de la Loi, lui apporter la vie éternelle, ne correspond pas à ses schémas personnels. En effet, les espérances messianiques des Juifs de l’époque, leur attente concernant la venue du royaume diffèrent profondément de ce que Jésus apporte. Souvenons-nous du scepticisme de Nathanaël: «Peut-il venir de Nazareth quelque chose de bon?»

Jésus, comme le Samaritain pour les auditeurs de la parabole, ne correspond pas à celui qu’on attend pour secourir l’homme blessé. C’est la révélation du salut par lui que Jésus apporte dans cette parabole. A ce sujet, Jésus déclare au verset 21: «Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de ce que tu les as révélées aux enfants.» Le caractère sans limite de l’amour du Samaritain qui s’approche du blessé nous rappelle bien sûr l’attitude de Jésus.

Le Samaritain est avant tout une référence à Jésus, son œuvre pour les hommes blessés que nous sommes ou l’homme blessé qu’est le docteur de la Loi. C’est ému de compassion que le Samaritain s’arrête pour soigner le blessé; c’est ému de compassion que Jésus rencontre les blessés sur leur route. C’est le renversement de la question (non «qui est ton prochain que tu dois secourir» mais «de qui es-tu le prochain qui va te secourir») qui montre qu’avant de donner, il faut recevoir. La vie éternelle commence quand l’homme blessé se laisse prendre en charge par le Prochain. Le docteur de la Loi ne pourra recevoir la vie éternelle que s’il reconnaît son besoin d’être sauvé. Cela rejoint bien ce que Jésus dit par ailleurs: «Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades.»

Lorsque Jésus dit au docteur de la loi: «Va et fais de même», cela signifie donc: «Va et accepte d’être secouru par le prochain», à savoir par Jésus lui-même. Cette thématique du salut se retrouve d’ailleurs dans les textes encadrant cette parabole, que ce soit l’envoi en mission de Jésus et le peu d’ouvriers de la mission ou l’épisode de Marthe et Marie et son écoute du prochain qui s’est approché de nous, Jésus. C’est là la bonne part. Bref, ce texte parle avant tout, non d’être charitable par de «bonnes œuvres» mais de Jésus qui a compassion de nous, de vie éternelle et de salut.

Conclusion

Au début du chapitre 4, nous avons annoncé que la lecture principielle de la Bible, qui permet l’actualisation du texte, se déroule en trois étapes:

  • Comprendre le texte
  • Identifier son principe
  • Trouver l’actualisation

Nous avons maintenant achevé de présenter la première de ces étapes, certes la plus longue mais la plus fondamentale pour la suite du processus. En résumé, pour bien comprendre un texte, nous avons évoqué plusieurs outils complémentaires: l’analyse littéraire avec l’étude des genres littéraires et du contexte littéraire; l’étude du sens des mots avec les données grammaticales et lexicales, la question de la traduction de la Bible; la prise en compte du contexte socio-culturel, historique du texte et pour finir, l’analogie de la foi où un texte de l’Ecriture s’interprète en se comparant aux autres textes. Une fois cette première étape franchie, une fois que le texte est bien compris, il en reste encore deux autres pour réussir à actualiser ce texte et c’est l’objet des deux prochains chapitres.

Bibliographie

Concordance des Saintes Ecritures d’après la version Segond et synodale, Société biblique de Genève et du canton de Vaux

Concordance de la Bible, TOB, Cerf/Société Biblique, 1993

Les évangiles en parallèle, Distribution Evangélique du Québec, 2002

Claire BOMPOIS, Concordance des quatre évangiles, Mame, 1979

M-J.LAGRANGE et C.LAVERGNE, Synopse des quatre évangiles en français, 1964

Entendre la voix du Dieu vivant. Interprétations et pratiques actuelles de la Bible, Médiaspaul, 1994

Le canon de l’Ancien Testament. Sa formation et son histoire, Labor et Fides, 1984

Jean-Yves LACOSTE, Dictionnaire critique de théologie, PUF/Quadrige, 1998

L’auteur : Valérie Duval-Poujol est Doctorante en théologie (en exégèse).