4. La traduction

A. La légitimité et les difficultés de la traduction

Une aide précieuse dans la compréhension du sens des mots est de comparer plusieurs traductions françaises du même texte.

Précisons d’abord que traduire la Bible est tout à fait légitime. Si Dieu est l’auteur de la Bible, elle n’est pas tombée du ciel ni même dictée du ciel, comme le rappelle le prologue de Luc à son Evangile.

L’idée que les langues bibliques aient un caractère sacré est en contradiction avec le thème de l’incarnation. Pour parler aux hommes, Dieu utilise des langues comprises par les hommes dans leur époque. Dans ce sens, repensons à la façon dont Jean décrit la rencontre de Jésus avec deux de ses disciples: «Jésus se retourna, et voyant qu’ils le suivaient, il leur dit: Que cherchez-vous? Ils lui répondirent: Rabbi, ce qui signifie Maître, où demeures-tu?» L’auteur biblique traduit dans la langue de ses lecteurs, ici le grec, ce que signifie rabbi en ajoutant: «ce qui signifie Maître».

Cette traduction par Jean montre que l’intention biblique est de favoriser la compréhension du message évangélique dans la langue de ses lecteurs. De même, dans nos prières ou discussions, nous n’appelons pas Jésus à la façon hébraïque, Yeshoua mais nous prononçons son nom selon les phonèmes propres à notre langue. Le fait de traduire la Bible est tout à fait légitime et selon le cœur de Dieu. Jésus lui-même ainsi que les auteurs du Nouveau Testament récitaient les Ecritures selon la traduction grecque de la Septante et non à partir de l’hébreu. Toutefois, le lecteur se rappellera qu’il n’y a pas de traduction parfaite… même celle à laquelle il est attaché dans sa lecture personnelle depuis trente ans!

Si aucune traduction n’est parfaite, c’est que les difficultés sont nombreuses. Outre celles en lien avec les différences de syntaxe ou de logique entre deux langues déjà mentionnées, une autre difficulté vient de certains présupposés théologiques ou culturels des traducteurs eux-mêmes.

Par exemple, au cours des siècles passés, certains traducteurs ont eu du mal avec des textes montrant certaines fragilités des hommes de la Bible et ont eu tendance à les atténuer dans le texte. Ainsi dans le passage où Dieu annonce à Abraham qu’il va avoir un fils et que celui-ci tombe sur sa face et rit, une traduction araméenne du premier siècle (un «targum») traduit «et Abraham se réjouit»!

Un autre exemple concerne la traduction de textes concernant les femmes. Ceux-ci sont souvent victimes de masculinisation voire d’un certain machisme.

C’est le cas avec la traduction du terme grec anthrôpos. Il existe une distinction dans le Nouveau Testament entre anthrôpos et aner (ou andros au génitif). Lorsque le terme anthrôpos est employé, cela signifie l’humain en général, en opposition à l’animal. Lorsque le Nouveau Testament veut évoquer l’homme comme désignant spécifiquement l’être masculin, c’est aner/andros qui est utilisé. Ainsi en Matthieu 14,21, le récit de la multiplication des pains évoque cinq mille hommes (pluriel d’aner) rassasiés, sans compter les femmes et les enfants. Toutefois les traductions de la Bible ont tendance à laisser le terme masculin «homme» même lorsque c’est anthrôpos (humain) qui est utilisé! Ainsi en est-il de cette déclaration de Paul: «Ainsi, l’homme de Dieu se trouve parfaitement préparé et équipé pour accomplir toute œuvre bonne.» De nombreuses versions françaises de la Bible traduisent ici anthrôpos, pourtant générique, par un terme masculin: homme. Même si la langue française a le droit d’inclure les femmes en utilisant l’expression «homme», l’effet de cette traduction exclusive «homme» n’incite pas la moitié féminine de l’humanité à se sentir concernée par ces passages. Il en est de même dans cette autre affirmation de Paul concernant la transmission de son enseignement: «Et l’enseignement que tu as reçu de moi en présence de nombreux témoins, transmets-le à des hommes dignes de confiance qui seront capables à leur tour d’en instruire d’autres.» En grec, nous avons l’expression pistois anthrôpois, terme générique désignant l’être humain en général et non spécifiquement masculin.

Traduire est donc une tâche difficile et pour atteindre la vérité du texte, il est conseillé de comparer différentes traductions.

B. Les différentes traductions de la Bible en français

En français il existe une trentaine de versions de la Bible. En posséder plusieurs et les utiliser pour comparer comment elle traite un texte étudié donne déjà un bon aperçu du texte, de ses difficultés et des possibilités d’interprétation. Toute traduction opère un choix et soit se place proche du littéralisme (traduction formelle), soit recherche davantage la compréhension immédiate du lecteur (traduction dynamique). Ce sont là les grandes classifications des traductions. Aucune ne présente de solution parfaite!

Il existe donc, pour simplifier, deux alternatives dans la façon de traduire la Bible:

  • Les traductions littérales ou formelles: c’est le cas de la plupart des versions françaises. Il s’agit d’une équivalence formelle, une sorte de «décalque»: le texte français est calqué sur la forme du grec ou de l’hébreu. Le but est de reprendre si possible la même traduction pour le même terme grec ou hébreu à chaque occurrence. Ces traductions essaient de se maintenir aussi près que possible des mots exacts de la langue originale.

Le problème est que cela risque de déformer la pensée car les mots et les formes grammaticales ne recouvrent pas les mêmes réalités en hébreu, en grec et en français. Il arrive aussi qu’un texte soit gardé obscur si l’original est ambigu, en laissant au lecteur la liberté d’interpréter d’une manière ou d’une autre. Le résultat est que la phrase ne veut parfois plus rien dire. Par exemple, l’expression «ceindre les reins» sera laissée telle quelle, au lieu de rendre le sens de cet idiome en français: se mettre en état de travailler, être prêt.

  • Les traductions à équivalence dynamique: l’objectif est de rendre le sens du texte original dans la langue réceptrice. Elles cherchent à transférer le sens du texte original, communiquer l’information que l’auteur original désirait transmettre. Elles utilisent les structures de langage de la langue d’arrivée. Elles tentent de faire sur le lecteur d’aujourd’hui la même impression que l’original a fait sur le lecteur d’autrefois.

Pour mieux comparer ces versions, prenons l’exemple d’un verset du prophète Jérémie. La traduction littérale lit: «Moi, l’Eternel, j’éprouve le cœur, je sonde les reins» en gardant l’expression littérale «sonder les reins» pour rester le plus proche possible de l’original, au risque de ne pas être compris par le lecteur contemporain. En revanche, une version dynamique traduit: «Je perce le secret des consciences», ce qui rend bien le sens de l’expression tout en s’éloignant du littéralisme de l’original.

Une traduction n’est pas meilleure qu’une autre, c’est plutôt qu’elles poursuivent des objectifs différents. Leur diversité est une richesse qui nous permet de mieux appréhender le texte par différentes perspectives.

Bibliographie

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L’auteur : Valérie Duval-Poujol est Doctorante en théologie (en exégèse).