3. Les données grammaticales

Il s’agit de comprendre la phrase, comment elle s’articule et d’analyser ses composantes. Puisque chaque langue possède ses structures propres pour agencer les mots et former des phrases, il faut connaître quelques spécificités de la grammaire des langues bibliques pour mieux comprendre le texte. Ainsi, la façon d’agencer les mots est particulièrement différente en hébreu, en grec et en français. Si la plupart du temps, la phrase française suit l’ordre analytique: sujet/verbe/compléments, ce n’est pas par exemple le cas en grec, où l’ordre des mots a peu d’importance puisque c’est la terminaison du mot qui indique son cas, sa fonction dans la phrase.

A. Le temps des verbes

La question du temps des verbes pose un problème parce qu’il n’y a pas toujours concordance parfaite entre la réalité recouverte par un temps dans une langue et dans une autre. Ainsi parmi les nombreux temps en grec, il en existe un, le parfait, qui n’a pas de réel équivalent en français. Ce temps indique un état présent résultant d’une action passée. C’est le cas lorsque Paul déclare: «Christ est mort (…) et il est ressuscité le troisième jour». Les deux verbes sont traduits en français par un passé composé mais le deuxième évoquant la résurrection est au parfait en grec: c’est une façon qu’a l’auteur d’indiquer que la résurrection du Christ est encore un fait effectif, vrai aujourd’hui.

Cette sensibilité aux différents temps permet également d’affiner une interprétation. C’est elle qui permet par exemple de mieux comprendre les paroles de Dieu à Eve après la chute: «Tu enfanteras dans la douleur… ton mari dominera sur toi». Est-ce là une formule impérative, un ordre donné à la femme? La grammaire permet de répondre à cette question essentielle. L’étude du temps du verbe révèle que ces paroles ne sont pas des ordres et ne doivent pas être compris comme «tu devras enfanter dans la douleur». En effet, le verbe hébreu employé est à l’inaccompli. En hébreu, il n’existe pas de distinction entre le passé, le présent et le futur mais seulement l’état de la chose, c’est-à-dire, est-elle accomplie ou inaccomplie?

Du coup, un inaccompli, se référant à quelque chose non encore réalisé, peut tantôt se traduire par un futur tantôt par un passé (un imparfait par exemple: l’action dure encore, elle n’est pas accomplie) ou un présent. En utilisant ici un inaccompli, le texte indique seulement que cela ne s’est pas encore produit. Il ne contient donc pas d’élément contraignant impératif. Dieu ne maudit pas, il avertit prophétiquement. Il sait que la nature déchue de l’homme l’inclinera à exercer une domination abusive sur sa femme.

Cela n’était pas le désir de Dieu «créationnellement» mais c’est la conséquence du péché. Cette formule n’est pas à comprendre comme un ordre divin. D’ailleurs cette même forme à l’inaccompli se retrouve au verset 18: «Le sol te produira des épines et des ronces». Il serait absurde de prendre ce temps comme impératif et de comprendre que Dieu ordonne à la terre de donner des épines! La souffrance de l’enfantement et la domination de l’homme sur la femme ne sont pas des faits, des impératifs ordonnés par Dieu.

La liste des différences ou spécificités de chaque langue en ce qui concerne les temps serait longue. Il ne s’agit ici que d’indiquer la nécessité d’être en éveil par rapport à ces questions et de se demander, notamment face à un texte qui pose problème, si la spécificité des temps des verbes de chaque langue pourrait apporter un éclairage.

B. Les constructions grammaticales

L’hébreu ou le grec présentent des constructions grammaticales spécifiques qu’il faut connaître parce que nous les retrouvons parfois telles quelles dans nos traductions. Si on ne les connaît pas, on risque de partir sur des interprétations complètement erronées.

Pour ne citer qu’un exemple de constructions propres à une langue, voyons comment l’hébreu exprime une comparaison. Pour comparer, la langue hébraïque se sert d’une opposition. Ainsi l’idée de préférence s’exprime par l’utilisation en contraste des verbes aimer et haïr. Haïr n’est alors pas à comprendre comme en français. On retrouve cette construction dans le Nouveau Testament puisque les auteurs grecs étaient influencés par la pensée sémitique. C’est le cas lorsque Jésus déclare: «Si quelqu’un vient à moi et s’il ne hait pas son père ou sa mère… il ne peut être mon disciple».

Comment concilier cela avec d’autres affirmations de Jésus comme «aime ton prochain»? Comment haïr et aimer en même temps? En fait, il s’agit ici justement de l’utilisation par Jésus de cette construction de phrase typiquement hébraïque. La clé de compréhension se trouve dans cet autre passage où il affirme: «Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi». C’est bien une comparaison qui est exprimée ici. Nous retrouvons tout le long de la Bible cette façon spécifique d’établir des comparaisons.

C. La ponctuation

Parce que les manuscrits coûtaient cher et qu’il fallait économiser de la place, le texte était souvent recopié avec les lettres de tous les mots se suivant, sans aucune coupure, sans ponctuation. Si l’on prend par exemple le verset de Jean 1,3, selon où l’on place la virgule, on obtient deux traductions différentes:

  • Rien n’a été fait sans lui; ce qui a été fait avait la vie en lui.
  • Rien de ce qui existe n’a été fait sans lui; en lui était la vie.

L’absence de ponctuation dans les manuscrits signifie aussi l’absence de guillemets lorsqu’un auteur biblique voulait faire une citation. Parfois, une affirmation est donc une citation par l’auteur d’une source, et non l’expression de sa propre pensée. Par exemple, Paul déclare aux Corinthiens: «Il est bon pour l’homme de s’abstenir de la femme».

Paul veut-il dire qu’il est bon pour tout homme de renoncer à toute vie sexuelle? Or Paul, deux versets plus loin, va défendre le contraire en déclarant: «Que chacun ait sa femme». Comment peut-il à deux versets d’écart affirmer le contraire? L’explication est que dans le premier cas, Paul cite un extrait de la lettre qu’il a reçu des Corinthiens et que la confusion vient de ce que le texte ne nous a pas transmis les guillemets.

Il semble donc délicat d’établir un dogme ou d’entrer dans un violent conflit pour la présence de deux points ou d’une virgule puisqu’ils sont ajoutés par rapport au texte.

En conclusion de ces réflexions grammaticales, relevons que la grammaire apporte des éléments très importants pour la compréhension du texte, elle aide à décider du sens. Comme le disait Martin Luther au début de son commentaire des psaumes: «Voyons pour commencer les aspects grammaticaux, ils ont réellement une importance théologique.»