LES SCHEMAS PRECOCES D’INADAPTATION
© Jacques et Claire Poujol. Pages extraites de leur livre « Vivre à deux – bien communiquer gérer les conflits », Empreinte Temps Présent, 2012. Disponible sur le site de la librairie 7ici ou par mail.
Ces schémas précoces d’inadaptation, décrits par deux spécialistes de la thérapie cognitive (Jeffrey Young et Janet Klosko, auteurs du livre Je réinvente ma vie, Editions de l’Homme, 1995), rejoignent le concept de scénarios de vie en analyse transactionnelle.
Rappelons qu’une cognition est une pensée, un dialogue intérieur, sous forme de mots ou d’image. Des pensées négatives suscitent des émotions négatives. La thérapie cognitive consiste à identifier ces pensées et ces émotions négatives, puis à les modifier.
Un schéma est constitué de croyances profondes sur vous-même et sur le monde. C’est une disposition qui prend sa source dans votre enfance et se répète tout au long de votre vie. Il est issu de ce que vous ont fait subir vos parents ou votre entourage. Au bout d’un certain temps, le schéma s’intègre étroitement à votre personnalité. A l’âge adulte, vous êtes comme programmé pour recréer des circonstances similaires à celles qui, dans l’enfance, contribuaient à votre détresse.
Freud avait déjà parlé de cette compulsion de répétition, qui est le fait de revivre sans cesse les traumatismes de l’enfance. Un enfant opprimé se laissera dominer. Une fille d’alcoolique aura tendance à épouser un buveur, un garçon maltraité à violenter les autres à son tour.
Les schémas sont essentiels à votre sentiment d’identité. Vous vous accrochez à eux même s’ils vous font souffrir, parce qu’ils vous sécurisent, ils sont familiers et rassurants. C’est pourquoi ils sont si difficiles à modifier.
Rappelons que l’enfant a des besoins fondamentaux dans des domaines divers : la sécurité de base, les relations interpersonnelles, l’autonomie, l’estime de soi, l’expression de soi, des limites réalistes. Si ces besoins sont suffisamment comblés, si la mère est « suffisamment bonne », l’enfant s’épanouit psychologiquement. Mais s’il y a des carences sévères dans certains de ces domaines, elles contribuent à la formation de schémas négatifs.
Chaque être humain réagit à ces schémas d’une manière qui lui est propre, selon son tempérament. Il existe ainsi trois attitudes possibles face à un schéma. Soit vous capitulez devant lui, en organisant votre vie de manière à reproduire les scénarios qui ont marqué votre enfance. Soit vous le fuyez, en le chassant de vos pensées, en évitant d’y être sensible. Soit enfin vous contre-attaquez, en vous démarquant le plus possible de l’enfant que vous étiez.
La plupart des gens ont recours à un mélange de capitulation, de fuite et de contre-attaque. Mais la seule attitude positive est de lutter courageusement contre vos scénarios destructeurs, sans capituler devant eux, ni les fuir, ni contre-attaquer.
Puisque nos schémas prennent racine jusque dans notre enfance, l’aide d’un psychothérapeute compétent sera souvent nécessaire pour s’en libérer, surtout si vous souffrez de l’un ou de plusieurs des trois premiers schémas, qui sont les plus destructeurs.
Voyons à présent un peu plus en détail ces onze schémas.
Les deux premiers découlent du manque de sécurité de base :
1. Le schéma sentiment d’abandon : « Je t’en supplie, ne me quitte pas ! »
Vous avez une peur intense et irrationnelle que l’homme ou la femme de votre vie vous quitte, vous abandonne ou meure. Vous êtes possessif et jaloux. Vous lui répétez sans cesse : « Je sais qu’un jour tu me quitteras », « Tu ne m’aimes pas vraiment. » Vous avez beaucoup de mal à vivre des moments de solitude, des déménagements, des séparations.
2. Le schéma méfiance et abus : « Je ne peux pas te faire confiance »
Même si vous vivez une relation saine avec votre conjoint, votre méfiance et votre comportement la transforment en violence. Vous interprétez ses paroles en insultes ou ses gestes en agressions physiques. Vous le poussez à vous maltraiter, en vous dépréciant, ou bien en étant agressif envers lui.
Si vous avez été victime d’abus physique ou sexuel (maltraitance, attouchements, viol, inceste), il serait souhaitable que vous vous fassiez aider par un psychothérapeute spécialisé dans ce domaine. Ce schéma engendre en effet des souffrances psychologiques graves et il est l’un des plus difficiles à changer. Cependant, en le modifiant, vous parviendrez à votre vœu le plus cher : aimer et être aimé, dans un climat de confiance. Cela vaut donc la peine de chercher à en être libéré.
Les deux schémas suivants sont étroitement liés à la qualité de vos liens affectifs :
3. Le schéma carence affective : « Mes besoins d’affection ne seront jamais comblés »
Vous communiquez très peu avec votre partenaire, lui cachant vos besoins, vos sentiments, votre vulnérabilité, ce qui l’empêche de vous protéger et de vous donner de l’affection. Vous êtes distant et inaccessible.
Il vous arrive aussi de vous révolter, et de contre-attaquer en l’accusant de ne pas vous aimer assez, en vous montrant exigeant à l’extrême, et en revendiquant.
4. Le schéma sentiment d’exclusion » : « Je me sens à part »
Vous ne côtoyez que les membres de votre famille, et un ou deux amis, mais c’est tout. Il est vraiment dommage que vous vous priviez des grandes joies qu’apporte la rencontre avec les autres. Votre partenaire appréciera que vous ne vous refermiez pas uniquement sur lui et sur vos enfants, mais que vous ayez d’autres contacts sociaux.
Pour venir à bout de ce schéma, décidez de mettre fin à votre solitude et apprenez à communiquer avec les autres. Vous verrez que les adultes ne portent pas du tout sur vous le même regard que les enfants lorsque vous étiez petit.
Les deux schémas suivants sont liés à l’autonomie :
5. Le schéma dépendance : « Je ne peux pas me débrouiller seul »
Vous êtes accroché à l’être qui partage votre vie comme à une bouée de sauvetage. Votre identité se fond à la sienne. Vos amis, vos intérêts, vos opinions sont ceux de votre conjoint, vous n’existez pas par vous-même. Dans les rares moments où vous êtes séparé de lui, votre vie reste en suspens et vous restez relié à lui par le téléphone.
Vous avez besoin qu’il vous accompagne chez le médecin, à l’hypermarché, en voyage, au cinéma, etc. Vous l’avez d’ailleurs choisi parce qu’il est fort et sécurisant, et qu’il vous protège comme un enfant. C’est lui qui gère votre budget et assume toutes les responsabilités du foyer. Peut-être même n’avez-vous jamais appris à conduire. Votre couple sera évidemment plus épanoui si vous vous libérez de ce schéma.
En effet actuellement votre partenaire sert à combler vos manques, vous ne le regardez pas comme une personne mais comme un instrument de réconfort. Ce n’est pas l’amour qui vous lie à lui, mais un besoin névrotique d’affection.
Karen Horney le dit très bien : « La différence entre l’amour et le besoin névrotique d’affection tient au fait que dans l’amour l’élan vers l’autre et le don de soi sont véritablement premiers, alors que le sentiment premier des névroses est le besoin de réconfort, de satisfaction égocentrique. » Cela rappelle la parole de Jésus : « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir. »
Il arrive même qu’un couple soit l’union de deux névroses : les deux partenaires éprouvent un intense besoin névrotique d’affection, et chacun des deux est dépendant de l’autre.
Souvenez-vous qu’il a deux sortes d’amour : l’amour en creux qui consiste à aimer pour combler le manque, le vide que l’on ressent en soi, et l’amour en plein, qui apporte un élargissement de l’être.
6. Le schéma vulnérabilité : « La catastrophe est imminente »
Vivre, pour vous, ce n’est pas être heureux, mais prévenir les dangers. Vous avez choisi un conjoint fort, sécurisant, qui vous cajole et vous couve. Vos craintes sont parfois une source de conflits avec lui. Cela le fatigue de vous rassurer constamment. Il est obligé de restreindre ses activités sociales à cause de vous. Vous l’obligez à être sans cesse à vos côtés, alors qu’il aimerait être plus indépendant.
Il sera votre principal allié si vous décidez d’abandonner ce scénario. En effet l’excès de sollicitude à votre égard doit l’épuiser, il sera enchanté de vous aider dans vos efforts pour être moins vulnérable. Surmonter ce schéma enrichira votre existence, et surtout cela améliorera votre vie commune.
Les deux schémas suivants sont reliés à l’estime de soi :
7. Le schéma sentiment d’imperfection : « Je ne vaux rien »
Votre plus grande peur est que l’on découvre vos défauts. Contrairement au sentiment d’exclusion qui repose sur des caractéristiques extérieures et qui est plus décelable, le sentiment d’imperfection est un état intérieur, donc moins décelable. Mais il est très fréquent (environ une personne sur deux suivant une psychothérapie en souffre). L’émotion dominante ici est la honte.
Vivre l’intimité conjugale vous effraie. Peut-être avez-vous choisi quelqu’un qui vous critique ou abuse de vous, et vous croyez ne pas mériter mieux. A cause de votre schéma, vous tolérez qu’il vous maltraite. Vous vous estimez chanceux déjà d’avoir pu vous marier. Vous croyez que la personne qui vous aime ne doit pas valoir grand chose. Vous avez toujours besoin qu’elle vous rassure sur l’estime qu’elle a de vous et vous vous croyez inférieur aux autres gens. Groucho Marx disait : « Je ne voudrais jamais faire partie d’un club qui m’accepterait comme membre. »
Jaloux et possessif, vous cachez votre moi réel pour que votre partenaire ne découvre pas vraiment qui vous êtes. Vous vous dépréciez devant lui et ne voyez pas d’objection à ce qu’il vous dénigre. Cela vous soulage de le critiquer en retour, ainsi que vos enfants. Si vous réussissez quelque chose, vous pensez être un imposteur, et craignez que ces succès ne soient éphémères.
Le moi réel que vous tenez caché ne pourra pas guérir tant que vous ne brisez pas la carapace protectrice de votre faux moi. Demandez-vous si vous avez capitulé devant votre schéma, si vous le fuyez ou si vous contre-attaquez.
Plus graves auront été les humiliations et les critiques de vos parents, plus vous mettrez de temps à modifier votre scénario.
8. Le schéma sentiment d’échec : « Ma vie est un échec »
De nombreux autres schémas peuvent y être associés : celui de méfiance et abus, le sentiment d’imperfection, la carence affective, le sentiment d’exclusion, etc.
Vous déformez les événements, en exagérant le négatif et en minimisant le positif. Peut-être êtes-vous déprimé par ces échecs constants. Ce schéma est très facile à diagnostiquer, vous en avez clairement conscience.
Quand votre conjoint réussit, cela vous permet de vivre par procuration, sans rien accomplir par vous-même.
N’évitez pas votre schéma, mais affrontez-le. Il est possible d’en sortir. Découvrez vos talents !
Attaquez aussi les autres schémas qui sont liés au sentiment d’échec. Votre vie auparavant dominée par la honte vous procurera dès lors un haut sentiment d’estime de vous-même.
Les deux schémas qui suivent concernent l’expression de soi, l’aptitude à exprimer vos désirs et à faire en sorte que vos besoins soient satisfaits :
9. Le schéma assujettissement : « Je fais toujours ce que tu veux ! »
Deux motifs importants peuvent vous pousser à vous laisser dominer par les autres : l’abnégation (l’assujettissement dû à la culpabilité) et la soumission (l’asservissement dû à la peur).
Ce scénario peut être accompagné du schéma dépendance : vous ne prenez aucune initiative, vous ne vous sentez pas apte à décider par vous-même.
Vous avez peut-être trouvé un compagnon agressif ou dominateur, qui vous dit quoi faire et quoi penser. Il ressemble au parent qui vous dominait. Vous dépendez entièrement de lui. Ou bien il est narcissique, il exige beaucoup et donne peu en retour. Mais donner sans retour vous est familier. Cependant, si la révolte gronde en vous pendant des années, elle risque d’exploser un jour.
Sortir de ce schéma peut prendre un certain temps. En effet il s’est nourri pendant toute votre enfance. Reprenez peu à peu possession de votre vie et de votre identité. Vous y avez droit !
10. Le schéma exigences élevées : « Ce n’est jamais suffisant ! »
Il se peut que vous l’ayez adopté pour compenser un sentiment d’imperfection, d’exclusion, d’échec, ou une carence affective.
Il en existe trois variantes principales : le perfectionnisme, l’ambition professionnelle, l’ambition sociale.
Dans votre vie conjugale, l’amour, le plaisir, la tendresse, cèdent la place à votre obsession de la perfection. Vos exigences élevées s’appliquent aussi par rapport à votre partenaire. Vous êtes critique et exigeant avec lui, vous voudriez qu’il soit idéal et qu’il réponde à toutes vos aspirations. Vous le dépréciez s’il n’y arrive pas. Vos attentes à son égard vous semblent justifiées et normales, vous ne voyez pas qu’elles sont irréalistes.
Ou bien vous avez choisi un être détendu et cool, qui vous relaxe, qui vous apporte un peu de délassement dans votre existence hyperstressée. Mais vous ne lui consacrez pas beaucoup de temps. Vous travaillez trop, en vous promettant « qu’un jour », vous prendrez du temps pour votre famille. Mais le temps vous file entre les doigts, et vous ne réalisez pas que votre vie devient un désert affectif.
Si votre conjoint est plus détendu que vous, prenez modèle sur lui, imitez sa décontraction. En abaissant vos critères de perfection, vous trouverez une meilleure qualité de vie, votre santé s’améliorera et vous vivrez un renouveau dans votre vie amoureuse.
Enfin le dernier schéma est associé à l’aptitude à accepter des limites réalistes :
11. Le schéma sentiment que tout nous est dû : « Je peux obtenir tout ce que je désire »
Vous agissez selon l’un ou l’autre des comportements suivants, et vous avez choisi de vivre avec quelqu’un qui renforce votre sentiment que les autres vous doivent tout :
- Vous agissez comme un enfant gâté :
Il se peut que votre partenaire sacrifie ses besoins aux vôtres, ait peur d’exprimer ses sentiments, tolère vos critiques, renonce à son identité et vive à travers vous. Vous courez le risque qu’il vous en veule, parce que vous le maltraitez et êtes trop égoïste.
- Vous jouez à l’enfant faible et dépendant, les autres vous doivent tout :
Votre conjoint est sans doute compétent et disposé à s’occuper de vous, il gère votre budget et vous traite comme un enfant. Mais vos exigences et votre dépendance risquent de l’épuiser, de le lasser.
- Vous êtes impulsif et manquez de discipline :
Vous remettez les corvées au lendemain, vous préférez la gratification immédiate à la satisfaction au long terme.
Votre partenaire est très organisé, discipliné. Il contrebalance ainsi votre tendance à la désorganisation. Mais vous courez le risque qu’il se lasse de votre irresponsabilité et de vos sautes d’humeur.
Votre attitude le fait souffrir. Demandez-lui de vous aider. Il vous imposera des limites, vous dira quand vos exigences sont inacceptables, et sera ferme face à vos caprices d’enfant gâté.