LE DÉSERT : ME CONSTRUIRE GRÂCE AUX CONFLITS INTÉRIEURS
© Prédication du pasteur Jacques Poujol
Nous parlerons ici du grand conflit de notre vie, celui dont l’apôtre Paul dira à la fin de sa vie à Timothée: « J’ai combattu le bon combat, j’ai gardé la foi. » Voici tout d’abord deux textes bibliques, en rapport avec le peuple d’Israël – mais cette histoire dans le désert, c’est aussi un peu la nôtre.
Lorsque le Pharaon laissa partir les Israélites, Dieu ne leur fit pas prendre le chemin des Philistins, bien que ce soit le plus direct. Il craignait en effet que le peuple, effrayé par les combats à livrer, ne change d’avis et revienne en Égypte. C’est pourquoi il les mena par le chemin détourné qui, à travers le désert, se dirige vers la mer des Roseaux. Les Israélites quittèrent l’Égypte en bon ordre. Moïse emportait le corps de Joseph, car celui-ci avait dit à ses frères : « Dieu vous viendra certainement en aide. Jurez-moi d’emporter alors mon corps avec vous. » Les Israélites quittèrent Soukot et allèrent installer leur camp à Étam, en bordure du désert. Le Seigneur les précédait, de jour dans une colonne de fumée pour les guider le long du chemin,, et de nuit dans une colonne de feu pour les éclairer ; les Israélites pouvaient ainsi marcher jour et nuit. la colonne de fumée, pendant le jour, et la colonne de feu, pendant la nuit, ne cessèrent jamais de les précéder. (Exode 13.17-22, trad. BFC)
Je vais donc la reconquérir et la reconduire au désert, où je lui ferai la cour. (Osée 2.16, trad. BFC)
Israël, l’Israël biblique bien sûr, est entouré de déserts. Pour accéder en Israël, il faut traverser un désert. Même la mer semble être un désert. Le désert, en hébreu, se dit midbar, c’est-à-dire, là où la parole n’a pas de place. Or il est intéressant de remarquer que c’est dans le désert que Dieu va souvent parler – dans le lieu où la parole n’a pas de place…
Le désert, c’est aussi l’image de la frustration, du lieu où le peuple est mis en situation intérieure de frustration, précisément pour mieux se mettre à l’écoute de la parole de Dieu. Je ne sais pas si vous avez eu l’occasion de traverser le désert, c’est toujours une expérience intéressante. Le désert, c’est l’image du conflit, de la confrontation à soi-même. Plus exactement de la confrontation aux images que nous nous faisons de Dieu, et par là même, de nous. Comme le peuple d’Israël, entre l’Egypte et le pays promis, nous rencontrons souvent dans nos vies le désert. Confrontés à nous-mêmes, confrontés à Dieu.
Le peuple d’Israël va rencontrer trois grands conflits dans le désert, comme nous les rencontrons nous-mêmes dans nos déserts :
- Je suis confronté à la loi. Est-ce que la loi de Dieu est vraiment bonne ? Est-elle vraiment là pour me construire ? N’est-elle pas plutôt là pour me limiter ? Pour m’enfermer, m’emprisonner ?
- Je suis confronté aussi à son amour : Dieu est-il vraiment le Dieu d’amour qu’il dit être ? Dans le désert, c’est la question que je me pose.
- Enfin, je suis confronté à sa parole, ou plus souvent à sa non-parole, comme on va le voir.
Le désert, c’est cette grande confrontation, avec ces trois grandes réalités.
Au début du livre de l’Exode, le peuple qui nous est présenté est un tout, sans individualisation pourrait-on dire. C’est un peuple qui marche groupé, derrière une nuée, poussé par elle. Qui marche parce qu’il est en état de frustration devant son besoin de liberté. Il a besoin de liberté, il aspire à quelque chose de nouveau. Ils se sont mis en marche, tous ensemble. A la fin du livre de l’Exode – et c’est une symbolique du désert – la nuée n’est ni devant, ni derrière, elle ne les pousse, ni ne les tire, la nuée est au milieu du peuple, et chacun a la responsabilité personnelle de monter vers elle, vers le tabernacle, pour rencontrer son Dieu.
On est passé d’un peuple indistinct, global, à un peuple d’individus, de Sujets construits. Et cela, c’est l’œuvre du désert. Il y a eu changement, décantation dans le désert, par la confrontation des conceptions qu’ils avaient en Égypte de la loi, de l’amour, et de la parole. Au centre du désert se trouve le mont Sinaï, le lieu où Dieu attend son peuple avec sa Parole, avec sa Loi, avec son Amour. Etape décisive pour Israël. Le peuple ne va pas au désert comme on fait le Paris-Dakar, il ne va pas au désert parce qu’il est puni pour avoir été désobéissant en Egypte, ou parce que Dieu voudrait je ne sais trop quoi ; il va au désert pour y vivre ce grand conflit avec lui-même. C’est pour lui un temps de mutation profonde, où il passera de l’esclavage à la libération, de la servitude à la coopération. Il y a un avant, et il y a un après le Sinaï.
C’est là au désert, dans cette reconstruction intérieure, dans ce conflit intérieur, que le peuple trouvera une relation, et bien plus qu’une relation : une alliance. Il trouvera un lien, un liant. Une façon de relire et de relier sa vie. Le désert change la mentalité de ce peuple. Il y aura des ruptures, de ces ruptures qui sont porteuses de vie. C’est comme une nouvelle identité qui va se forger là, dans le désert, ce lieu où la parole n’est pas, mais où justement on est dans l’attente de la parole. Et c’est dans les silences de Dieu que l’homme, en l’occurrence l’Israélite, va se construire, se reconstruire une image plus juste de l’Amour, de la Loi et de la Parole de Dieu. Dans notre vie, on le verra, il y a très souvent un avant et un après nos déserts. Paul parle du renouvellement de l’intelligence. Donc d’un chemin où il y a beaucoup de questions, de pourquoi. Ce sont là les conflits dont Paul parle quand il dit « J’ai fait disparaître ce qui était de l’enfant ».
Ce peuple n’était jusqu’alors considéré que pour ce qu’il produisait (c’était un peuple d’esclaves), il n’était regardé que par rapport au nombre de briques qu’il produisait ou ne produisait pas. On ne se souciait pas de son moral. Ce qui intéressait les Égyptiens, c’était la capacité de production de ce peuple. Et cela n’était pas sans conséquence, car cela construisait dans l’imaginaire de ce peuple une identité bâtie sur le faire et sur la peur. Au désert, il devra apprendre à passer de l’obéissance passive engendrée par la peur du fouet et de la répression, à l’obéissance qui naît de l’écoute nouvelle de la parole de Dieu. C’est un changement qui prend du temps. Cela aurait pu durer un an. Ils vont rester quarante ans ! Peut-être parce qu’ils ont été lents à apprendre !
Les grands conflits de notre vie, à chacun d’entre nous, sont justement ceux où nous nous trouvons dans des moments de tension, de désert, de frustration. Nous nous trouvons dans des temps où Dieu s’impose et nous impose le silence, où nous sommes là, comme le peuple d’Israël, à attendre une parole qui nous change, qui nous construise, une parole qui nous mette en marche et nous dirige. Nous nous retrouvons comme le peuple, à midbar, où la parole de Dieu n’est pas. Dans le lieu de silence. Et je vous propose de nous arrêter sur ce conflit intérieur lié au silence de Dieu dans notre vie et parfois dans nos communautés et pour cela d’aller lire mon article sur « Les silences de Dieu ».