LA RECONSTRUCTION : LEGO OU PUZZLE ?
© Jacques et Claire Poujol. Pages extraites de leur livre «L’accompagnement psychologique et spirituel, guide de relation d’aide», Empreinte Temps Présent, 2007. Disponible sur le site de la librairie 7ici ou par mail.
Une personne qui a subi une perte, quelle qu’elle soit (un être cher, sa santé, etc.) se voit souvent comme un tableau en puzzle duquel on été retirées une ou plusieurs pièces. Or un puzzle incomplet n’étant pas digne d’être encadré et accroché au mur, elle considère que sa vie est irrémédiablement gâchée et mutilée, parce qu’elle fixe obsessionnellement son attention sur les quelques espaces vides du tableau, au lieu de considérer toutes les pièces restantes.
Il existe une façon plus positive de gérer les pertes, les échecs, et les handicaps: c’est de considérer sa vie non comme un puzzle, mais comme un jeu de Légo.
L’être humain est très souple et il a une grande capacité d’adaptation; même s’il a subi de nombreux préjudices, il peut toujours jouer le jeu de l’égo et se reconstruire avec les éléments de l’égo, du Moi, qui lui restent.
Les possibilités de re‑création étant infinies, cela explique que des personnes très éprouvées moralement ou physiquement (paralysées, handicapées) parviennent à vivre avec leurs manques, une vie différente certes d’avant, mais dynamisée par un autre sens donné à l’existence.
Cette acceptation de mes nouvelles conditions de vie, de mes limites, ne peut venir du dehors: elle naît du dedans du coeur, par une lente évolution intérieure. En disant « Je vais mal, mais je vis bien, je substitue l’affrontement lucide au désespoir et j’entre dans une renaissance féconde. »
Voici quelques phrases émouvantes d’une malade chronique: « La vie peut prendre toutes les formes, y compris celle de la maladie. Le malheur, quel qu’il soit, c’est toujours de l’étoffe à faire de la vie. Vivre, ce n’est pas attendre, mais faire rendre le maximum à l’heure présente. »
Quel rôle le conseiller joue‑t‑il dans la renaissance du client? Paradoxalement, ce rôle est à la fois essentiel et relatif.
Essentiel, parce que personne ne naît ou ne renaît par lui‑même. Même Jésus ne s’est pas ressuscité tout seul, c’est Dieu qui l’a ressuscité, en le délivrant des liens de la mort. (Actes 2: 24) Martin Buber formule cela ainsi: « Par la grâce du toi, le JE advient. » L’amour de l’autre me nomme, me relie à la vie, me fait revivre.
Si le conseiller aide le client à relire sa vie, il l’aide aussi à se relier à la vie. Quand Jésus guérissait une personne, cette guérison incluait ou entraînait toujours un rétablissement de la communication avec les autres.
Voyez la femme hémorroïsse, donc impure et enfermée dans son isolement (Marc 5.21 à 34). Elle aborde Jésus par derrière, n’osant le regarder en face. Celui‑ci, en l’obligeant à se manifester, lui redonne sa place de personne (il appelle cette femme anonyme: ma fille), et la réhabilite publiquement.
Le rôle de l’aidant, s’il est essentiel, est aussi relatif. En effet, même si le client demande de l’aide, il a le désir de se battre par lui‑même, de trouver son identité, sa propre vérité, le sens de sa vie. C’est la chenille elle‑même qui ouvre le cocon au moment de devenir papillon. Si l’on intervient, si l’on ouvre le cocon, le papillon meurt.
De même le conseiller doit résister à la tentation de dire au client le sens de sa souffrance et de sa vie. Il n’est pas celui qui sait, face à celui qui ne sait pas. « C’est vous qui savez » est une phrase souvent prononcée par un thérapeute.
Il est aussi démuni que son interlocuteur et il partage sa recherche, sans pour cela perdre la certitude que celui‑ci a en lui tout ce qu’il faut pour traverser la souffrance et renaître à une vie nouvelle.
L’aidant est passeur, non sauveur. Il est accoucheur, non père. C’est dans son apparente impuissance que se trouve sa force.
En conclusion, il regarde le client comme un sujet qui accomplit, de manière responsable, ce travail passionnant (suscitant à la fois passion et souffrance) de réconciliation globale avec son histoire personnelle.