C. L’IDENTITÉ SOCIALE

1. LES HUIT ETAPES DE LA VIE

Selon le psychologue Erik Erikson (Enfance et société, Delachaux et Niestlé, page 265 et suivantes), chaque être humain traverserait, au cours de la vie, huit crises psychosociales, c’est‑à‑dire provoquées par les problèmes sociaux auxquels il est confronté aux différentes étapes de sa vie.

La résolution de chacune de ces crises peut être orientée vers un pôle positif ou un pôle négatif. Erikson considère la croissance comme le cheminement de toute une existence. Il voit le développement humain continu de la naissance à la mort.

Ces étapes se chevauchent et nous les vivons toujours un peu toutes à la fois. Par exemple nous approfondissons sans cesse la confiance fondamentale de la première période. Chaque individu vit ces phases d’une manière qui lui est propre.

a. Le nourrisson (jusqu’à deux ans)

Selon que les besoins physiologiques de base vont être ou non satisfaits, il développera soit un sentiment de confiance fondamentale dans le monde, soit une méfiance instinctive.

La vertu qu’il acquiert ou non, c’est l’espérance.

b. La petite enfance (2 à 3 ans)

Pendant les premiers apprentissages, surtout celui de la propreté, si les parents comprennent l’enfant et l’aident à contrôler son corps, il va faire l’expérience de l’autonomie. En cas de contrôle trop sévère ou incohérent, par peur de la perte de contrôle de son corps, il éprouvera la honte et le doute.

La valeur à acquérir à cette période est la volonté.

c. L’âge du jeu (3 à 5 ans)

A cet âge, où l’enfant s’affirme en maîtrisant le langage, la mobilité et l’imagination, les projets qu’il fait et qu’on va lui laisser réaliser lui permettront d’acquérir le sens de l’initiative. Mais s’il expérimente des échecs répétés et si on ne l’autorise pas à prendre des petites responsabilités, il risque d’éprouver résignation et culpabilité.

La qualité à acquérir à cette phase est la détermination, la persévérance.

d. L’âge de l’école (6 à 12 ans)

L’enfant, en apprenant à travailler, se prépare pour les tâches futures. Compte tenu des méthodes éducatives de ses enseignants, il développera soit un goût pour le travail bien fait, soit un sentiment d’infériorité en ce qui concerne ses aptitudes ou sa place par rapport à ses camarades.

Malheureusement, le système scolaire favorise davantage le développement du sentiment d’infériorité que celui de la compétence, qui est pourtant ce que l’on devrait acquérir à cette étape.

e. L’adolescence (12 à 18 ans)

Pour Erikson, plusieurs éléments sont importants à cette période : l’incapacité à se fixer sur une identité professionnelle, le développement sexuel, le fait d’appartenir à un groupe de copains et la formation de ses propres valeurs morales.

L’adolescent recherche son identité et la trouvera plus facilement s’il intègre ses expériences antérieures, ses potentialités et les choix qu’il doit effectuer. L’incapacité à faire naître ce sentiment d’identité peut aboutir à une confusion des rôles qu’il a ou aura à jouer sur les plans professionnel, social ou affectif.

La vertu à acquérir à l’adolescence est la fidélité.

f. Le jeune adulte (19 à 35 ans)

Celui‑ci recherche l’intimité d’un être aimé, avec qui il partagera la procréation, le travail et une réelle amitié. L’évitement de cette expérience amènera au contraire à l’isolement et au repli sur soi.

Ce que l’on devrait acquérir ici est l’amour.

g. L’âge adulte (35 à 65 ans)

Cette étape est celle de la générativité, c’est‑à‑dire selon Erikson, l’intérêt pour la génération suivante et pour son éducation, se manifestant par la productivité et la créativité dans plusieurs domaines. On peut donner la vie biologiquement, mais aussi en étant enseignant, éducateur, en priant pour les autres, etc.

D’autres adultes connaissent la stagnation, le sentiment d’avoir été incapables d’appeler qui que ce soit à la vie et de n’avoir rien apporté aux nouvelles générations.

C’est pourquoi il est courant qu’une personne commence un travail sur soi entre 40 et 50 ans. C’est l’âge où le SUJET en elle voudrait émerger, après avoir été « étouffé » pendant tant d’années. Les problèmes qu’elle n’a pas réglés avant font surface sous forme de symptômes divers qui sont, à notre avis, une bénédiction, puisque ces symptômes, et eux seuls souvent, vont l’inciter à « bouger » sur le plan psychologique.

Le psychiatre Peck estime que quatre conditions sont nécessaires pour que se développe une générativité authentique :

  • On doit estimer la sagesse plus que les prouesses physiques.
  • De sexualisés, les rapports sociaux doivent devenir socialisés.
  • Il faut rester souple sur le plan émotionnel pour favoriser d’autres investissements affectifs après le départ des enfants et la mort des parents âgés.
  • On doit aussi rester souple mentalement et développer des côtés de sa personnalité que l’on a négligés jusque‑là.

La vertu à rechercher pendant cette période est la sollicitude, l’attention aux autres.

h. Le vieillissement (après 65 ans)

C’est l’aboutissement des étapes précédentes. La personne atteint l’intégrité personnelle si elle accepte sa propre vie, si elle reconnaît qu’elle en est responsable et qu’elle ne peut plus rien changer à son passé, ni retrouver ce qui a été perdu. Si cette intégration du passé ne s’effectue pas, la personne termine son existence dans la peur de la mort et dans le désespoir. La vertu de cette étape est bien sûr la sagesse.

Sartre formule cela ainsi : « L’homme naît multiple, il meurt un. »

Pour Scott Peck, l’accès à l’intégrité dépend de trois conditions :

  • La redéfinition du Moi en dehors du rôle professionnel.
  • L’acceptation du déclin du corps.
  • Le détachement de soi, qui permet de dire oui à l’idée de la mort.

2. ETRE ET LE FAIRE

Quelle sera votre attitude envers quelqu’un qui n’existe que par ce qu’il fait (profession, rôle parental, activités dans l’église) ?

Il est utile de lui rappeler comment évolue (idéalement !) un enfant. Celui‑ci croit d’abord que l’amour de ses parents est conditionnel : ils l’aiment s’il agit bien et ne l’aiment plus s’il agit mal. Puis il comprend qu’il est aimé inconditionnellement pour lui‑même, qu’il agisse bien ou mal.

Dans la réalité, d’ailleurs, les choses se produisent rarement aussi idéalement : il est fréquent que l’attitude des parents ne permette pas à l’enfant de comprendre qu’ils l’aiment inconditionnellement.

Le travail du conseiller consistera alors à renforcer l’être positif du client, en lui donnant de nombreux signes de reconnaissance positifs inconditionnels et en lui apprenant à s’en donner lui‑même.

Si le client a une idée très négative de lui, la restauration de l’être positif doit passer d’abord par son faire, exactement comme le jeune enfant. Toucher à l’être négatif serait prématuré, réveillerait les peurs, les insécurités de l’enfance et bloquerait l’évolution du client.

Il peut aussi être utile de le faire réfléchir sur certaines paraboles de Jésus comme :

  • La parabole des ouvriers de la onzième heure (Matthieu 20.1 à 16) :

Tous les ouvriers reçoivent le même salaire, quel que soit leur travail ; tous, ils ont répondu à l’appel de Dieu, et c’est cette réponse qui leur accorde à chacun la même valeur. Ils existent comme sujets quand, par le langage, ils entrent en relation de parole avec le Père.

  • La parabole du fils prodigue (Luc 15) :

Le fils aîné est dans le faire (Voici tant d’années que je te sers) ; il donne pour recevoir et n’est pas heureux. Son père tente de le ramener du faire à l’être : « Mon enfant, tu es toujours avec moi. »

Le fils prodigue est dans l’être (Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils) et son père est au diapason avec lui : Mon fils était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé.

Dieu aime inconditionnellement le fils aîné et le fils prodigue, non pour ce qu’ils font de bien ou de mal, mais parce qu’ils sont ses fils.

Les deux frères sont ici deux facettes de nous‑mêmes, nous les portons en nous, comme nous portons en nous les deux sœurs, Marthe l’active et Marie la contemplative. Etudier les frères et les sœurs dans la Bible est instructif, en partant, comme le fait Dietrich Bonhoeffer, de ce principe qu’ils représentent deux aspects de nous‑mêmes. Par exemple : Abel et Caïn, Esaü et Jacob, Moïse et Aaron, Jacques et Jean, etc.