B. L’IDENTITÉ PSYCHOLOGIQUE
Elle est ce qui rend le client semblable à lui‑même et différent des autres. Elle est construite en lui à partir de cinq éléments :
1. le projet de ses parents sur lui
2. ses jeux
3. ses rôles psychologiques appris, mimés, choisis
4. l’acceptation ou le refus de son tempérament
5. son identité sexuelle
La conscience de l’identité prend forme grâce à toutes ces influences dans la petite enfance. « L’enfant est le père de l’homme », ce qui veut dire que l’adulte est le résultat direct de sa propre enfance. C’est souvent là qu’il faut, en relation d’aide, trouver ce qu’il manque, ce qui n’a pas été construit, ou mal construit.
1. LE PROJET PARENTAL
Les parents portent en eux un enfant‑image et imaginaire. Plus ou moins consciemment, ils lui ont déjà donné à l’avance un statut et un rôle. Ce projet parental structurera en partie sa personnalité future parce que, en fonction de ce projet, ils orienteront leur façon de soigner, d’aimer et d’éduquer leur enfant.
Nous sommes précédés, et suivis, par des mots dits sur nous, qui deviennent souvent, selon l’expression de Françoise Dolto, des maux‑dits. Car, nous l’avons déjà souligné, un enfant se croit obligé d’obéir aux désirs de ses parents, et devient esclave de ces désirs, enfermé dans le projet parental.
Les mots dits sur un enfant, même s’ils ne changent pas son caractère fondamental, apportent une contribution positive ou négative à son futur scénario de vie. D’ailleurs un même mot peut être prononcé avec une connotation affective différente par le père, la mère, le frère ou la sœur, que ce soit le prénom, le surnom ou tout autre qualificatif.
Le prénom a une importance primordiale pour chacun de nous. Choisi par les parents, il est porteur d’une forte symbolique : Richard, Clémence, Angélique, Reine, sans parler des noms de personnages de la Bible. Des surnoms comme Bouboule, Minus, Fil de fer, Petit diable, des qualificatifs du genre mon gros, ma puce, la boule, gaffeur ou mon bébé, donnent à l’enfant la permission d’agir de façon très spécifique.
Dans la Bible, un homme fut appelé par ses parents Jacob, ce qui signifie « le trompeur ». Ce nom lui dicta son scénario de vie, jusqu’à cette nuit où il lutta avec un ange qui lui dit : « Quel est ton nom ? » Et il répondit : « Jacob » (Genèse 32 : 27). En disant qu’il s’appelait « le trompeur », il mettait des mots sur ses maux, il comprenait combien ce prénom avait dicté sa vie. En lui donnant un nouveau nom, Israël, Dieu lui donna aussi une nouvelle identité et changea son scénario de vie.
En relation d’aide, le conseiller encouragera le client à parler de ces mots dits sur lui pendant son enfance. La mise en mots suffit parfois pour supprimer la mise en maux.
Le projet parental a pris une importance encore plus grande depuis l’arrivée des moyens contraceptifs. Même si la décision de faire un enfant est très fortement conditionnée par des raisons inconscientes, elle est devenue un acte volontaire et les parents se sentent obligés de le réussir. Ils craignent, beaucoup plus qu’autrefois, de commettre des erreurs. Ils veulent un enfant parfait à tous égards avant même qu’il soit fait !
Certains ne parviendront jamais à passer de l’enfant rêvé à l’enfant réel. Ils le conçoivent non seulement pour perpétuer l’espèce, ni pour lui‑même, mais souvent avec pour première mission de leur apporter quelque chose : une joie supplémentaire, un moyen de resserrer les liens du couple, la perpétuation du nom, la création d’une vraie famille, le remède à leur mal de vivre, ou même un successeur pour l’entreprise familiale.
A l’opposé, il arrive que l’enfant soit un accident qui dérange ou fait peur. C’est un intrus qui va leur donner du travail en plus, ou briser leur union amoureuse. Il est alors, dès sa conception, générateur d’un état de crise dans le couple.
Ou bien il est conçu comme un objet, un jouet avec lequel on va s’amuser (ma poupée), une victime potentielle d’un monde hostile qu’il faut donc surprotéger. Le projet parental devrait être altruiste, centré sur Dieu et sur l’amour, mais ce n’est pas toujours le cas. Si le conseiller comprend ce qui a motivé les parents du client à lui donner la vie, il comprendra mieux l’identité que celui‑ci s’est construite.
2. SES JEUX
C’est une autre façon par laquelle l’enfant se donne un sentiment d’identité propre. Le jeu engage ses capacités physiques et intellectuelles : par lui il s’essaie à la vie et en apprend les règles (par exemple, que tout n’est pas possible). Il apprend aussi qu’il ne peut pas tout contrôler, d’où les jeux répétitifs qui le sécurisent.
En jouant l’enfant construit son monde inconscient. Et inversement, ce qui se passe dans son esprit détermine ses jeux qui sont son langage secret, et le lieu où il règle ses problèmes sous forme symbolique : son angoisse, sa jalousie, son agressivité.
Le jeu est aussi le lieu où il apprend le rire, le plaisir de bien fonctionner, de marcher, de dominer les choses et où il parvient au compromis entre plaisir et réalité qui est essentiel à son épanouissement.
Lorsqu’il joue il fait l’apprentissage des relations sociales, en se faisant amis et ennemis. D’ailleurs, plus il a de camarades de jeux, moins il a besoin de jouets.
En jouant il développe la persévérance qui est, dans notre société, la condition première pour réussir, déjà sur le plan scolaire.
Le jeu est le jardin secret de l’enfant, un lieu de poésie, d’imagination, de symboles.
C’est le pont entre le monde de l’inconscient et le monde du réel. Avoir joué lui permettra de s’adapter mieux aux réalités de la vie. Pour l’enfant qui n’a pas pu jouer, ces deux mondes restent séparés. Une fois adulte, il fuira la réalité dans des univers d’évasion comme la drogue, le travail, l’alcool, les sectes, la spiritualité déséquilibrée.
Le lieu où l’enfant s’amuse peut être significatif pour son avenir. S’il entend sans cesse : « Va dehors, ne reste pas dans la maison », à l’adolescence, il rejoindra « dehors » des bandes de jeunes et fuira la maison, et à l’âge adulte il ne s’amusera vraiment que s’il « sort ».
3. LES RÔLES PSYCHOLOGIQUES
Dans sa famille ou à l’école, l’enfant peut déjà se montrer Victime, Sauveteur ou Persécuteur, répétant ainsi les rôles qu’il jouera à l’âge adulte. En adoptant un rôle de bouc émissaire, de clown, de contestataire, de raté, de surdoué, de malade, il trouve sa place dans la famille et permet souvent à celle‑ci de rester en équilibre.
Dans un foyer dysfonctionnel, il peut aussi choisir d’être l’homme de la maison, la petite maman, le petit dernier, le grand frère, etc.
Il adopte l’un ou l’autre de ces rôles parce qu’il y trouve des bénéfices, mais une fois adulte il risque d’en faire son identité, et de ne pas parvenir à se libérer de son image de clown ou de petite maman.
4. L’ACCEPTATION DE SON TEMPÉRAMENT
Ce terme désigne l’ensemble des caractéristiques physiologiques d’un individu qui agissent sur son caractère, c’est‑à‑dire sur sa manière de réagir à l’environnement.
On compte au moins neuf caractéristiques présentes dès la naissance, qui ne changent pas facilement et peuvent persister toute la vie. Le client doit comprendre que son identité doit beaucoup à ces traits innés (et à la manière dont ses parents y ont réagi) et ne pas se culpabiliser.
L’éducation devrait permettre à l’enfant de bien vivre avec son tempérament et non en nier tel ou tel trait, ce qui laisse toujours des traces à l’âge adulte.
Ces neufs traits distinctifs sont :
- Son degré d’activité ou de passivité.
- La régularité ou l’irrégularité, par exemple dans l’alimentation ou le sommeil.
- La faculté de réaction à la nouveauté.
- L’humeur triste ou gaie.
- La durée de l’attention et la persévérance.
- La faculté de s’adapter.
- La faculté de se concentrer.
- Le seuil de sensibilité à la douleur, à la joie.
- L’émotivité.
Quatre de ces traits distinctifs déterminent de manière essentielle ce que sera l’enfant puis l’adulte. Ce sont : la faculté de réaction à la nouveauté, la faculté d’adaptation, l’humeur et l’émotivité.
5. L’IDENTITE SEXUELLE
C’est la partie de notre identité la plus forte, la plus passionnelle et pulsionnelle.
Bien que la féminité et la masculinité soient des faits biologiques, l’acceptation ou le rejet de soi‑même en tant qu’être féminin ou masculin sont déterminés psychologiquement par les émotions vécues pendant l’enfance.
Un garçon qui entend sa mère lui dire : « Nous avions commandé une petite fille et quand tu es arrivé, nous étions déçus… Mais nous t’aimons tout de même », risque fort de refuser, lui aussi, sa masculinité. Une fillette qui essaie d’être « le petit garçon à son papa » risque d’aliéner sa féminité.
L’identité sexuelle est fortement marquée par le parent du sexe opposé, même si celui du même sexe est important en tant que modèle auquel s’identifie l’enfant. C’est de 2 à 5 ans que se développe le complexe d’Oedipe, qui est une étape normale : le petit garçon est amoureux de sa mère et manifeste de l’hostilité envers son père considéré comme un rival et un modèle. Ce conflit va se résoudre par l’identification à son père. Quant à la petite fille, elle éprouve un attachement amoureux pour son père en même temps que de l’agressivité vis‑à‑vis de sa mère, considérée elle aussi comme une rivale et un modèle.
Le client peut être amené à réfléchir sur les messages et injonctions qu’il a reçus de ses parents vis‑à‑vis du sexe (« C’est sale ! »).
Il se demandera s’il a normalement résolu son complexe d’Oedipe, ou bien s’il est resté attaché au parent du sexe opposé, même après son mariage : c’est la cause de nombreux conflits conjugaux. Parfois le client laisse entendre qu’il a souffert d’abus sexuels ; nous en parlerons au chapitre 22.
Voici quelques questions sur lesquelles il pourrait réfléchir :
- Mes parents voulaient‑ils un enfant d’un autre sexe ? Ont‑ils été déçus à ma naissance ?
- Mon père avait‑il une opinion positive sur les femmes ? Sur ma mère ? Sur les hommes ?
- Ma mère avait‑elle une opinion positive sur les hommes ? Sur mon père ? Sur les femmes ?
- Quel a été mon premier sentiment en ce qui concerne mes organes sexuels (honte, joie, mépris, peur, culpabilité) ?
- Quelles expériences sexuelles ai‑je vécues enfant ?
- Comment se caractérise ma vie sexuelle actuelle : gratifiante ? frustrante ? culpabilisante ? Est‑ce que je prends mon corps à cœur ou est‑ce que je le méprise ?