QUAND LES SENTIMENTS SONT-ILS POSITIFS ?

© Jacques et Claire Poujol. Pages extraites de leur livre « L’accompagnement psychologique et spirituel », Empreinte Temps Présent, 2007. Disponible sur le site de la librairie 7ici ou par mail.

Les sentiments sont l’expression affective de notre personne ; par conséquent notre vie affective commence dès la naissance, et peut-être avant. C’est l’état du Moi Enfant qui abrite (outre nos pulsions, besoins et désirs) nos sentiments. Alors que les émotions sont une réaction non intériorisée (on pleure devant un film émouvant), les sentiments, eux, sont intégrés à notre vécu, notre moi, notre structure.

Le monde des sentiments est très riche. On compte près de mille mots se rapportant à ce thème ! On admet cependant que tous ces mots se rattachent à quatre sentiments de base :

  • la peur
  • la colère
  • la tristesse
  • la joie

Il existe aussi des sentiments mêlés qui combinent deux des quatre sentiments de base, par exemple :

  • Le souci : peur et tristesse
  • La haine : peur de l’autre et colère contre lui
  • La culpabilité : peur de désobéir et colère contre la loi
  • La honte : peur et colère
  • La jalousie : peur d’être abandonné et colère
  • L’envie : la tristesse et la colère

Dans notre culture, et surtout dans les milieux chrétiens, trois de ces sentiments sont souvent considérés comme négatifs : la peur (« preuve d’un manque de foi »), la colère (« mauvaise conseillère », c’est un « péché et un manque de maturité »,) et la tristesse (c’est un « manque de courage et de maîtrise de soi »). Seule la joie est reconnue comme un sentiment positif.

En réalité ces quatre sentiments sont positifs, s’ils répondent à ces critères :

  • Ce sentiment est‑il utile pour résoudre mes problèmes ?
  • Est‑il un bon radar pour faire comprendre le problème à moi et aux autres ?
  • Est‑il adéquat, proportionné à la situation ?

Si oui, ce sentiment vient de l’Enfant Positif, Adapté ou Libre. Si non, c’est un sentiment négatif qui vient de l’Enfant Négatif, Soumis ou Rebelle.

Il existe trois façons de vivre négativement ses sentiments, gaspillant ainsi notre énergie et celles des autres :

  • Les sentiments réactivés et excessifs (ou : élastiques)
  • Les sentiments retardés et accumulés (ou : timbres)
  • Les sentiments substitués et manipulés (ou : rackets)

Avant de les étudier en détail, revenons aux quatre sentiments de base. Pour chacun nous indiquerons le circuit du sentiment positif qui permet de communiquer aux autres et de déclencher une action utile.

Voici quel est ce circuit :

  1. Quand je suis dans une situation donnée,
  2. J’éprouve une sensation associée à cette situation.
  3. Je fais une réflexion sur cette sensation, puis…
  4. J’éprouve un sentiment approprié, ce qui déclenche…
  5. Des actions efficaces permettant de gérer cette situation

A. La peur

  1. Situation : J’éprouve la peur face à une situation future négative, face à un mal futur, à un avenir non maîtrisé.
  2. Sensation corporelle associée à cette situation : Froid, tension musculaire, peur au ventre.
  3. Réflexion sur cette sensation : « Il y a un danger ».
  4. Sentiment approprié : La peur.
  5. Action efficace : Fuir loin de… Etre prudent, trouver du secours

La peur est le sentiment fondateur de notre être et même de l’humanité.

B. La tristesse

  1. Situation : Je suis triste face à un passé douloureux, à la perte d’un bien, une séparation, une déception.
  2. Sensation associée à cette situation : Malaise, envie de pleurer, gorge serrée.
  3. Réflexion sur cette sensation : « C’est une perte. »
  4. Sentiment approprié : La tristesse.
  5. Action efficace : Repli sur soi, en soi‑même, auto‑consolation ou recherche de réconfort

La tristesse est le plus fréquent des sentiments, le plus légitime. Mais sa manifestation est très réprimée par les conventions sociales.

C. La joie

  1. Situation : Je considère mon présent comme agréable, me procurant ce que j’attends de bon. Ou je pense à l’avenir comme porteur de plaisir pour moi.
  2. Sensation : Bien‑être, paix intérieure, désir que cela continue.
  3. Réflexion sur cette sensation : « C’est une réussite, c’est bon. »
  4. Sentiment approprié : La joie.
  5. Action efficace : Conserver la réussite, aller vers les autres, partager la joie

La joie est le but de l’existence pour les humains. Un état de joie continue est appelé le bonheur.

D. La colère

  1. Situation : Je suis en colère face à un mal actuel ou une injustice présente.
  2. Sensation : Chaleur, hausse de la tension, poussée d’adrénaline.
  3. Réflexion sur cette sensation : « Il y a un obstacle, c’est injuste. »
  4. Sentiment approprié : La colère.
  5. Action efficace : Aller contre… Attitude de défense, d’attaque ou demande de changement.

Etant donné la connotation très négative attribuée à la colère dans certains milieux chrétiens, nous nous y intéresserons de plus près.

Lorsque quelqu’un nous offense, nous pouvons réagir de quatre manières différentes :

  • Au lieu de nous sentir victimes et en colère, nous ressentons de la culpabilité et de la honte, et nous nous détruisons nous‑mêmes.
  • Nous sommes submergés par une colère excessive qui se transforme en haine, violence et désir de vengeance.
  • Nous sommes en colère, ce qui déclenche un afflux d’énergie dans notre corps. Mais, parce que l’on nous a appris à considérer la colère comme un péché, nous ne nous autorisons ni à la ressentir, ni à l’exprimer. Nous la nions et la refoulons.

Au lieu de la tourner contre notre offenseur, ce qui serait juste, normal et sain, nous la retournons contre nous-même. Si nous faisons cela régulièrement, nous risquons de développer à la longue des maladies psychosomatiques telles que de l’asthme, un ulcère, de l’hypertension, une colite, la migraine et surtout la dépression. De fait, la colère retournée contre soi‑même est la cause majeure de la plupart des dépressions.

Une colère refoulée explose toujours tôt ou tard, parfois trente ou quarante ans après l’offense. Nous avons donc tout avantage à retrouver, identifier cette colère et à l’exprimer verbalement en présence du conseiller. Parfois une expression physique, symbolique, de la colère, sera nécessaire.

  • Nous sommes en colère de l’offense qui nous a été faite et réclamons un jugement de l’offenseur : celui-ci doit se repentir et nous demander pardon. C’est cette quatrième réaction qui est bien entendu la meilleure sur la plan psychologique comme sur le plan spirituel.

Nous devrions donc pouvoir exprimer la colère en cas d’injustice, de violation d’un droit essentiel surtout lorsque nous sommes enfant. La colère, comme la douleur, a une fonction de message, elle nous signale que quelque chose ne va pas. Comme le voyant d’huile dans une voiture, elle nous avertit d’un problème. Or, dans certains milieux chrétiens, on ne nous a pas appris que la colère est nécessaire et bonne, mais qu’elle est toujours un péché. Ceux qui nous ont appris cela confondaient peut‑être colère et violence, et refusaient toute colère par crainte de la violence. Or la Bible est claire, Ephésiens 4.26 donne cet ordre : Mettez‑vous en colère et ne péchez pas. C’est un impératif présent.

On trouve environ 600 références bibliques concernant les mots : colère, courroux, fureur, indignation, rage. Un tiers parle de la colère de l’homme, deux tiers de la colère de Dieu. Jésus s’est mis en colère, s’est indigné. Luther disait : « Quand je suis en colère, je prie mieux, je prêche mieux. »

Rappelons‑nous : étant enfants, pouvions‑nous nous mettre en colère sans enfreindre un tabou ? Nous donnait‑on le droit à la colère, sans avoir peur de perdre ce à quoi nous tenions par‑dessus tout, l’amour de nos parents ? (L’enfant qui voit ses parents en colère, parfois violents, en conclut qu’il est rejeté, pas aimé. Il doit apprendre qu’on peut être en colère et continuer à aimer.) Quand nous subissions une injustice, avions‑nous le droit à la colère, à l’indignation, avant d’accorder le pardon ?

Rappelons qu’un sentiment est positif :

  • Quand il est fonctionnel : sa fonction est d’informer les autres (et moi-même) sur mon état face à une situation.

Les sentiments sont un langage qui nous renseignent sur nous-même et communiquent aussi aux autres des informations sur notre état.

  • Ainsi par sa peur, l’autre me dit : « Protège‑moi. »
  • Par sa colère, il me dit : « Change ma situation. »
  • Par sa tristesse, il me dit : « Console‑moi ».
  • Par sa joie, il me dit : « Maintiens ma réussite. »

Il est donc totalement inefficace de proposer le réconfort à une personne en colère (« Tout va s’arranger ! ») ou un changement de situation à une personne qui a peur.

Seule l’action appropriée au sentiment donne des résultats positifs.

  • Quand il s’exprime librement :
    • Je suis très contente d’avoir eu mon permis.
    • J’ai peur de cet entretien d’embauche.
    • Je suis triste, ma meilleure amie va déménager.
    • Je suis vraiment fâché contre toi parce que…
  • Quand le sentiment qui s’exprime est celui que l’on éprouve (il ne convient pas d’exprimer de la colère si on éprouve de la peur).
  • Quand il s’exprime au bon moment, et pas de manière excessive.