4. Le courage d’être
Comme ouverture vers une foi plus saine, je m’appuierai sur le travail du théologien Paul Tillich qui a développé le concept de «courage d’être».
La vie est difficile, elle demande donc du courage. Ce courage Tillich le définit comme étant «l’affirmation de l’être en dépit du non-être».
André Gounelle, spécialiste de Tillich, explique que cette pensée se fonde sur une constatation toute simple: la vie exige des efforts et des combats continuels. Chaque jour, nous travaillons et nous luttons contre nous-mêmes, contre les autres, contre le cours des événements. Nous sommes agressés et gagnés par une forme d’angoisse:
- Sur le plan physique, à cause de la maladie et la mort : La crainte de l’anéantissement de notre personne est peut-être la plus prégnante. Rares sont ceux qui ne l’éprouvent jamais. Nous avons une conscience parfois atténuée mais d’autres fois beaucoup plus aiguë du caractère vulnérable et éphémère de notre propre existence. Nulle part ni jamais, nous ne sommes hors de danger.
- Sur le plan moral, à cause de la culpabilité : Nous avons alors l’impression de ne pas être à la hauteur, d’avoir toujours quelque chose à nous reprocher, de manquer d’innocence, d’intégrité. Par ailleurs, nous vivons souvent nos échecs comme une dévaluation, une déchéance qui atteint et agresse notre être. Cette conscience morale en accusation nous laisse sans défense devant les assauts du désespoir.
- Sur le plan spirituel, à cause de l’absurde ou du non-sens : La vie moderne augmente notre impression de mener une vie de fou dans un monde déboussolé, et l’effondrement des institutions et des valeurs traditionnelles renforce ce sentiment.
La mort, la culpabilité et l’absurde, voilà les trois formes que prend ce que Tillich appelle le «non-être». Ce n’est pas le vide, ou l’absence d’être, mais ce qui agresse notre être et essaie de le dégrader avant de le détruire.
Et pourtant, nous vivons. Jour après jour, nous affrontons ces forces négatives, nous leur résistons, nous ne les laissons pas nous submerger. Vivre demande du courage, le courage de ne pas s’abandonner, de ne pas démissionner, d’aller de l’avant, ce que Tillich appelle «le courage d’être», «affirmer l’être en dépit du non-être». Tillich définit ce courage d’être comme le courage d’accepter d’être accepté bien que l’on se sente inacceptable. Il s’attaque ainsi au refus de soi qui peut nous envahir et nous submerger.
A. La source du courage
Paul Tillich relève que la source du courage qui nous permet de nous affirmer devant le non-être ne réside ni dans la société ni dans l’individu seul, mais ailleurs. Nous sommes à la fois solitaires et communautaires; nous participons et en même temps nous nous séparons; nous appartenons à des ensembles et nous conservons notre personnalité propre. Cet ailleurs, que nous désignons par le terme de transcendance, nous l’appelons Dieu.
Ouverture à la présence mystérieuse de Dieu, le courage d’être selon Tillich est synonyme de foi et de vie. C’est une traversée confiante de l’existence et de ses désordres.
Pour Tillich, une foi authentique est tissée de questionnements et d’interrogations; le doute qui l’accompagne sans cesse, en est un élément constitutif; elle ne l’écarte pas. Elle ne se présente pas comme un savoir absolu, comme un sens indiscutable, mais comme un pari, un risque qui n’exclut pas mais, au contraire, implique la possibilité de l’erreur et de l’échec.
Dans son petit livre, Grain de sel, paru chez Actes Sud, James Woody écrit ceci: Si le doute a mauvaise presse parmi les croyants, c’est en raison d’une conception statique de la foi et, finalement, de Dieu, qui serait immuable. À cela s’ajoute une mauvaise traduction française d’un épisode biblique qui met en scène Jésus marchant sur l’eau et l’un de ses disciples, Pierre, qui le rejoint puis se met à couler. Cet épisode se solde par une question de Jésus: «Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté?» (Matthieu, XIV, 31) Le verbe grec serait plutôt à traduire par «hésiter», se tenir entre deux, sans faire de choix. Le peu de foi dont il est question dans ce passage ne correspond pas à l’usage du doute, mais à l’incapacité du disciple à s’attacher véritablement à l’horizon que lui propose Jésus. Le peu de foi correspond au fait que Pierre n’est pas saisi inconditionnellement par le Christ; il est plutôt saisi par les menaces qui l’entourent.
B. Quel Dieu?
Tillich propose ainsi une définition nouvelle de Dieu, comme étant Dieu au-dessus de Dieu.
On se représente souvent Dieu comme une puissance extérieure au-dessus de nous. Il faut d’après Tillich, penser Dieu autrement, non pas comme extérieur à nous, ni, non plus, comme identique à nous, mais comme cette puissance d’être, cette puissance pour la vie, qui nous habite et agit en nous mais sans se confondre avec nous.
Il faut penser Dieu «au-dessus de Dieu» c’est-à-dire au-delà des doctrines, des images et des rites qui servent à l’exprimer et qui n’ont de vérité et de puissance que si on y voit des symboles de cet Ultime qui nous dépasse tout en demeurant en nous, qui est la puissance d’être qui affronte en nous le non-être, tout en n’étant pas simplement ou seulement notre être. Il s’agit donc bien d’une transcendance, puisque sa source ne se situe ni dans le monde ni en nous.
La perspective est donc ici de s’ouvrir à un amour plus fort que notre propre refus de nous-même, d’être porté par le fondement de l’être au cœur même des réalités les plus dures, de pouvoir se réjouir du seul fait d’être vivant dans ce monde, d’accepter d’être accepté par Dieu.