LA DIMENSION DE LA FÊTE DANS LA SEXUALITÉ CONJUGALE

Conférence donnée lors de la 3ème Université d’été de la relation d’aide chrétienne

24 août 2010 à Lyon-Valpré

par Olivier Florant, Sexologue, conseiller conjugal et familial du CLER

Auteur de Ne gâchez pas votre plaisir, il est sacré, Pour une liturgie de l’orgasme

Presses de la Renaissance 2006, Cabinet Saint Paul à Paris

Disponible sur le site de la librairie 7ici ou par mail.

 

Qu’est-ce qu’une fête ?

À l’origine du mot, les fêtes ont une nature religieuse, et ce dernier mot évoque pour nous à la fois la notion de relier (religare en latin) et de relire (relegere). Relier apporte une note d’espace, relire une touche de temps. La fête est une constante dans toutes les cultures. Se situer dans l’espace et le temps, réfléchir à (relire) la notion de fête serait alors en dernière analyse marquer l’espace et le temps pour indiquer un sens comme on balise un chemin, le chemin de la vie. Les Romains marquaient ainsi la cohorte des jours albo vel nigro lapillo notando dies (noter le jour par un caillou blanc ou noir).

La fête est un temps qui permet d’échapper au quotidien et à ses vicissitudes : les tâches à effectuer, le manque de moyens pour les faire, les projets qui nous entraîneraient à vivre mais n’avancent pas assez vite pour nous enthousiasmer ; les échecs qui découragent et le temps qui passe inexorablement.

Comment faire pour arrêter ce temps ou du moins faire semblant de l’arrêter ? La vie est misérablement courte !

La fête est un temps hors du temps ordinaire pendant lequel nous allons concentrer le plaisir de vivre, pour que ce temps reste dans la mémoire de chacun et du groupe, à défaut de rester dans l’élan du présent que nous désignons par « le bon moment » la bonne heure, le kairos. Les fêtes sont les bons moments, les jours fastes, les jours marquants et donc notés d’une pierre blanche pour s’en souvenir, pour les rappeler comme on rappelle les acteurs et musiciens qui ont enchanté la fête.

Les fêtes marquent les heureux événements : la fin d’une épreuve ou l’achèvement heureux d’un projet. On cesse donc le travail du quotidien et ses contraintes pour se réjouir, pour jouir de la vie. On se met hors du temps du quotidien. Dans toutes les civilisations les fêtes marquent le temps et l’égrènent. Plus les peuples sont pauvres et plus dur est le quotidien, plus les fêtes sont importantes. La vie se donne de beaux airs, allant de fête en fête, espérant les réjouissances de la suivante pour passer le temps de la peine et le labeur du jour : salve festa dies ! Je te salue, jour de fête ! (Hymne écrite par Venance Fortunat en 609)

La fête est par essence du domaine de l’humain, donc du domaine du sens. C’est même le sens qui oriente nos sens. Je vous convie donc à chercher ensemble le sens que peut avoir pour vous, pour moi la fête dans le cadre de l’amour et de la sexualité conjugale.

Pour chercher le sens, il faut faire preuve de prudence, comme à la chasse, il se cache souvent derrière les fourrés de l’évidence. Méfions-nous des évidences. C’est souvent un puits dans lequel tombe la raison.

Puisque je m’adresse à une assemblée réunie au nom du Christ Jésus, j’ajoute que pour oser croire, il faut savoir douter. C’est la base de l’entendement.

L’intelligence commence quand on apprend à douter. Nous croyons vivre dans la réalité, nous ne vivons que dans l’un des univers possibles d’interprétation de la réalité : mon logos n’est pas le Logos de l’univers. La façon dont nous nommons les êtres et les objets nous enferme dans une vision du monde : il y a plusieurs façons de désigner la réalité par des mots. Il y a donc des querelles d’interprétation.

A Paris ou à New York les rues portent des noms pour repérer les pâtés de maisons, qui sont des espaces sans nom qu’elles délimitent. A Tokyo, les rues sont les interstices sans nom compris entre des espaces (les blocs) qui portent un nom.

Cette introduction était destinée à raviver votre curiosité et vous aider à considérer ce qui nous entoure avec un autre regard, une autre écoute, une saveur différente, une autre façon de sentir quand nous pensons la fête en lien avec la sexualité. Alors pour nous, quel sens donnons-nous à la fête des sens ?

La fête sert à marquer le sens de chaque acte structurant de la vie sociale. Le temps pour les anciens est cyclique. Le retour des saisons et des tâches saisonnières est rassurant. On attend la fête comme on attend l’aurore. Ceux qui ne croient pas ou plus, que demain sera encore un jour, perdent toute espérance et tout goût de vivre. Celui qui se sait ou se croit « à l’heure de la mort » attendent la délivrance de cette angoisse. La fête est une promesse de lendemain et de retour du temps. Les fêtes marquent le temps de ce qui semble le plus prévisible le mouvement des astres, et des saisons, du cycle menstruel.

Les Romains, si ce n’étaient leurs esclaves, n’avaient que 65 jours sans fête (donc de labeur) par an.

Ils n’avaient pas adopté le rythme hebdomadaire de la Bible et le repos sabbatique pour jouir de l’amitié divine et des bienfaits de la Providence.

Pour un Juif pieux la célébration du sabbat commande d’améliorer l’ordinaire, de donner un air de fête aux lieux quotidiens, et de célébrer l’amour que Dieu prodigue en aimant à son tour, à son image, dans le lien conjugal. Il convient de célébrer l’Amour, si proche dans les termes de l’Eros unificateur, de l’Un de la Grèce primitive.

En régime chrétien – autre nom du Royaume – le temps n’est pas cyclique. Quoique. Je dirais plutôt que la boucle n’a qu’un tour. La résurrection est la fête définitive et se fête chaque dimanche, jour du Seigneur, en attendant son retour comme on attend l’aurore, le soleil levant qui vient nous visiter. La fête dure toute la semaine comme l’indiquaient les vieux psautiers en latin (Vendredi, sixième jour de la férie).

La fête est indispensable à la vie sociale, et les empires ont créé leur propre religion d’Etat avec des fêtes où le culte des hommes remplace le culte des dieux (14 juillet, fête de la Nation, le 11 novembre, fête laïque des morts)… Tout y est, des statues, des temples, des grands prêtres, des thuriféraires, des hymnes, des costumes, des chants, et même des minutes de silence quand on n’a plus rien à dire, au temps qui était celui de la prière. Minutieusement calculée par le protocole : une minute de silence dure en France 20 secondes, après quoi la fanfare entonnera l’hymne national.

Chaque fête structure le temps, et le temps structure chaque fête. Cet ordre, cette organisation, était appelé Leiturgeia par les Grecs, ce qui a donné le mot liturgie.

La façon juive de célébrer le Sabbat est de ne rien faire, mais de se réjouir : bien manger, bien boire avec même un zeste d’ivresse, et prendre du bon temps avec son conjoint si cela vous dit (oui, « Samedi » !). Tes amours sont plus délicieuses que le vin, nous raconte le Cantique des Cantiques.

Deux façons de faire la fête peuvent alors se déduire des coutumes anciennes.

Faire de l’amour conjugal une fête, mais aussi célébrer les fêtes de la vie et de la Foi en y incluant le temps de l’amour. Les deux font très bon ménage, au sens fort du mot ménage.

Puisque l’essence de la fête est le temps de la réjouissance, il convient d’en prendre le temps, et de prendre son temps. Cela veut dire accepter de se libérer des contraintes ordinaires, et donc de s’organiser. Une fête, cela se prépare, et les préparatifs – les préliminaires – sont d’autant plus longs que la fête se veut importante… et réussie.

La relation sexuelle n’est pas une détente. C’est même la montée en puissance d’une tension, mais elle suppose une détente préalable. Dans la mesure du possible, il convient de laisser à la porte de la pièce le reste des soucis quotidiens. Ce n’est pas si facile. Certains disent que c’est encore moins facile pour les femmes que pour les hommes. Ceci est une généralité qui souffre cependant maintes exceptions.

L’important est que le couple se connaisse suffisamment pour apprécier l’état de relâchement de chaque époux. En particulier les bisbilles entre époux sont un facteur de tension qu’il ne faut pas négliger. Même si l’amour entre nous deux a déjà vaincu bien des difficultés, les bisbilles en cours vont assez facilement gâcher la fête.

Il convient donc de mettre des draps propres dans le lit de nos âmes. Cette purification des émotions gagne à être faite la veille, pour que le sommeil et les rêves achèvent les réparations psychologiques éventuellement nécessaires. Si la demande et le pardon sont sincères, soyons assurés que le processus de réparation propre au psychisme aura préparé cette disponibilité confiante qui sied aux ébats conjugaux.

Il ne faut pas non plus être épuisé de fatigue ou déjà atteint par l’endormissement naturel de la digestion d’après dîner. Combien de couples réservent hélas aux ébats conjugaux le moment le moins favorable, le soir d’une semaine de travail après dîner ! Sauf si la relation conjugale ne sert que de somnifère au mari…

Comment faire ?

Avec des enfants en bas âge, les parents peuvent consacrer le temps du repas des enfants à ces derniers, mais sans manger avec eux. Ils se sentiront plus disponibles le ventre creux. Il sera toujours temps de passer au frigo si une petite faim subsiste après le relâchement orgastique. Mieux vaut des unions où l’on prend son temps que des messes basses ou des prières vite dites, juste pour se dire qu’on les a dites. Fast food rime avec mal bouffe ! Fast sex rime donc avec quoi ?

Pour oublier le temps ordinaire, il faut aussi oublier les mauvais moments. En particulier ceux où nos cœurs se sont mutuellement blessés. Dans un couple très lié, cela arrive souvent plusieurs fois par jour ; même si les écorchures n’empêchent pas d’avancer, elles dissuadent de s’arrêter au bord de la route. Elles fatiguent l’attention qu’on porte à celui qu’on aime.

Pour être au sommet de sa forme, un athlète doit soigner son corps pour la moindre égratignure, à l’instar de ce spécialiste du cross orientation, genre raid Gauloises, qui après la couse se passait soigneusement un coton tige imbibé de Bétadine sur chacune des éraflures dues aux épines et ronces pendant le raid.

Plus on aime, plus on a envie d’aimer, plus il faut se demander pardon. C’est le sens des draps propres et de l’habit de fête qu’on revêt pour entrer dans la salle de banquet. Compte tenu du temps qu’il faut pour s’apaiser et se préparer à la fête, pour qu’elle soit vraiment une fête et non une action convertible en obligation, il faut sans doute s’y prendre au moins la veille au soir.

Mais si le passé des mauvais jours peut nous séparer, c’est le passé heureux aux jours de délivrance qui nous rassemble. A part les réflexes automatiques dus à l’espèce, c’est la somme des moments heureux et des victoires sur ses difficultés du couple qui lui donne son existence présente. Le couple, comme tout groupe, se renforce en évoquant ce passé unifiant. C’est aussi pourquoi avant le don des corps il faut le temps de la remémoration, le temps de la parole ; une liturgie de la parole. Comme au temple, comme à l’église.

Et après peut-on consommer notre union ?

Pas encore, il nous reste à nous unir dans le futur avant de nous lier dans le présent de l’amour. Ce futur, c’est le temps de la promesse, et donc de la fidélité, c’est-à-dire de la confession de foi.

C’est alors que la fête peut continuer par la consommation du repas. Le mot communier, on l’oublie parfois, signifie partager un repas, à la fois pour prendre des forces et pour se donner de la joie (bien plus que du plaisir).

On offre son corps, on l’élève, on s’offre : ceci est mon corps, on s’en pénètre, mais un corps humain sans l’esprit est soit un cadavre, soit un imbécile. Alors, quand on se rend présent à l’autre dans l’amour, c’est tout son esprit, toute son âme, toute sa conscience qui doit être présente, et non pas avec le fantasme de la voisine ou du voisin.

Enfin, après le temps où l’on goûte sans mot le plaisir d’être, dans une semi-conscience qui n’est plus consciente que d’elle-même, vient le temps du retour sur terre : « Ne restez pas ici ». L’homme est poussé hors du paradis des amoureux par le glaive puissant de la période réfractaire ! « Allez, il est temps de reprendre le travail, de sortir pour la mission de demain ; envoyés deux par deux pour hâter le jour du retour, dans l’attente d’une autre vie. »

Demain est le premier jour du reste de notre vie. De nouveau, salve festa dies, je te salue, jour de fête… !