LA COLÈRE

© Jacques et Claire Poujol. Pages extraites de leur livre « L’accompagnement psychologique et spirituel », Empreinte Temps Présent, 2007. Disponible sur le site de la librairie 7ici ou par mail.

La colère est une réaction tout autant psychique que biochimique. Nous l’éprouvons normalement quand nous sommes devant une injustice réelle ou perçue comme telle, ou devant une situation qui rappelle celle-ci. Elle se manifeste comme une réaction d’autodéfense. Comme la souffrance physique, elle est une alarme indiquant une injustice vécue.

1. Les différentes façons dont nous réagissons à une injustice

Lorsque nous sommes victimes d’une injustice, nous pouvons réagir de plusieurs manières différentes :

  • Au lieu de nous sentir victimes, nous ressentons de la culpabilité et de la honte, ce qui nous nuit fortement.
  • Nous sommes submergés par une colère excessive qui se transforme en haine, violence et désir de vengeance. Cette agressivité, ce passage à l’acte, n’est pas la bonne expression de la colère, elle ne laisse que déception et culpabilité. Il se produit un renversement de culpabilité, car bien que nous soyons victimes, notre souffrance nous fait réagir avec une colère excessive, ce dont nous nous culpabilisons ensuite. Cependant ne confondons pas notre façon excessive de réagir à une offense avec cette offense elle-même.
  • Nous sommes en colère, ce qui déclenche un afflux d’énergie dans notre corps. Mais, parce que l’on nous a appris à considérer la colère comme un péché, nous ne nous autorisons ni à la ressentir, ni à l’exprimer. Nous la nions et la refoulons, ce qui nous est nuisible.

Au lieu de la dire à notre offenseur, ce qui serait juste, normal et sain, nous la retournons contre nous-mêmes. Si nous faisons cela régulièrement, nous risquons de développer à la longue des maladies psychosomatiques. De fait, la colère retournée contre soi-même est la cause majeure de la plupart des dépressions.

Une colère refoulée ou mal gérée explose toujours tôt ou tard, parfois trente ou quarante ans après l’offense. Nous avons donc tout avantage à retrouver, identifier cette colère et bien l’exprimer. Parfois une expression physique, symbolique, de la colère, sera nécessaire.

  • Nous sommes en colère de l’offense qui nous a été faite et réclamons que la personne qui est à l’origine de cette colère reconnaisse qu’elle nous a offensés. C’est cette quatrième réaction qui est bien entendu la meilleure sur le plan psychologique comme sur le plan spirituel.

Nous devrions donc pouvoir exprimer la colère en cas d’injustice, de violation d’un droit essentiel.

2. La « bonne » colère et la « mauvaise » colère dans la bible

On trouve environ 600 références bibliques concernant les mots : colère, courroux, fureur, indignation, rage. Un tiers parle de la colère de l’homme, deux tiers de la colère de Dieu !

Il y a plusieurs mots en grec dans le Nouveau Testament pour la « colère ». Les deux principaux, orgè et thymos, nous éclairent sur la signification des différentes colères possibles, bien qu’il y ait des variantes :

Le dictionnaire encyclopédique de la Bible de A. Westphal (entre autres références), indique :

A. Orgè

Orgè signifie de manière générale la colère-émotion, l’expression normale de l’injustice, la « bonne colère », par exemple :

  • la colère que Dieu éprouve face aux hommes : « nous étions par nature voués à la colère (orgè)» (Ephésiens 2 : 3).
  • « Il y aura une grande détresse dans le pays, et de la colère (orgè) contre le peuple » (Luc 21 : 23)
  • la colère de Jésus après une guérison un jour de sabbat « promenant ses regards sur eux avec indignation (orgè)» (Marc 3 : 5).
  • Luc 14 : 21 « le serviteur de retour, rapporta ces choses à son maître. Alors le maître de la maison, irrité (orgè), dit à son serviteur : va promptement sur les places. »
  • Actes 17 : 16 : « comme Paul les attendait à Athènes, il sentait au dedans de lui son esprit s’irriter (orgè) à la vue de cette ville pleine d’idoles.
  • C’est aussi la colère que Paul nous demande d’avoir : dans le grec, « Mettez-vous en colère » et non « Si vous vous mettez en colère », c’est un impératif présent (Ephésiens 4 : 25-28).

Rappelons-nous que ce texte est en relation avec la marche dans la vérité avec son prochain.

Plus loin, « que le soleil ne se couche pas sur votre colère », c’est la colère qui couve, celle qui n’est pas exprimée. Ici déjà le mot orgè est devenu parorgismos, de même dans Ephésiens 6 : 4 : « Pères, n’irritez pas vos enfants. »

B. Thymos

Thymos est un type de colère violente, agressive, où on s’emporte, parfois avec fureur, la « mauvaise colère ».

Notons toutefois que ce terme est parfois employé pour la colère de Dieu face aux iniquités des hommes (neuf fois dans Apocalypse et dans Romains 2 : 8 : « aux âmes rebelles… la colère et l’indignation »).

Le plus souvent le mot indique la colère qu’il nous faut éviter, la colère négative par ses réactions inconsidérées : Hérode, pris d’une grande colère (thymos), envoie tuer les nouveaux-nés (Matthieu 2 : 16) ; les habitants de Nazareth sont remplis de fureur (thymos) face à Jésus (Luc 4 : 28).

C’est cette colère que Paul évoque en Galates 5 : 20 où la colère thymos est l’œuvre de la chair opposée au fruit de l’Esprit.

Le fruit de l’Esprit dans Galates 5 : 22 (lent à la colère, traduit par patient) est makrothumia) qui signifie une colère longue à exploser. Pour qu’elle soit longue à exploser, il faut qu’elle soit là, ce qui sous-entend qu’il ne nous est pas demandé de ne pas avoir de colère, mais de la gérer avant qu’elle ne devienne « longue » à exploser. Le fruit de l’Esprit ne consiste pas à ne pas éprouver de la colère, mais à la dire convenablement.

Ce n’est pas seulement dans la façon d’exprimer la colère qu’est la différence, mais aussi dans l’origine de cette colère, dans la relation à l’autre.

Jésus n’a pas fait de mal à Hérode, pourtant celui-ci est en colère contre lui.

3. Pourquoi nous est-il difficile d’exprimer la « bonne » colère ?

Rappelons‑nous : quand nous étions enfants, nous donnait-on le droit de nous mettre en colère sans enfreindre un tabou ? Nous donnait‑on le droit à la colère, sans avoir peur de perdre ce à quoi nous tenions par‑dessus tout, l’amour de nos parents ? (L’enfant qui voit ses parents en colère, parfois violents, en conclut qu’il est rejeté, pas aimé. Il doit apprendre qu’on peut être en colère et continuer à aimer.) Quand nous subissions une injustice, avions‑nous le droit à la colère, à l’indignation ?

4. Pourquoi restons-nous parfois coincés dans la « mauvaise » colère ?

Si nous demeurons coincés dans une colère chronique, cette colère, si nécessaire aux débuts de notre processus de guérison intérieure, finira par le freiner. Mais nous avons des raisons pour rester dans cette mauvaise colère :

  • Quand nous exprimons la colère de manière négative, cela nous donne l’impression de mieux tenir la situation en main, de manifester de la puissance, en face de notre impuissance passée.
  • Nous utilisons aussi la colère pour nous protéger, nous sentir moins vulnérables.
  • Nous l’utilisons comme moyen d’affirmer que nous avons raison.

Mais voulons-nous seulement avoir raison ou voulons-nous aussi être heureux ?

  • La colère nous permet aussi de nous raccrocher à notre rôle de victime. En « lâchant la colère », nous abandonnons ce « rôle ». Cela n’enlèvera pas le fait que nous avons réellement été une victime, mais ce rôle ne dominera plus notre identité et notre vie émotionnelle. Nous pouvons exister sans ce rôle de victime qui remplit notre vie !
  • La colère nous évite en outre d’assumer la responsabilité de ce qui se passe maintenant.

5. Pourquoi bien gérer notre colère et comment le faire ?

Si nous gérons bien notre colère, cela nous évite d’éprouver certains sentiments destructeurs qui ne peuvent pas coexister avec la « bonne » colère :

  • La haine ne peut pas coexister avec la « bonne colère ».
  • L’angoisse ne peut pas coexister avec la « bonne colère ».
  • La honte ne peut pas coexister avec la « bonne colère ».
  • L’anxiété ne peut pas coexister avec la « bonne colère ».

Cela devrait nous donner à réfléchir quand nous éprouvons haine, angoisse, honte, culpabilité, ne vaudrait-il pas mieux retrouver, et dire, la « bonne colère » pour être libérés de ces sentiments destructeurs ?

Dans la colère, comme dans la souffrance, c’est le sujet qui dit « je ». Elle est l’expression de celui-ci. C’est pourquoi il est difficile de bien la dire.

Pour bien gérer la colère, nous comprenons qu’il nous faut ni l’éviter, ni la refouler, ni agresser, mais arriver à la dire en Sujet.

 Il y a deux moments où la colère devrait s’exprimer :

  • Dans la vie quotidienne, quand je suis victime d’une injustice.

Je dois arriver à la dire à l’offenseur, en Sujet :

« Voilà ce que tu as fait. »

« Voilà ce que j’ai ressenti. »

« Voilà ce que j’attends. »

  • Lorsque les colères qui auraient dû s’exprimer dans le passé n’ont pas pu l’être (il s’agit d’offenses anciennes subies et non ou mal exprimées).

« Voilà ce que tu m’as fait. »

« Voilà ce que cela a fait dans ma vie. »

En effet, l’offense reçue nous a infligé une blessure qui est ravivée régulièrement par les autres. Elle suscite en moi des émotions et cela altère mes relations aujourd’hui avec les autres.

« Voilà ce que j’attends de toi aujourd’hui. »

En conclusion, la « bonne colère » orgè est, sur le plan psychologique et spirituel, une étape indispensable et importante pour accéder à un mieux-être.