1. La démarche principielle

A. Présentation de cette approche

Il existe une tension entre l’actualité éternelle de la Bible et son enracinement historique. En effet, en tant que Parole de Dieu, la Bible demeure éternellement actuelle ; elle parle à l’humanité entière, de tous temps et de toute culture. Mais parce que Dieu a choisi de prononcer sa parole avec des mots humains dans l’histoire, chaque livre de la Bible possède aussi une particularité historique ; chaque document est conditionné par le langage, le temps et la culture dans lesquels il fut écrit.

Comme nous l’avons vu au chapitre 3, puisque les auteurs de la Bible ont écrit en coopération avec le Saint-Esprit tout en gardant leurs spécificités, toutes leurs paroles sont donc paroles de Dieu aussi bien que paroles humaines. Il s’agira pour nous de savoir passer du particularisme historique à notre situation actuelle. C’est l’approche principielle qui nous permet de relever ce défi.

Il s’agit de découvrir, dans l’énonciation d’un texte toujours lié à des circonstances concrètes, le principe qu’il incarne, les finalités qu’il poursuit, le message qu’il véhicule. Puis, une fois le principe du texte identifié, il faut le traduire dans une application pour nos circonstances actuelles. Souvent, cette application sera bien différente de celle du texte biblique car les circonstances ont changé. Mais le principe, lui, reste le même au cours des temps. Par exemple, la déclaration de Jésus dans un langage figuré : «Si ton œil est pour toi une occasion de chute» reflète le principe selon lequel il faut s’écarter de ce qui risque d’être une tentation pour nous. Ce principe est applicable différemment selon les tentations de chacun, même si le principe reste le même. Le chrétien du 21ème siècle n’a pas besoin de ressembler culturellement aux chrétiens du 1er siècle pour faire la volonté de Dieu. Il doit plutôt obéir aux principes de la révélation biblique.

La démarche principielle part donc du constat que les textes bibliques sont l’expression directe ou indirecte de principes spirituels universels. Cela signifie que nous n’ignorons pas le particularisme culturel de la Bible, mais que nous ne nous laissons pas paralyser par lui non plus. La Parole de Dieu transcende les cultures, y compris celle dans laquelle elle a été exprimée.

La question se pose toutefois : pourquoi Dieu a-t-il préféré que sa Parole nous soit transmise par un livre enraciné, pour l’Ancien Testament dans une culture du Proche-Orient ancien et gréco-romaine pour le Nouveau, plutôt que nous livrer, chaque année, une version mise à jour de sa volonté, comme il en existe pour les logiciels informatiques ? Pourquoi a-t-il choisi de se révéler à travers des circonstances et des événements spécifiques ?

Certainement parce qu’il nous considère, non comme des pantins mais comme des êtres responsables qui s’emploient à trouver une voie, une façon de vivre notre foi à la fois toujours personnalisée et fidèle à sa pensée pour notre vie. L’enjeu est d’éviter que la lettre tue et d’avoir un rapport au texte par l’Esprit qui vivifie. Une telle lecture de la Bible permet de nous forger des convictions justes et de nous conduire à un plus grand respect du texte, bien davantage sur le fond que dans la forme.

B. L’approche principielle pratiquée par les auteurs bibliques

En fait, cette approche principielle est la démarche des auteurs bibliques. Lorsque Jésus, Paul ou d’autres veulent actualiser un texte biblique, en l’occurrence un texte de l’Ancien Testament, ils en dégagent le principe puis en identifient une application pour telle circonstance.

Ainsi, même si l’apôtre Paul ne livre nulle part le procédé précis de sa façon de lire l’Ancien Testament pour l’actualiser, les exemples d’actualisation dont il illustre ses épîtres montrent que c’est là sa démarche.

C’est le cas en 1 Corinthiens 9,9 sur la question du salaire des conducteurs spirituels. Pour inciter l’église de Corinthe à subvenir aux besoins de ceux qui prêchent la Bonne Nouvelle parmi eux, Paul aurait pu plus simplement se référer à un texte comme le traitement des Lévites ou à un autre sur la nécessité de payer ceux que l’on emploie. Mais au lieu de cela, Paul reprend un texte de Deutéronome évoquant une histoire de bœuf muselé : «Tu ne muselleras pas le bœuf quand il foule le blé».

De ce texte, il va tirer le principe selon lequel celui qui travaille doit jouir du fruit de son travail. Puis il en tire une application à la situation des Corinthiens : payez ceux qui exercent le ministère de la Parole auprès de vous ! Le lien entre ce texte sur le bœuf et la situation des Corinthiens ne semble avoir aucun rapport et pourtant, par l’utilisation de ce que nous avons appelé «l’approche principielle», il dégage le principe de ce texte de l’Ancien Testament pour en trouver une application pertinente. A tel point qu’il ajoute même : «Oui, c’est à cause de nous qu’il a été écrit ceci» !

Comme Paul, les auteurs du Nouveau Testament font un usage principiel des textes de l’Ecriture. Ce qui compte pour eux, c’est l’idée du texte, son principe. On voit cela à leur façon de citer l’Ecriture. Leur citation d’un passage des Ecritures correspond rarement mot à mot. Dans la culture orale qui est la leur, ils citent les textes de mémoire, ayant tendance à paraphraser le texte cité ou à en tirer seulement le mot, l’idée qui compte pour eux dans leur argumentation. Ceci révèle à quel point les auteurs bibliques sont éloignés du formalisme et de l’attachement superstitieux à la lettre vers lequel nous serions attirés, pour s’attacher davantage à l’idée, au principe du texte.

C. Définition d’un principe

Nous connaissons tous la fable de La Fontaine, Le lièvre et la tortue. Le principe illustré par cette fable est que «rien ne sert de courir, il faut partir a point». Un principe est une proposition fondamentale qui définit un mode d’action, une règle ou un but avec lesquels on dirige sa vie et on régit ses actions. C’est une vérité, une loi générale ou règle de conduite dont la formulation est assez large pour inclure les éléments essentiels sur lesquels se fonderont des institutions, des relations personnelles ou des modes de conduite. Sa formulation sera de préférence positive et consiste en une phrase claire, contenant une seule idée. Ce principe n’est ni trop général, de sorte qu’il n’offre en fait que peu d’éclairage sur les applications pratiques, ni trop précis ce qui étoufferait les possibilités d’application. Il s’agit donc d’être le plus spécifique possible dans notre généralisation.

D. Difficultés de la démarche

Il faut bien admettre qu’il n’est pas toujours facile d’identifier le principe d’un texte, d’en dégager l’élément pertinent. C’est d’ailleurs pour cela qu’il arrive qu’à partir d’un même texte, des principes différents seront identifiés par des chrétiens différents.

Pour utiliser l’approche principielle avec précaution et tenter d’être le plus juste possible envers les textes bibliques, voici deux précautions :

  • En identifiant ce qui est principe permanent et ce qui est culturel, nous risquons de nous poser en norme, en autorité au-dessus de l’autorité des Ecritures. Or la Bible seule est la norme. Il ne faudra pas considérer le principe identifié à partir de tel texte comme normatif en soi. N’oublions jamais que notre compréhension est partielle et qu’elle peut nous rendre aveugle. Pour parer à ce danger, ces principes doivent sans cesse être remis en cause, avec beaucoup d’humilité, à la lumière de la Bible. C’est ce que les Réformateurs ont appelé Semper Reformanda c’est-à-dire «sans cesse en train de se réformer».
  • Pour éviter le plus possible de laisser notre subjectivité nous guider dans l’identification du principe du texte, le lecteur doit veiller à la qualité de son exégèse. Rappelons que pour trouver le principe, il faut évidemment d’abord avoir bien compris le texte pour éviter le contresens, ce qui nous donnerait un principe erroné.

L’utilisation de bons outils nous avons parlé permet le plus souvent d’écarter les principes et les actualisations déformant le sens du texte. Toutefois, soyons conscients en toute humilité que notre subjectivité est toujours présente en arrière-plan de notre lecture. Elle n’est certainement pas l’apanage de cette approche principielle mais bien plutôt celle de la lecture de n’importe quel texte en général.