« L’IMPERIALISME CULTUREL » DANS LA CHRETIENTE AU JAPON
Pascal ZIVI
Pascal ZIVI est spécialiste des sectes et manipulations mentales. Ce Français chrétien habitant le Japon depuis 30 ans, a créé en 1994 le Centre de recherches sur les manipulations mentales à Sapporo. Il est l’auteur de nombreux articles et de plusieurs livres en japonais sur la relation d’aide pour les personnes victimes d’abus spirituels.
1. Qu’est-ce que « l’impérialisme culturel » ?
Dans cet article je vais parler du problème de « l’impérialisme culturel » que l’on rencontre dans la façon d’évangéliser de certains missionnaires américains au Japon.
Mais qu’est-ce au juste que « l’impérialisme culturel » et comment celui-ci s’articule-t-il ? Dans son livre Communiquer comme le Christ, Ed. Jeunesse en Mission, p. 145 et 146, Landa Cope en donne une définition que je trouve très explicite.
« Dans la chrétienté, l’impérialisme culturel est présent lorsque, sans réfléchir, nous partons du principe qu’un symbole culturel permettant de transmettre la vérité de l’Evangile est supérieur aux autres. Cette pensée fait du symbole plutôt que la signification du symbole une vérité absolue. Cela implique que « parce que nous chantons ces chants-là, baptisons de cette manière, prenons la Cène de cette façon, nous asseyons, prions et construisons nos lieux de culte ainsi, les autres devraient également le faire ainsi. Le résultat final est que la vérité est enfermée dans un format culturel étranger à tous les autres groupes de la population que la nôtre. »
2. Apporter « la culture chrétienne » aux Japonais
Parmi les missionnaires américains qui viennent au Japon, certains ont la certitude que leur mission est d’apporter « la culture chrétienne » aux Japonais. Le problème de ce point de vue est que ces missionnaires font un amalgame entre ce qu’ils appellent «culture chrétienne» et leur propre culture. Pour eux, faire partie de cette «culture chrétienne» passe par le fait que les Japonais doivent penser et vivre comme les paroissiens d’une église aux États-Unis. Le résultat final de ce système d’évangélisation est que les Japonais sont avant tout américanisés.
L’idée de vouloir apporter « la culture chrétienne » aux Japonais est très néfaste car elle conduit à « l’impérialisme culturel » et a comme principales conséquences que :
- Cela amène les Japonais qui sont évangélisés à croire que leur propre culture est inférieure et qu’ils doivent vivre et penser comme il leur est enseigné.
- Ceux-ci se retrouvent enfermés dans un format culturel étranger entraînant chez eux un changement d’identité.
- Ils ne peuvent avoir de véritables relations avec Dieu et Jésus-Christ car celles-ci se font au travers de cette fausse nouvelle identité.
- Les pasteurs japonais formés dans ce système d’évangélisation répètent exactement les mêmes erreurs et font sans en être conscients de «l’impérialisme culturel» dans leur propre pays.
- L’intolérance envers les religions du Japon.
Des victimes de ce système m’ont expliqué que le missionnaire ou pasteur japonais de leur église leur avaient enseigné que toutes les religions autres que le christianisme étaient diaboliques. De ce fait il ne fallait avoir aucun contact avec celles-ci. Cet enseignement amène des conflits dans les familles car la plupart des Japonais sont bouddhistes ou shintoïstes, parfois même les deux à la fois. Des victimes témoignent qu’il leur a été interdit d’aller à l’enterrement bouddhiste de leur père ou de leur mère. L’une d’entre elles a même dû implorer devant le pasteur le pardon de Dieu parce qu’elles avaient participé à celui d’un ami décédé dans un accident. Cette intolérance a détruit les relations de nombreuses de familles.
3 : honne to Tatemae
Pour les Japonais victimes «de l’impérialisme culturel», restructurer son identité est un processus long, difficile et douloureux car, premièrement, il est impossible du jour au lendemain de pouvoir changer un système de pensée erroné, deuxièmement ces victimes se heurtent à un problème identitaire qui existait avant même qu’elles ne se retrouvent prisonnières de cette nouvelle identité.
En japonais il y a l’expression honne to Tatemae : celle-ci définit le concept de la contradiction que ressentent les Japonais à l’intérieur d’eux-mêmes. Honne est le vrai moi, ce que réellement pense la personne. Tatemae est ce qu’exprime la personne en public pour faire comme les autres ou encore pour éviter d’avoir des conflits. Tatemae a pour but de vivre en harmonie continue avec les autres et de pas ne perdre la face. En public un Japonais aura tendance à ne montrer de lui même que le Tatemae. En privé par contre, celui-ci laissera plus facilement transparaître son Honne.
Le Japonais vit continuellement dans cette contradiction entre le Honne, c’est à dire ce qu’il pense vraiment, son vrai moi, et le Tatemae, un faux moi qui se réfère au masque qu’il montre pour ne pas laisser transparaître ses véritables sentiments. Il y a donc comme deux «moi» qui s’opposent en lui-même, mais la réalité est que le Tatemae emprisonne la plupart du temps le Honne.
Le psychologue Yuichi Hattori, spécialiste en hikkikomori[1] emploie une métaphore très intéressante pour expliquer le problème identitaire que l’on rencontre chez les Japonais.
Monsieur Hattori dit que le vrai moi du japonais (Honne) est comme renfermé dans une bouteille qui elle même, se trouve au plus profond de la mer. Pour sortir de cette situation il faut d’abord que la personne prenne conscience que son vrai moi est prisonnier dans cette bouteille. Ensuite elle doit l’en faire sortir et le faire remonter à la surface de la mer, là où se trouve son faux moi le tatemae. Ce n’est qu’une fois qu’il se retrouvera dans cette condition que le véritable moi pourra s’exprimer et s’épanouir librement, donnant à la personne la possibilité d’avoir une réelle relation avec Dieu.
Jusqu’à maintenant au Japon, société de devoir, c’était la famille, le groupe, la compagnie dans laquelle il travaillait qui disaient au Japonais qui il était. C’était le groupe qui faisait les choix pour lui, qui décidait pour lui dans tous les domaines (école, loisirs, mariage, travail, religion…) Nul besoin de solliciter alors son véritable moi. Ce dernier était relégué au fond de sa bouteille, tout « rabougri ».
La société post-moderne, société de droit, met elle, le Sujet en avant. Elle commence à laisser à chacun la liberté de choisir sa façon d’être, de penser, de vivre sa vie. Mais comment assumer cette liberté et surtout comment pouvoir faire des choix quand on n’a jamais appris à le faire?
Comment arriver à faire parler son vrai moi quand on ne lui a jamais appris à s’exprimer? Quand son droit à l’existence à toujours été bafoué ? Dans de telles conditions ce n’est pas facile de faire sortir son vrai moi de sa bouteille et de l’amener à la surface. Non seulement ce n’est pas facile mais pour beaucoup c’est terrorisant et cela peut conduire soit au suicide, soit a devenir Hikkikomori.
Pour y arriver il est important que la personne fasse une relation d’aide. Seule, cela est impossible. Durant la relation le rôle du conseiller est avant tout de soutenir et d’encourager la personne. Il est important de l’aider à trouver confiance en elle-même afin qu’elle puisse trouver la force d’entreprendre jusqu’au bout ce voyage en quête de son identité.
« L’impérialisme culturel » ne tient pas compte du concept de la contradiction entre le honne et le Tatemae que ressentent les Japonais à l’intérieur d’eux-mêmes. Il ne prend pas en compte non plus le problème de la société post-moderne que confronte le Japon. En ignorant ces faits les missionnaires et pasteurs enferment les Japonais qu’ils évangélisent dans une autre bouteille… ‘made in America’. Les préjudices sont très importants car ils ne font qu’aggraver profondément les problèmes identitaire de la personne. Celle-ci va rencontrer d’énormes difficultés pour arriver à restructurer son vrai moi et pour rentrer en contact avec lui. Pour cela le travail de relation d’aide est très long et difficile et peu de victimes l’entreprennent. La plupart de celles-ci quittent leurs églises en silence, restant dans leur confusion identitaire.
4. Chaque culture est unique
Lorsque je lis les Évangiles, je suis admiratif de l’attitude de Paul envers les gens de différentes cultures qu’il rencontre. Il cherche toujours à comprendre et à rejoindre les personnes dans le milieu où elles évoluent. Pour Paul le plus important est d’annoncer Jésus-Christ à travers la culture des gens où il est envoyé. Il sait prendre le temps d’analyser la situation et les mentalités des personnes qu’il rencontre. Paul a toujours su se faire proche, il était Juif avec les Juifs, Grec avec les Grecs, faible avec les faibles et je crois fermement qu’il aurait été Japonais avec les Japonais.
Paul a lui aussi lutté de toutes ses forces contre « l’impérialisme culturel ». Celui des Juifs qui s’étaient convertis au christianisme et qui voulaient imposer leur culture juive à ceux qui ne l’étaient pas. Mais comme l’écrit Landa Cope : « La vérité de l’Evangile est une vérité pour tous les peuples, pour toutes les époques, elles est une vérité censée donner lieu à des équivalences dynamiques dans toutes les langues et dans toutes les tribus. Dieu est le Dieu de tous les peuples. Aucune culture ne devrait avoir à le considérer comme un étranger.[2] »
Chaque culture est unique et de ce fait apporte son petit grain afin que nous puissions mieux comprendre Dieu et Jésus Christ.
Qu’il est beau d’écouter les chants traditionnels chrétiens sur des instruments à cordes japonais.
Qu’il est beau de chanter des chants pour Dieu et Jésus-Christ qui ont été écrits par des Japonais.
Qu’il est instructif d’écouter la profession de foi des personnes qui ont connu les horreurs de la deuxième guerre mondiale ou encore de certains rescapés d’Hiroshima et Nagasaki.
Qu’il est aussi instructif d’écouter la profession de foi d’une ancienne prostituée ou d’un ancien yakuza[3].
Qu’il est important le travail fait par les jeunes missionnaires japonais à travers le monde.
Qu’il est grand le respect de Dieu et de Jésus-Christ envers la culture japonaise et celle de chaque pays.
5. Mon ami le pasteur Louis Burton
Pour ne pas donner l’impression que tous les missionnaires américains qui viennent au Japon font de « l’impérialisme culturel », je voudrais vous parler de mon ami le Pasteur Burton Louis.
Celui-ci a été pendant plus de 30 ans missionnaire au Japon, il est maintenant à la retraite et vit aux États-Unis. Tout au long de son ministère Burton a toujours travaillé dans le même sens que l’apôtre Paul et a cherché à comprendre et rejoindre les Japonais dans leur milieu. Il connaissait leurs coutumes, leurs religions et maîtrisait parfaitement la langue. De ce fait Burton pouvait parler d’une manière japonaise aux Japonais et cela apparaissait dans ses sermons. Je ne l’ai pas vu être intolérant envers les religions japonaises, il respectait celles-ci mais pour autant que je sache, il n’a jamais fait pour autant de syncrétisme dans son ministère.
Burton a amené un grand nombre de Japonais à Jésus-Christ. Mais parce qu’il connaissait bien le problème du «honne» et «tatemae», il prenait d’abord premièrement le temps de les aider à remonter jusqu’à la « surface de la mer ».
Burton n’est pas le seul missionnaire américain qui a conduit son ministère comme cela, d’autres l’ont fait auparavant et d’autres encore le font maintenant. Mais ayant été pendant cinq ans membre de son église où je suis devenu chrétien, j’ai pu voir directement toutes les conséquences bénéfiques de cette manière d’évangéliser et peux donc en parler en connaissance de cause.
6. Pour conclure
Dans l’Évangile selon Matthieu, ch. 28 v. 19 et 20, Jésus-Christ dit : « Allez, faites de toutes les nations des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, et enseignez- leur à garder tout ce que je vous ai prescrit, Et voici , je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. »
Pour tous les chrétiens, apporter la parole de Jésus-Christ aux nations, c’est répondre à la demande de celui-ci. Mais la façon de l’annoncer est très importante. Jésus-Christ a dit qu’il fallait baptiser les gens et leur enseigner à garder tout ce qu’il avait prescrit. Mais dans ses prescriptions, Jésus-Christ n’a jamais enseigné qu’il fallait faire de « l’impérialisme culturel » et encore moins qu’une nation en particulier pourrait prétendre représenter une soi-disant «culture chrétienne».
« Impérialisme culturel » et « Évangile de Jésus-Christ » ne peuvent aller de pair, ils sont incompatibles.
« L’impérialisme culturel » est :
- Intolérance
- Contrôle
- Refus d’accepter et recevoir telle qu’elle est
- Orgueil
- Une nouvelle tour de Babel
- Discrimination
- Intégrisme
- Haine
« L’Évangile de Jésus-Christ » est :
- Tolérance
- Liberté
- Accepter et recevoir la personne comme elle est.
- Humilité
- La beauté et la grandeur de l’arc-en- ciel, signe de l’alliance de Dieu avec l’humanité
- Compassion
- Diversité
- Amour
Cette liste n’est pas exhaustive mais je préfère laisser le soin à ceux qui lisent cet article de la compléter en toute liberté.
Pour terminer je dirai qu’il est très important que chaque chrétien prenne conscience du danger que représente «l’impérialisme culturel», de discerner celui-ci, de le combattre et de le condamner.
[1] Hikikomori : Problème particulier à la société japonaise, Hikikomori où des adolescents et aussi de jeunes adultes vivent chez leurs parents, en restant le plus souvent cloîtrés dans leur chambre pendant plusieurs mois ou encore plusieurs années. Ils n’ acceptent aucune relation, même avec leur famille. et ne sortent que pour satisfaire aux impératifs de leurs besoins corporels.
[2] Communiquer comme le Christ, Jeunesse en Mission, p. 146.
[3] Yakusa : membre de la pègre japonaise.