LE JAPON,

UN PARADIS POUR LES SECTES

Pascal ZIVI est spécialiste des sectes et manipulations mentales. Ce Français habitant au Japon depuis 25 ans, a créé en 1994 le Centre de recherches sur les manipulations mentales à Sapporo (Japon). Il est l’auteur de nombreux articles et de plusieurs livres en japonais sur la relation d’aide pour les personnes victimes d’abus spirituels.

 

Pourquoi autant de jeunes adhérent-ils aux sectes ?

Il est difficile de pouvoir donner un chiffre exact du nombre des mouvements sectaires au Japon, mais celui-ci est très important : sectes religieuses, politiques, psychothérapeutiques, commerciales, issues du Nouvel Age y abondent. Certaines sont très puissantes, d’autres encore minuscules. Beaucoup de spécialistes japonais qui travaillent sur le phénomène sectaire, comme le Professeur Asami Sadao ou l’avocat Yamaguchi Hiroshi sont d’accord pour dire que le Japon est un véritable paradis pour les sectes.

Mais pourquoi les sectes au Japon ont-elles autant de succès, surtout auprès des jeunes ? J’y vois plusieurs raisons et je vais essayer de les expliquer.

Le milieu parental (l’éducation des enfants)

« Mon père et ma mère font beaucoup de choses pour moi. Ils m’ont envoyé dans une bonne école, une bonne faculté, ils essayent de m’aider pour que je trouve une bonne situation et fasse un bon mariage. Pour cela ils font de gros sacrifices et je ne peux que leur dire merci… Mais malgré tout cela Pascal, si tu me demandes : Est-ce que tu te sens aimé pour toi même par tes parents. Ma réponse est… Non ! »

Beaucoup d’anciens adeptes m’ont fait la même réflexion et celle-ci reflète bien la situation de nombreuses familles. Les enfants reconnaissent les efforts qui sont faits pour eux par leurs parents afin qu’ils puissent réussir dans la vie. Mais ce qu’ils souhaitent en réalité c’est que ceux-ci les acceptent en tant que personnes. Ils veulent être reconnus pour ce qu’ils sont et non pas simplement pour ce qu’ils sont capables de faire. Malheureusement ce fait n’est pas beaucoup pris en considération dans les familles japonaises.

En famille, les parents disent souvent à leurs enfants :

« Si tu as de bonnes notes, tu réussiras à entrer dans une bonne école et ainsi, tu trouveras un travail qui assurera ton avenir ! Alors, étudie bien!… »

Ou, si la famille est pauvre avec beaucoup d’enfants :

« A la fin de l’école primaire, pas question d’aller au lycée ! Tout de suite au boulot, pour gagner ta vie !…. Après les cours rentre vite à la maison pour donner un coup de main (soit à la boutique, soit dans les champs)… »

Ou encore :

« Dès que tu seras au boulot tu as intérêt à bien obéir à tes chefs ! » « Si tu travailles sérieusement tu en seras le premier récompensé, ça t’aidera à être reconnu ! »

Quelquefois aussi l’ambition, l’esprit de compétition sont encouragés :

« Rester employé jusqu’à la mort ce n’est pas une vie, deviens toi-même employeur !… »

Avoir de bonnes notes, travailler sérieusement, obéir à ses chefs, travailler en vue de faire partie de l’élite de la société, ces conceptions de la vie sont partagées par un grand nombre de parents. Ce ne sont pas leurs conceptions personnelles, mais celles de l’ensemble de la société japonaise. De telles conceptions n’attachent pas beaucoup de prix à la personnalité de chaque individu. Bien au contraire elles l’étouffent.

Les enfants grandissent tout en essayant de s’adapter plus ou moins à cette éducation de leurs parents. Ce genre d’éducation crée des barrages très importants dans les relations familiales. Beaucoup de jeunes sont conscients de cela mais très peu arrivent à pouvoir en parler voire même à se disputer avec leurs parents. Malheureusement seul un petit nombre de parents sont vraiment conscients de ce problème. Beaucoup d’enfants refusent cette éducation, ils veulent se libérer de ce carcan familial et trouver leur indépendance.

Le système éducatif scolaire

Etudier et travailler sérieusement, obéir sont aussi des conceptions que l’on retrouve dans le système éducatif scolaire japonais…

A l’école, c’est la course aux meilleures notes, aux diplômes. D’où la séparation en deux groupes, dès l’école primaire : ceux qui iront au travail aussitôt après, et ceux qui continueront des études. Les enfants sont considérés surtout en fonction de leurs notes, et de leur esprit de compétition.

Au collège et au lycée, tout en obéissant à l’enseignement du professeur, les élèves se moulent sur la manière de penser et vivre de toute la classe et de l’école. Lorsqu’un élève n’arrive pas à suivre ou essaye de faire différemment des autres, il est mal vu et considéré comme bizarre, faible, voire même égoïste. Il arrive souvent qu’il soit maltraité par les autres élèves, ce qui entraîne des suicides. Très peu de professeurs enseignent l’importance de la solidarité à leurs élèves, il arrive même que certains maltraitent ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas suivre ou s’intégrer au groupe.

Dans ce système scolaire, la personnalité des élèves est étouffée et ils grandissent sans vraiment comprendre l’importance réelle du respect de la vie et de la personne. Ils font tout pour ne pas être exclus du groupe. Apprendre par cœur ce que le professeur dit, avoir tous la même manière de penser permet de se sentir en sécurité.

Le grand problème de ce système scolaire c’est que les jeunes ne sont pas éduqués à avoir un sens critique et qu’il est très difficile pour eux de pouvoir dire : « Je » pour émettre clairement leurs idées. Dans ces conditions il leur est aussi difficile d’avoir leurs propres conceptions et de bien savoir ce qu’ils veulent faire dans la vie. Et sur ce sujet là ils n’arrivent pas à trouver de réponse auprès de leurs parents ou de l’école.

Les relations humaines sur les lieux de travail

Beaucoup de jeunes accédant au monde du travail s’y sentent mal à l’aise : relations médiocres avec les autres, aucun plaisir dans leur travail ou bien encore ils ne savent pas pourquoi ils font ce travail.

Sur les lieux de travail, une « éducation » est assurée, visant à favoriser la production avant tout. Le système d’apprentissage, le système des récompenses, le mouvement « baisse des prix de revient », la cérémonie du matin, le développement de l’amour de la boîte, l’acquisition de nouvelles techniques, le système des propositions d’amélioration, etc., tout cela est profondément lié au mouvement pour la hausse constante de la productivité.

Dans une pareille ambiance les ouvriers ne sont considérés qu’en fonction de leur rendement. On leur fait porter la responsabilité de leur travail, et très vite ils en viennent à ne plus penser qu’à la production. Ils se laissent enchaîner par des objectifs de production, fixés par la direction, et presque impossibles à réaliser. Mais pour se faire bien voir par les chefs, ils n’hésitent pas à faire des heures supplémentaires, et à travailler les jours de congés payés et les dimanches.

Beaucoup de jeunes travailleurs se plaignent d’être trop occupés et de devenir les robots de leurs employeurs. Il y a souvent des réunions après le travail ou l’on boit énormément. Les personnes qui ne participent pas à ce genre de réunion ne sont pas très bien vues par leurs collègues et supérieurs. Le problème dans ce genre de fréquentations est que les relations humaines ne sont que superficielles. Pour échapper à la solitude et autres frustrations qu’ils ressentent dans leur travail beaucoup essayent d’avoir des loisirs et de s’amuser. Malheureusement cela ne résout pas le vide et les manques qu’ils ont au fond d’eux mêmes.

Les sectes comprennent très bien les différentes carences que les jeunes ont au sein de leur famille à l’école et sur les lieux de leur travail. Elles savent habilement exploiter le fait que les jeunes n’arrivent pas à trouver de réelles réponses dans la société japonaise au mal être qu’ils ressentent et aussi à ce que le docteur Victor E. Frankl appelait « la frustration existentielle ».

Pour le docteur Frankl le terme « existentiel » [1] peut se rapporter à trois choses :

a : à l’existence en soi, c’est à dire la façon d’être expressément humaine ;

b : au sens de l’existence ;

c : à l’effort de l’homme pour trouver une signification concrète à son existence, c’est à dire une raison de vivre.

De nombreux anciens adeptes m’ont expliqué que toute personne qui se retrouve dans un sentiment d’impuissance face à ses problèmes, d’une perte de confiance en soi, dans les personnes qui l’entourent et en l’avenir est très réceptive à n’importe quel remède qui lui est présenté.

Les sectes ne le savent que trop bien et elles séduisent les jeunes en leur proposant des réponses simples aux questions complexes de la vie. Elles font miroiter que dans leur groupe ils trouveront chaleur, bonheur, compréhension, amour, liberté et connaissance. Elles les survalorisent leurs faisant croire qu’ils seront acceptés pour eux-mêmes, que l’on a besoin d’eux pour une grande mission et que cela va mettre fin au mal être et à la solitude qu’ils connaissent.

Les jeunes et les religions

Sur le plan religieux le Japon est un pays paradoxal, voire incompréhensible. Les deux principales religions sont le Shintô et le Bouddhisme. Le Shintô « Voie des Dieux » est une religion fondée sur la vénération des ancêtres et de la nature. Dans les maisons japonaises il y a en général un petit temple bouddhiste ou un autel shinto, très souvent les deux ensemble. Un grand nombre de croyances populaires est fortement influencée par le Taoïsme et le Confucianisme.

Pour beaucoup de Japonais les pratiques religieuses font partie de la vie quotidienne, et elles restent présentes même si elles ne donnent pas lieu à des interrogations métaphysiques. Conformément à une longue tradition, le Japonais d’aujourd’hui a une approche très utilitariste de la religion, il s’intéresse plus à ses applications pratiques et immédiates (connaître l’avenir, s’assurer les faveurs des dieux pour un examen) qu’à la vie future, et, en conséquence, il fera appel à des rites issus de religions différentes, choisissant le plus approprié aux circonstances. Alors que les naissances et les mariages sont traditionnellement fêtés par les rites shintô, la répugnance traditionnelle de cette religion pour tout ce qui touche à la mort fait que les enterrements seront généralement confiés à un temple bouddhiste.

On a coutume de dire qu’un japonais « naît shintô et meurt bouddhiste ». En ce qui concerne les mariages, depuis quelques années, beaucoup de gens aiment se marier à l’église selon les rites chrétiens catholique ou protestant, non pas parce qu’ils se convertissent, mais parce que c’est une mode… ils apprécient l’atmosphère du déroulement de la cérémonie chrétienne du mariage.

Dans ce syncrétisme où il y a de nombreuses combinaisons, il n’est pas simple de trouver le juste milieu. Les jeunes Japonais sont grandement influencés par cette manière de concevoir la religion. Ils croient selon les circonstances et leurs besoins du moment en la réincarnation, aux mondes des esprits, aux mauvais sorts, aux malédictions et à toutes techniques de prévision de l’avenir. Mais ils n’adhérent pas à une religion en particulier. Leurs connaissances sur l’enseignement du Bouddhisme, Shintô, Taoïsme et Confucianisme sont très vagues. Bien entendu celles qu’ils ont de la Bible et du Christianisme sont encore moindres.

La carence religieuse des jeunes Japonais est profonde. Les croyances qu’ils ont ne leur permettent pas de trouver des réponses aux questions qui hantent chacun de nous comme résumant l’énigme même de notre présence en ce monde : D’où est-ce que je viens ? Où est-ce que je vais ? Qui suis-je ? Ou encore les questions sur la vie, la mort, la maladie et l’existence de la vie après la mort. Beaucoup souffrent de cela et éprouvent une très grande frustration.

Les sectes religieuses ont bien compris cela et tout en prônant que les religions traditionnelles ont fait preuve de leur échec, elles offrent aux jeunes des réponses à leurs frustrations et questions. La plupart du temps leur enseignement est un mélange de plusieurs doctrines de religions traditionnelles dont elles font une interprétation très particulière. Souvent elles appuient leurs dires sur de soit disant nouvelles révélations venant de Bouddha, Jésus-Christ, Mahomet, Moïse, Abraham… et d’autres encore. Certains gourous déclarent qu’ils sont la réincarnation d’un ou plusieurs de ces grands personnages ou encore qu’ils sont un dieu vivant.

Dans la culture japonaise il n’y a pas de Dieu transcendant, on considère que les divinités sont parmi nous. Un humain peut avoir une essence partiellement divine, il peut être humain et divinité à la fois. Cela facilite le travail pour un gourou qui souhaite se faire passer pour un dieu vivant.

Dans de telles conditions, les jeunes se laissent très facilement séduire par les sectes, car ils sont d’une certaine manière préparés sur le plan spirituel pour accueillir le message de celles-ci et qu’ils sont dans l’incapacité de discerner les erreurs et fabulations qu’elles leur enseignent.

Tous les ex-adeptes japonais de secte religieuse avec qui j’ai parlé m’ont fait le même aveu :

« Pascal, si j’avais eu de meilleurs connaissances sur l’enseignement des différentes religions de mon pays ou encore sur ceux de la Bible et du Christianisme, je ne me serais pas fait aussi facilement piéger ».

Sectes et politique

En 1868, sous l’ère Meiji, l’empereur Mutsuhito a rétabli la monarchie absolue et le Shintô fut promu religion d’État.

Le Shintô enseigne qu’au commencement se trouvait la matière, et d’elle sont issus les dieux qui ne sont donc pas éternels. Parmi eux il faut faire une place à part à Amaterasou, la déesse du soleil et à Sousanowo, le dieu des tempêtes. Mais il existe une multitude d’autres esprits, y compris des héros divinisés, les kamis. L’empereur fait partie d’une dynastie ininterrompue qui remonte à Jimmou Tenno (six siècles av. JC), lui même arrière-petit-fils d’Amaterasou. De ce fait l’empereur est considéré comme un être supraterrestre.

La promotion du Shintô comme religion d’État a amené le rétablissement de cette croyance. Tous les Japonais ont dû de gré ou de force vénérer l’empereur comme un dieu. Bien que sous la constitution de Meiji la liberté de religion ait été reconnue, les choses ont ensuite changé petit à petit. Les années 30 ont vu la montée du militarisme, la répression idéologique ainsi que l’intolérance religieuse entraînant de nombreuses persécutions. Cette situation a duré jusqu’à la défaite du Japon et la chute de la dictature militaire en 1945.

Après la capitulation du Japon les autorités d’occupation américaine ont dissout l’organisation d’État Shintô. L’empereur a été destitué de son rôle politique et perdit son titre divin. En 1947 la Constitution a établi des garanties sur la liberté de religion, donnant la possibilité aux organisations religieuses d’être exemptées de tout impôt. Cette libération a permis aux sectes de pouvoir se développer ou encore de venir s’installer facilement au Japon sans rencontrer aucun problème.

Aujourd’hui, plusieurs de ces sectes sont devenues puissantes et riches, ce qui leur donne la possibilité de jouer un rôle dans la vie politique et aussi de faire pression sur les médias. Elles financent différents partis politiques, font élire députés et sénateurs, obligent leurs membres à participer à la préparation des élections pour certains partis et voter pour les représentants de ceux-ci. Qui des sectes ou des politiciens utilisent le plus l’autre pour leur propre profit ? Difficile de pouvoir vraiment répondre à cette question. Mais je crois que l’on peut dire que chacun y trouve son intérêt et que dans telles conditions il ne faut pas s’étonner qu’au Japon on ne trouve pas encore de loi pour lutter contre les sectes comme en France.

Conclusion

Je pense que ces explications sur la société japonaise donneront aux lecteurs la possibilité de mieux comprendre pourquoi le Japon est devenu un véritable paradis pour les sectes. Que ce soit sur le plan politique, culturel, religieux… tout permet aux sectes de pouvoir se développer. Le 20 mars 1995 des membres de la secte de Aum shinri kyo ont dans cinq stations du métro de Tokyo percé des sacs qui contenaient du gaz sarin. Cet attentat a fait 12 morts et plus de 5500 blessés. Aujourd’hui beaucoup de victimes continuent de souffrir du traumatisme qu’elles ont subi et plusieurs personnes sont encore dans le coma. Malgré cette tragédie la situation reste la même et rien n’a encore était fait par le gouvernement pour lutter contre les sectes et leurs méfaits. Aucune des associations qui travaillent sur ce problème, n’est reconnue ou soutenue par l’État, comme l’ADFI en France. Il est vraiment regrettable que les autorités japonaises n’aient retenu aucune leçon des crimes de Aum shinri kyo et des dangers que représentent les sectes pour les démocraties.

Au Japon dès l’instant qu’il s’agit de religion, la pratique politique actuelle est de ne pas intervenir.

[1] Découvrir un sens à sa vie, Victor.E. Frankl Les Editions de l’homme, p. 112