DANS LA MARGE MAIS TOUJOURS DANS LA PAGE

De toute la Création, l’homme est celui qui a le plus besoin de s’adapter à son environnement pour vivre et survivre. Il s’adapte en permanence aux conditions climatiques, aux personnes, aux milieux… Cette nécessité fait que l’adaptation devient pour lui comme une seconde nature. Nous adapter, c’est faire fructifier notre don, dans notre situation, en répondant aux besoins des autres.

Nous adapter suppose quatre qualités :

  • Savoir que Dieu règne sur le monde, son Histoire et qu’il intervient par les dons fait aux hommes.
  • Etre libre de tout modèle à recopier dans notre façon d’être et de faire en servant avec nos dons. Nous ne sommes pas obligés de refaire comme les générations précédentes. Nous voulons recevoir leur héritage sans être victime de leur hérédité.
  • Avoir des principes et des convictions sur quelques points essentiels. Cette assise nous permet d’être pleinement créatifs tout en préservant une assez grande sécurité personnelle.
  • Savoir que nous avons notre place dans ce monde, ici et maintenant. Nous écrivons notre histoire dans l’Histoire. Nous sommes conscients que la place que nous sommes appelés à occuper correspond à nos capacités.

Le roi David déclare : « Je ne m’occupe pas de choses trop élevées pour moi ». Il reste dans le domaine dans lequel il est compétent, il sert selon ses dons et non ceux d’un autre.

Lorsqu’il lutte contre Goliath, il refuse de prendre l’armure de Saül, trop grande pour lui, mais il prend la sienne, à sa taille. Nous n’allons pas vers ce qui nous dépasse ou ne nous correspond pas mais nous servons avec efficacité selon nos dons, c’est la place qu’il nous est demandé de remplir.

Dotés de ces quatre qualités, nous sommes en mesure de nous adapter en tout équilibre.

Pour nous adapter et mettre nos talents au service des autres, nous renonçons à vouloir nous construire une tour d’ivoire. La tentation est grande de former un monde «parallèle», protégé, digne de nous, de notre attention.

Comparons l’humanité à un fleuve qui, commençant avec le premier couple, se terminera avec le retour du Christ : le fleuve de l’histoire humaine. Ce fleuve, à cause du péché, est devenu boueux et les hommes ont davantage employé leurs dons pour dominer les uns sur les autres que pour s’entraider.

Certains, en face de ce fleuve de l’Histoire, souvent fait de feu et de sang, jonché de divers détritus, ont imaginé l’Eglise comme étant une petite rivière d’eau pure coulant selon son propre destin, en parallèle au grand fleuve du monde.

L’évangélisation consisterait alors à faire passer de l’eau du grand fleuve à la petite rivière, à travers divers filtres. Cette vision des choses explique que lorsque des impuretés sont découvertes dans la pseudo-rivière pure, beaucoup de chrétiens sont scandalisés : comment est-ce possible chez nous ! Quel filtre n’a pas fonctionné ? Quelle loi placer en plus ?

Or cette rivière n’existe pas, c’est une illusion fantasmatique et dangereuse parce qu’elle engendre des relations dysfonctionnelles. Bien que n’étant pas du monde, nous sommes appelés à être dans ce monde. Jésus dit: «Est-ce qu’on apporte une lampe pour la mettre sous un lit? Sa place n’est-elle pas plutôt sur un chandelier? » C’est bien au sein du fleuve qu’est notre place.

Cette attitude du chrétien dans le monde pourrait se résumer ainsi: savoir être dans la page de l’Histoire, même s’il lui arrive de se placer dans la marge de cette page. S’il est parfois appelé à être dans la marge, le chrétien se rappelle toujours que la marge est dans la page, le monde.

Dans cette société, il n’est donc pas un marginal, coupé des réalités humaines et de son sens historique. Quand il se positionne dans la marge, c’est pour souligner en positif ou négatif ce qu’il y a dans la page. Ainsi le chrétien continue sa vocation de «sel de la terre ». Jésus a su être tour à tour dans la page et dans la marge, sans jamais se marginaliser au point de ne plus pouvoir être entendu.

Selon l’exégète Alphonse Maillot, il y a un temps pour être conservateur et un temps pour être révolutionnaire. Le chrétien garde un rôle de sentinelle, en se positionnant parfois dans la marge, mais en se considérant toujours comme appartenant à la page.