1. Moïse et ses deux mamans
Pharaon avait ordonné de jeter au fleuve tout garçon qui naîtrait et de laisser vivre les filles. Lorsque Jokébed s’est vue enceinte pour la troisième fois, imaginez ses sentiments. Pourvu que ce soit une fille ! mais non, ce fut un garçon. Alors, pendant trois mois, Moïse a vécu dans la clandestinité, peut-être l’a-t-on caché dans un placard pour qu’on ne l’entende pas pleurer. Quels sont les mots qu’il a entendus sans cesse au début de sa vie ? « Chut ! » « tais-toi ! » Sa beauté lui permet d’échapper à la mort, mais pas à l’abandon. Il ne profitera de sa maman que quelques années. Mettez-vous quelques instants dans la peau de Moïse, ce petit garçon arraché encore tout jeune à la tendresse de sa mère, de son père de sa grande sœur Myriam et de son frère Aaron, son aîné de trois ans.
Il passe des quartiers d’esclaves au palais du roi, et là une femme qu’il n’a jamais vue et dont il ne comprend pas la langue lui donne un nouveau nom, l’appelle son fils et très certainement l’oblige à l’appeler « maman ». Que de larmes il a dû verser ! Etre « transculturé », apprendre l’égyptien, changer de maman… Bien sûr, il a eu le privilège d’être élevé dans toute la sagesse des Egyptiens, mais son cœur d’enfant aurait certainement préféré les câlins de sa maman.
Avec tout cela, il n’est pas étonnant que Moïse ait été atteint de bégaiement. Pas étonnant non plus que le premier acte qui nous soit rapporté de Moïse à 40 ans soit le meurtre d’un Egyptien. Tous les sentiments d’abandon, de haine, de frustration, refoulés si longtemps au fond de l’inconscient, remontrèrent en un instant à la surface et firent de lui un meurtrier, parce qu’il n’avait pas été guéri intérieurement.
Cette guérison intérieure, il la recevra à 80 ans, au buisson ardent, lors de sa rencontre avec Dieu. En demandant à Dieu son nom, Moïse va comprendre également sa propre identité. Les traumatismes affectifs de son enfance l’ont marqué comme au fer rouge, et Dieu aura fort à faire pour répondre à ses questions angoissées, à ses doutes, à sa quête d’identité :
- « Qui suis-je ? » (Je ne suis ni vraiment Israélite, ni vraiment Egyptien !)
- « Ils ne me croiront pas, ils n’écouteront point ma voix. »
- « J’ai la bouche embarrassée. »
Les apports de la psychologie moderne nous permettent de mieux comprendre la profondeur des troubles subis par Moïse, sachant que l’équilibre émotionnel de l’enfant se construit déjà pendant la grossesse (or Jokébed l’a vécue dans l’appréhension continuelle) et les premiers mois de la vie. Nous savons aussi que la philosophie de base de notre vie et la formation harmonieuse de notre personnalité sont forgées durant la courte période de cinq à sept ans. Or à ce moment-là Moïse avait changé de mère, de culture, de langue, de religion… tout son monde était entièrement bouleversé.