1. Les signes de reconnaissance
C’est Eric Berne qui le premier a utilisé le mot anglais stroke (qui signifie aussi bien coup que caresse) pour désigner « tout acte impliquant la reconnaissance de l’autre. »
Un signe de reconnaissance est donc une unité d’attention envers une personne, par exemple :
- un bonjour, un sourire, un regard
- une écoute attentive
- un geste brutal, une gifle
- un compliment, un encouragement
- une accolade, un baiser
- une dévalorisation, une méchanceté
A. Le besoin de signes de reconnaissance
L’être humain a un besoin fondamental : celui d’être reconnu, accepté par les autres comme individu spécifique, celui de voir la réalité de son existence confirmée par les autres qui, en lui adressant des stimulations, le reconnaissent en tant que personne réelle et digne d’attention.
On pourrait comparer les signes de reconnaissance à des calories psychologiques, et dire qu’ils sont aussi indispensables à notre structure psychologique que les calories le sont à notre organisme.
Le fœtus, dans le ventre maternel, reçoit tous les strokes qui lui sont nécessaires (amour, chaleur, nourriture, relation). Pour le nourrisson, les signes de reconnaissance sont la condition de sa survie. Dès 1945, le psychiatre René Spitz a démontré que le nourrisson non touché, non caressé, a tendance à décliner de manière irréversible, physiquement et mentalement, parfois jusqu’à en mourir. Commentant ce fait, Berne a écrit : « Si un enfant n’est pas caressé, sa moelle épinière se flétrit. »
Le jeune enfant qui est touché, caressé, embrassé par ses parents, pourra croître physiquement et mentalement. Car ces caresses, ces paroles aimantes, lui transmettent ce message : « Tu existes, tu es bien vivant, nous te reconnaissons, nous t’aimons. »
A mesure qu’il grandit et se socialise, il recherchera, plus que les caresses physiques, des signes de reconnaissance sociale, verbale et symbolique : le premier argent de poche, des compliments, son premier vélo. Tous ces signes lui prouvent qu’il existe comme personne, qu’on croit en lui et à ses possibilités de croître et d’évoluer.
Un enfant recherche d’abord, et c’est normal, des stimulations positives, agréables : baisers, caresses, sourires, paroles gentilles. Si ses parents lui en donnent, il apprendra à les rechercher et à en donner aux autres.
Mais il doit se contenter de ce qu’on lui donne, même s’il s’agit de critiques et de coups qui, bien que désagréables, signifient cependant : « Je reconnais que tu existes. »
L’enfant ne pourrait pas supporter de voir sa propre existence niée par ses parents : il en mourrait. Alors pour survivre, il recherchera désespérément des signes d’attention de la part de ses parents, même si pour cela il doit se montrer insupportable et faire des bêtises, afin de recevoir en retour des cris, des coups, des punitions.
Tant il est vrai que « mieux vaut des coups de pieds que l’indifférence », et « de l’eau polluée plutôt que pas d’eau du tout ». La sagesse populaire le disait déjà : « Aime‑moi ou hais‑moi, mais ne m’ignore pas ! »
Ces enfants continueront à rechercher toute leur vie des signes de reconnaissance négatifs par un comportement désagréable, agressif, « en cherchant à se faire battre », « en ne faisant rien pour se faire aimer ». Certains adultes sont recherchés pour meurtre, parce qu’ils n’ont jamais été recherchés pour eux‑mêmes.
Puisque notre problème fondamental est de savoir comment obtenir des signes de reconnaissance, nous nous arrangeons donc (plus ou moins consciemment) pour faire ce qui nous fournira le plus de strokes. Nous nous intégrons à des structures (couple, famille, travail, église, club) afin de recevoir des signes de reconnaissance. Nous nous engageons là où nous pensons en recevoir le plus. Et si nous n’en recevons pas (ou plus) là où nous sommes, nous devenons amers, critiques, aigris.
Les nombreux décès d’hommes peu de temps après leur mise à la retraite pourraient ainsi s’expliquer par une diminution brutale, du jour au lendemain, du nombre de signes de reconnaissance que leur fournissait leur activité professionnelle.
B. Les différents types de signes de reconnaissance
Ils sont inconditionnels (positifs ou négatifs) s’ils concernent l’être de la personne.
Ils sont conditionnels (positifs ou négatifs) s’ils concernent son faire.
1. Le signe de reconnaissance inconditionnel positif
C’est celui qui stimule le plus la personne qui le reçoit et procure un bien‑être profond et un sentiment d’importance.
- Ce que j’aime en toi, c’est toi.
- Quelle joie de te revoir !
2. Le signe de reconnaissance inconditionnel négatif
Il est à proscrire car le plus destructeur : il reconnaît l’existence de l’autre tout en le niant.
- Il n’y a rien de bon à attendre de toi.
- Tu es la brebis galeuse de la famille.
3. Le signe de reconnaissance conditionnel positif
L’autre est reconnu à condition qu’il réponde à certaines attentes. C’est une marque d’attention qui gagnerait à être plus répandue dans les milieux de l’éducation (où le classique « peut mieux faire » remplace trop souvent « élève appliqué; en progrès ») et dans les relations professionnelles. Cependant elle est insécurisante car on n’est aimé que si on répond à l’attente.
- Vos résultats sont meilleurs que le trimestre dernier.
- J’apprécie la manière dont vous avez mené toute cette affaire.
4. Le signe de reconnaissance conditionnel négatif
Dans ces mêmes milieux, où on pense rarement à féliciter pour un travail bien fait, les reproches sont par contre monnaie courante.
- Ce rapport est un vrai torchon.
- Vous avez mal négocié cette affaire.
Un signe de reconnaissance conditionnel qui serait toujours négatif devient un signe inconditionnel négatif : « Vous faites toujours mal votre travail » sous-entend : « Vous êtes nul. »
C. Quelques lois au sujet des signes de reconnaissance
1.
Pour obtenir la même quantité d’énergie psychique, il faut recevoir soit une stimulation positive, soit de cinq à dix stimulations négatives.
2.
Un signe de reconnaissance positif sera d’autant plus intense qu’il sera :
- approprié
- dosé
- personnalisé
- argumenté
- sincère
3.
Il est important de donner les signes de reconnaissance en utilisant nos états du Moi positifs (Parent Nourricier Positif, Parent Normatif Positif, l’Adulte, l’Enfant Adapté Positif, l’Enfant Libre Positif) et en nous adressant aux états du Moi positif de l’autre :
- à son Parent sous forme de valorisation de l’expérience ou du sens des responsabilités.
- à son Adulte sous forme de valorisation du sens de l’autonomie, de l’adaptation à la réalité.
- à son Enfant sous forme de valorisation de ses sentiments positifs.
Il convient donc de varier les signes de reconnaissance en variant les manières de les donner et en utilisant tous les états positifs, de soi-même et de l’autre.
4.
Chaque personne a un canal préférentiel pour recevoir ou donner des signes de reconnaissance :
- le regard
- le toucher
- l’écrit
- la parole
5.
Certains ont besoin d’une dose quotidienne importante de stimulations, d’autres se contentent de moins.
6.
Le signe de reconnaissance positif est une richesse inépuisable, gratuite et accessible à tous.
Plus j’en donne, plus j’en reçois et réciproquement. Alors que les réserves d’argent sont limitées, celles de signes de reconnaissance sont illimitées.
D. Les systèmes de circulation (d’échange) des signes de reconnaissance.
L’idéal serait que chacun puisse librement :
- en donner aux autres : « Cette coiffure te va très bien. »
- en demander : « Tu le trouves bon, mon dessert ? »
- en recevoir : « Ton compliment me touche beaucoup. »
- en refuser : « Je ne vous permets pas de me dire que je suis un bon à rien. »
- s’en donner à soi-même : « J’ai bien élevé mes enfants. »
Mais dans notre société la distribution gratuite de paroles positives entraîne la méfiance (« C’est louche. Qu’est-ce que cela cache ? »).
Beaucoup de personnes estiment que « cela ne se fait pas » de demander des compliments, que « c’est de l’orgueil » de les accepter, que « c’est de la flatterie » d’en donner aux autres, que « se dire des choses gentilles à soi-même est idiot » et qu’« elles n’ont pas la force d’interdire aux autres de leur dire des méchancetés ».
E. Les signes de reconnaissance en relation d’aide
1.
Ecouter activement le client est l’un des plus beaux signes de reconnaissance que vous puissiez lui donner.
Le comprendre, clarifier avec lui les termes de son problème et de sa situation est une marque de valorisation pour lui. Dans cette écoute active c’est l’état Adulte du conseiller qui est aux commandes, il enregistre les informations qui lui viennent simultanément de son Parent et de son Enfant et des trois états du Moi du client.
2.
Déterminer la durée d’un entretien donne aussi au client une stimulation positive puisque, explicitement, on lui indique que tel laps de temps (30 minutes, 1 heure) lui est réservé exclusivement.
3.
En relation d’aide, tant le client que le conseiller sont en quête de signes de reconnaissance.
Le danger de tomber dans les jeux psychologiques négatifs, dans le triangle dramatique afin de s’en procurer n’est jamais loin pour l’un comme pour l’autre.
- Le conseiller fera des relations d’aide d’une manière saine s’il peut, en dehors du cadre de cette aide à autrui, recevoir, demander et donner la reconnaissance positive dont il a besoin pour lui-même. Il lui sera plus facile de demeurer dans une position autonome, caractérisée par une action réfléchie, non influencée par l’émotionnel, s’il a fait son plein de calories psychologiques.
Un bon conseiller est sensible à son propre besoin de reconnaissance positive. Il sait qu’il doit la rechercher ailleurs qu’auprès de son client; par ailleurs, il est attentif au fait que son client éprouve exactement le même besoin.
Le client : certaines personnes viennent en effet plus pour raconter leurs malheurs que pour poser un problème précis. Leur Adulte contaminé par l’Enfant en manque de caresses positives, utilise ce moyen pour les obtenir.
Plutôt que d’entrer dans cette écoute ennuyeuse des jérémiades, le conseiller centrera plus directement le client sur son vécu personnel actuel. Ce n’est pas toujours facile car il est plus tentant de jouer à des jeux négatifs et de devenir le Sauveteur d’une Victime.