Table ronde « Parole aux victimes » : intervention de Jacques Poujol, d’Empreinte Formations, invité à parler au nom du Protestantisme.
Rencontre de la Conférence des responsables de culte en France (CRCF) sur le thème :
« Violences sexuelles : que font les cultes ? » du 19 septembre 2023
Les intervenants répondent à la question « Quelle est selon vous la situation en ce qui concerne les violences sexuelles dans votre culte en France ? »
Pour commencer et être clair, il nous faut dire que les églises et œuvres protestantes en France sont globalement concernés par le problème qui nous rassemble ce matin, celui des abus et violences sexuelles dans nos communautés.
Cela fait maintenant 40 ans que je travaille, observe et accompagne les victimes d’abus et de violence sexuelles, et ceci dans le cadre plus particulier des églises, œuvres et communautés protestantes.
Cet engagement est pour moi le fruit, d’une part, d’une prise de consciences des problèmes et de la détresse des victimes et, d’autre part, du peu de moyens et de connaissances pour les accompagner qui il y avait alors dans nos milieux.
C’est un fait que le Protestantisme dans toute sa variété de courants n’en est pas épargné, certes à des degrés différents, souvent selon l’ecclésiologie des œuvres et des églises.
Il nous manque en France des études sérieuses et récentes d’ampleur significative sur le nombre de victimes réel, les méthodes et agissement des églises face à ces problèmes, sur les accompagnements proposés et le suivi des victimes.
Une seule étude récente sur les violences et les abus dans le couple et leur suivi a été faite il y a un an et publiée. Elle nous donne des chiffres et des clés de lecture pour comprendre ce problème. Ils sont impressionnants. Mais cette étude n’a pas été, ou que très peu, diffusée parmi les différents milieux concernés par ces problèmes…
J’ai pu observer aussi une loi sinistre : que pour qu’il y ait abus ou/et violence sexuelle, il y a très souvent au préalable un abus spirituel – qu’il soit dû à une personne abusive ou qu’il soit lié à un système abusif – ce qui amplifie bien sûr la souffrance et le désarroi des victimes. Je pense que là est le réel nœud que nous rencontrons dans l’analyse et, bien sûr, dans l’accompagnement et le suivi des victimes.
J’ajouterai quelques observations et constatations que nous, à Empreinte Formations, avons pu faire sur le terrain de l’accompagnement et de la formation.
La première remarque est qu’il nous faut distinguer dans nos milieux ecclésiastiques deux formes de systèmes – j’emploie le langage systémique.
Le premier dit « système ouvert » : s’il connaît des abus, leur nombre est plus faible et l’accompagnement plus adapté dans l’aide aux victimes parce que plus à l’écoute de celles-ci.
Le deuxième dit « système fermé » : c’est-à-dire qu’il est dysfonctionnel pour les individus qui s’y trouvent engagés. Dans ces communautés dysfonctionnelles, le nombre d’abus est nettement plus élevé. Cela ne devrait pas nous étonner puisque le respect de la personne passe après les objectifs, souvent cachés et non dits, de la communauté et des valeurs qu’elle déclare servir. C’est ici que nous trouvent souvent la confusion dans l’enseignement comme dans le pseudo-accompagnement, de deux grandes dimensions essentielles dans la construction de la personne humaine : la spiritualité, c’est-à-dire la théologie, et la psychologie, c’est-à-dire le monde émotionnel. Mélanger les deux, ouvre la voix aux abus. Ces enseignements et comportements de confusion et le refus de les entendre vont littéralement accentuer les problématiques des victimes prises dans un piège d’où il leur sera difficile de sortir, d’autant que le langage est abusif lui-même.
J’ajouterai la propension que certains groupes, communautés et autres ont de vouloir gérer, « régler » en interne et à huis clos les problèmes d’abus par peur du discrédit, par ignorance, par protection instinctive ou par soumission à « la cause » qu’ils font passer avant la souffrance du sujet. L’autorité spirituelle agit ici avec emprise ou mépris face aux souffrances des victimes qu’elle culpabilise. Les victimes sont prises en tenaille entre parler et être rejetés, exclus, ostracisés, culpabilisés, ou se taire et vivre dans une mort intérieure et relationnelle.
Quatre mots pour résumer ces situations assez fréquentes en milieu fermé : silence, culpabilité, domination, rejet.
Pour conclure, il nous faudrait reconnaître
- que certainement nous avons manqué de vigilance face à ces milieux fermés et dysfonctionnels
- que une charte de déontologie pastorale serait la bienvenue
- qu’il nous faut être vigilants sans être méfiants et surtout penser à former nos responsables à une meilleure compréhension et accompagnement des victimes.