Pourquoi le mot « discipline » est-il connoté si négativement ?

Entretien avec Jacques POUJOL

 

On le confond souvent avec « correction ». Il devient alors synonyme de punition, de tristesse et, surtout, de peur. Or, la discipline implique une réorientation dans une nouvelle direction, ce qui est positif. La discipline, c’est la tristesse d’avoir mal agi puis la joie de la réconciliation et d’aller vers quelque chose de meilleur. Certes, il est plus facile de corriger en punissant mais cela instaure un sentiment de culpabilité. Voilà pourquoi l’idée que l’on se fait de la discipline est si négative.

Pourquoi la discipline est-elle indispensable ?

Il est nécessaire de rencontrer la frustration pour se construire. Personne ne peut grandir sans cela. La discipline nous aide à les gérer et à leur donner un sens. Sans elle, nous serions tous des délinquants. Ce qui signifie que la discipline a aussi pour objectif de rendre l’individu sociable. Elle est donc indispensable, à condition toutefois de l’entendre dans un sens positif et non castrateur.

La discipline est-elle un remède à tout ?

Non. C’est seulement une condition nécessaire pour grandir mais ce n’est pas suffisant. Elle doit s’accompagner d’un amour qui libère, d’une construction positive de l’image de soi. Plus l’enfant a une image positive de lui-même, plus il acceptera la discipline. L’ado, par exemple, a une mauvaise image de lui et, de ce fait, a du mal à accepter que ses parents le reprennent.

D’autre part, les adultes doivent raisonner les limites qu’ils imposent. Pourquoi l’enfant n’est-il pas autorisé à sortir, par exemple ? Il ne s’agit pas de se contenter de répondre : « C’est comme ça ». L’adolescent a besoin d’une explication et, même s’il râle, il finit par accepter. Si cette explication n’a pas lieu, alors il se rebelle.

Face à un adolescent qui prend son autonomie, comment les parents vont-ils pouvoir continuer à exercer une discipline ?

Il s’agit de distinguer ce qui est essentiel de ce qui est secondaire. A trop vouloir contrôler, les parents perdent tout. La musique, les vêtements… devraient être secondaires par rapport aux grandes lois de la vie et aux grands principes spirituels comme le respect de l’autre, des parents… La question est : qu’est-ce qui est vraiment important ? Mais aussi : qu’est-ce que l’ado attend ? Je pense notamment à l’aspect spirituel.

Justement : il arrive fréquemment qu’à l’adolescence, les jeunes s’éloignent de l’église. Que faire ?

Garder nos jeunes dans les églises repose sur trois axes.

  • Tout d’abord : la spiritualité de groupe. Dans une communauté où l’ado est seul, il est difficile pour lui de trouver une motivation.
  • La spiritualité est aussi affective : il a besoin de discuter avec d’autres jeunes, sans que leur groupe soit pour autant abandonné par les adultes. Ce n’est pas encore l’âge des grandes doctrines !
  • Enfin, il y a la spiritualité rebelle : les ados s’assoient au fond, arrivent en retard… C’est normal. L’enjeu n’est pas forcément d’imposer à son enfant de venir à l’église toutes les semaines mais qu’il entretienne un lien avec Dieu en participant, par exemple, à un camp ou à un week-end spirituel avec des gens de son âge.

Quel conseil donneriez-vous à des parents qui ont du mal à définir l’essentiel et le secondaire ?

Ils doivent se mettre d’accord sur quelques principes sur lesquels ils ne transigeront pas. Je pense au respect surtout, car beaucoup de choses en découlent : respect des personnes mais aussi des horaires, des lieux… Cela implique que les parents respectent eux-mêmes l’adolescent et ne le considèrent pas comme un sous-produit. Les adultes l’oublient souvent !

De plus, les parents doivent s’attendre à voir les valeurs contestées : l’ado veut s’assurer qu’elles tiennent la route. Il faut alors discuter mais sans lâcher prise, être intraitable sur les grands principes de la vie. Dans ce sens, l’adolescence est aussi un passage pour les parents : le jeune leur renvoie ce qu’ils ont construit. Les adultes se posent donc aussi des questions existentielles et liées à leur identité, surtout si – comme c’est souvent le cas – leur enfant arrive à l’âge de l’adolescence alors qu’eux-mêmes atteignent la quarantaine.

Que faire quand les parents n’ont pas su poser, dès le départ, les limites d’une discipline saine ?

Si les parents se rendent compte qu’ils ont un problème avec l’adolescent, il faut qu’ils consultent tout de suite. Une thérapie familiale est même conseillée. La situation est rattrapable si les adultes se donnent les moyens et s’ils sont capables de se remettre en cause. Il faut savoir que ce qui influence le plus les adolescents est l’exemple des parents, bien plus qu’Internet ou la télé ! L’ado porte les dysfonctionnements des parents et c’est pour cela que les deux générations ont parfois tant de mal à se comprendre.

C’est aussi durant cette période que les parents vérifient si les valeurs ont bien été transmises car le jeune les renvoie à leurs propres valeurs. Si un ado a les bases, il n’est pas perdu. Même s’il se fait mettre un piercing ! C’est secondaire. Cela n’empêche pas de lui dire ce qu’on en pense mais il ne faut pas se crisper là-dessus.

Comment gérer les relations que son enfant développe avec le sexe opposé ?

Tout d’abord, l’ado aura le respect du sexe opposé si ses parents se respectent mutuellement. Il faut aborder la sexualité avec lui, en sachant qu’on ne sera jamais son confident. Les ado ont une pensée forte en eux : les parents ne sont pas sexués. Les parents peuvent donc parler de sexualité à leur enfant mais il n’y a pas de réciprocité et il ne faut pas en chercher. Il existe également une gêne incestuelle à partager sur ces questions. L’essentiel, c’est que le jeune sache à qui s’adresser en cas de problème. Les parents peuvent aussi demander à leur enfant de ne pas flirter avant l’âge de 16 ans, par exemple, parce que c’est trop jeune. Ceux qui ont une expérience très tôt passent souvent plusieurs années sans rien vivre ensuite.

Puis vient le moment de faire confiance. On ne fait pas assez confiance aux ados ! Il n’est pas question de laisser un jeune de 14 ans sortir jusqu’à 4 heures du matin mais de le croire capable de mettre en œuvre ce qu’on lui a appris. Bien sûr, les parents sont conscients de bien plus de risques que leur enfant mais ce n’est pas une raison. L’ado n’est pas toujours sous leur regard et si ses parents ne lui font pas confiance, c’est d’abord eux qu’ils rendent malades !