LA STRUCTURATION SPIRITUELLE DE L’INDIVIDU :

LES ÉTAPES DU DÉVELOPPEMENT

Notes prises lors d’un atelier dirigé par Jacques Poujol à l’Université d’été de la relation d’aide à Nîmes, août 2006

Les étapes de la croissance spirituelle de l’individu ne sont pas à confondre avec sa croissance physique, psychique et affective. Avant de décrire ces étapes, il est important de savoir qu’elles se chevauchent l’une l’autre. Chaque étape est nécessaire et il faut la dépasser. On ne peut pas régresser d’une étape à une autre, mais on peut y rester fixé, tombant alors dans l’abus spirituel.

L’être humain est « un animal spirituel » qui va nourrir sa vie spirituelle. Comment ? Cela dépend de l’objet de sa foi et de sa foi en collectivité. Quand on pose la question à des croyants, on met l’accent sur le vécu personnel au détriment du vécu collectif.

La croissance spirituelle se fait toujours par crises successives (que l’on soit chrétien, bouddhiste, musulman, etc.), en conjuguant d’abord une séparation, une différenciation, puis par une ouverture à une autre dimension spirituelle. Il y a donc une part de crainte et de deuil, un temps de régression, un temps de prise de conscience des limites dans lesquelles on est et qu’il faut dépasser. On ne peut pas accélérer la vie, mais on peut la détourner. La croissance suit un cours : s’il y a violence dans la vie spirituelle, il y aura une fixation à un stade du développement de la personne avec l’émergence d’une pathologie spirituelle.

Le risque est celui d’une communauté religieuse fixée à un stade : l’individu restera fixé à la pathologie de l’église.

1ère étape

C’est  l’étape de la foi qui adhère : c’est la découverte de la vie spirituelle, de la foi copiée et fusionnelle. Les nouveaux adhérents sont en général très zélés. Cette foi d’imitation confond présence, amour et émotions. Cette foi émotionnelle va donner à l’individu un sentiment de sécurité : la vérité est dans les émotions.

Cette étape doit durer environ un an.

Il faut donc construire le noyau dur de la foi :

  • l’individu a le droit d’exister parce qu’il est dans une alliance, un contrat relationnel entre l’homme et Dieu. Cette alliance lui donne une sécurité fondamentale. Il a une destinée plus qu’un destin.
  • si il y a alliance, l’individu a un rôle à jouer dans le cadre qui lui est donné.

Le noyau dur de la foi se construit sur la base de quatre éléments :

  • Je suis en marche (comme Abraham)
  • Je me repose sur l’œuvre de Jésus
  • Je dois construire ma vie avec la vision du temps et de l’éternité
  • Je ne pourrai pas m’épanouir sans les autres

Quand il me manque un de ces quatre éléments ou qu’un prédomine par rapport aux autres, deux problèmes vont se poser :

  • Je développe un narcissisme excessif, dû à l’insécurité dans laquelle je me trouve. Je vais apaiser Dieu par des sacrifices, il ne faut pas qu’il m’échappe. Ma réflexion spirituelle sera fusionnelle : pour me sécuriser, je vais être mordu des groupes où l’émotionnel prime sur le rationnel  et je vais confondre l’émotion et l’Esprit Saint. C’est le retour à l’église primitive où on avait tout en commun. C’est un discours peu réaliste.
  • Je développe un comportement d’isolement complet, je vis ma foi comme un enfant-loup ou je surinvestis la forme qui me sécurise au détriment du fond. La forme, je la maîtrise, alors que le fond m’échappe.

2ème étape

C’est celle de la foi qui questionne. Les « pourquoi » demandent une réponse par ceux qui ont amené l’individu à la foi, même si la réponse est donnée sous forme de versets interprétés complètement en-dehors de leur contexte biblique. Cette étape dure 2 à 3 ans.

C’est l’âge aussi où on croit qu’il suffit de parler pour que les choses arrivent : on est dans la toute puissance de la parole. L’individu est le sel de la terre, la lumière du monde. Il va construire un discours basé sur ses expériences personnelles et va avoir une vision particulière des choses.

C’est l’âge où la prière est ressentie comme quelque chose de conquérant. Les prières de l’individu sont des imprécations. Il est convaincu et convaincant et est prêt à partir en guerre. C’est la théologie de la toute puissance égocentrique. Si l’individu est dans un milieu de vie sain, il va se construire. Si tel n’est pas le cas, il va se fixer à ce stade et il va faire une réflexion faite de slogans, de préjugés, même agressifs, et non de théologie. Il a réponse à tout. Il devrait avoir une pensée plus opérationnelle, dans le sens que la vie chrétienne est une croissance, et qu’elle comporte aussi sa part de limites.

La réponse étouffe la question, mais ne nourrit pas la curiosité de l’individu. Si on nourrit sa curiosité, il va pouvoir passer à l’étape suivante.

3ème étape

C’est l’âge de la raison, de l’intériorisation. Elle dure environ 4 à 5 ans.

Le chrétien va mettre en accord sa pensée avec son action. Donc il va s’engager dans son milieu : on a confiance en lui, la forme et le fond s’accordent. Il s’approprie la forme et le fond du groupe et il s’engage. Il va être craintif, pas très ouvert à ce que pensent les autres. Les autres sont intéressants, mais dans l’erreur. Il donne un sens à sa foi à travers l’action qu’il mène.

Il voit le monde divisé en deux : le monde est un fleuve qui transporte des choses boueuses, tandis que son église est la rivière propre, bien pure. Il s’invente un mythe ecclésial, spirituel : tout est bien. Pour lui, l’évangélisation consiste à faire passer l’eau boueuse du fleuve (le monde) à travers des filtres jusque dans sa petite rivière, pour qu’elle grossisse. Il se construit un conte familial ecclésial parfait. Quand il trouve un poisson mort dans sa rivière, c’est la faute du poisson qui a oublié de respirer ou alors, on a enlevé un filtre !

3 éléments caractérisent cette étape :

  • Engagement-consécration où tout est logique, Dieu lui-même étant connu comme logique. Si cela ne va pas, c’est parce qu’on n’est pas assez engagé.
  • Obéissance-renoncement. Les responsables ont la vision, pas nous.
  • Pardon-culpabilité. On efface tout, la victime devient coupable.

Comme l’individu est bien dans son église, il ne se rend compte de rien. Puis il réalise que la rivière n’existe pas, il s’est mis hors du monde et non pas dans le monde. Il est tombé dans le légalisme.

Le légalisme engendre trois comportements :

  • L’hypocrisie (style Tartuffe)
  • La dépression
  • Le légalisme honnête ou pharisianisme

4ème étape

C’est l’étape de la contestation qui va durer 8 à 10 ans, comparable à une crise d’adolescence. Puisque l’individu n’est plus dans la petite rivière, il va contester pour vérifier ce qu’il croit. Il va se mettre en opposition avec les responsables de son église et secouer les croyances. Il conteste pour mieux s’ancrer. Etant dans le grand fleuve, il va se rendre compte qu’il n’est pas tout seul. Il va découvrir d’autres personnes chrétiennes et cela va l’enrichir.

On peut dire que c’est l’étape de la construction du discours par la déconstruction des croyances. A ce stade, il ne voudra plus de slogans, mais de quelque chose de constructif, sauf si jusqu’ici, on l’a empêché de penser par lui-même.

A quoi me sert la foi ? L’individu va raisonner la foi et l’action de la foi dans sa vie. Maintenant, il va s’interroger : c’est quoi, être la lumière du monde ? Il a besoin de grandes figures emblématiques pour qui la foi a été un engagement positif (Mère Teresa, par ex.) et constate qu’on peut avoir des visions différentes de la vie chrétienne.

Sa peur est d’être marginalisé, il veut une foi qui est acceptée par le fleuve. Il apprend qu’il faut quitter pour devenir, mourir pour vivre : si le grain de blé tombant en terre ne meure…

S’il entend un discours répressif, s’il est incompris, il peut développer trois attitudes pathologiques :

  • Il s’identifie à un personnage idéalisé : il devient un petit apôtre Paul ou un petit Martin Luther King, etc.
  • Il devient un nihiliste de la foi : il critique tout, sans rien composer. Il perd son énergie à tout critiquer, il est un co-dépendant de la foi. C’est un non sans un oui à rien.
  • Pour ne pas désespérer, il développe un mysticisme pathogène : il va s’impliquer dans un tout petit groupe de prières, va former un groupe très fusionnel. Ce qui compte, c’est le Seigneur. Il retourne au fusionnel avec deux ou trois personnes, mais plus dans la collectivité.

5ème étape

C’est l’étape de la foi individuelle. Au stade IV, les individus changent d’église ou de foi.

La foi devient adulte, individuelle, réfléchie, on ne la copie plus, on ne s’oppose plus.

On intègre le paradoxe dans la vie spirituelle. On ne veut plus faire des moulinets, on n’a plus envie de s’engager. On a compris la pédagogie de Dieu et on est souple dans la notion du paradoxe.

C’est une naissance à soi : je renonce à suivre pour marcher avec moi-même.

Pour expliquer la notion du paradoxe, je reprends ce que Jacques Poujol et Valérie Duval-Poujol en disent dans leur livre « Les 10 clés de la vie spirituelle », éd. Empreinte Temps Présent, 2003, p.108, 109, 110.

«Un paradoxe, ce sont deux principes ou deux éléments différents voire contradictoires qui s’opposent, mais qui émanent de la même source et servent le même but. Ce qui sous-entend qu’on ne peut éliminer ni l’un ni l’autre. C’est le cas pour la trinité : Dieu est un, mais en même temps, il est trois personnes : le Père, le Fils et le Saint Esprit.

Il est préférable de regarder ces deux vérités contradictoires sans exclure l’une des deux ni choisir entre elles, ce qui exclurait une partie de la réalité.

La pensée paradoxale est indispensable à ma vie spirituelle, non seulement pour comprendre la Bible mais aussi les faits de ma vie. Volontairement ou non, je suis amené à penser et à m’exprimer de façon paradoxale. Le paradoxe est le moyen de tenir compte du réel sans m’amputer d’une bonne partie de moi-même. »

Exemple :

« L’action de l’homme et celle du Saint Esprit »

La Bible nous exhorte à prier sans cesse et à intercéder. Mais Dieu agit également de son propre chef. Notre part est de prier mais certains miracles ou conversions ne sont pas liés à la quantité ou à la qualité de nos prières. «  Il en donne autant à ses bien-aimés pendant qu’ils dorment ». De même, Dieu nous invite à témoigner, mais il n’a pas besoin de nous pour agir. Il est capable de convertir n’importe qui sans aucune aide humaine, comme le montre l’histoire de Paul. Et pourtant, il a choisi de faire de nous ses co-ouvriers. Est-ce l’action de l’homme ou celle de Dieu qui font avancer les choses ?

Autres exemples :

  • La grâce et les œuvres
  • La perfection chrétienne (homme juste et pécheur)
  • Le royaume de Dieu déjà là mais pas encore là
  • La volonté de Dieu et celle des hommes (liberté humaine et puissance divine)
  • La nature de Jésus (Dieu et Homme)

6ème étape

C’est l’étape de l’universalité. Porter un rêve (quand c’est vrai, c’est de l’utopie) et penser qu’on peut mourir pour une cause. On participe à un rêve universel, on est prêt à y consacrer le reste de sa vie.