La redécouverte de l’âme et sa restauration

«CARE OF SOULS »

par David G. Benner, Docteur en Psychologie, USA 1998

 Traduction par Bernard Bally

Horizon 9 / Mai 2000

1. INTRODUCTION

Jusqu’au début du 20e siècle, le concept de l’âme était le point central de la compréhension de la personne, soutenu par les théologiens et les philosophes, et accepté par la plupart des gens qui avaient réfléchi sur ce sujet. Cela a changé très rapidement au début du 20e siècle. Soudainement, l’âme a passé de mode. Les raisons en sont complexes, et une étude attentive sortirait des limites et du but de ce livre. Cependant, deux raisons sont dignes d’être mentionnées : la réaction des théologiens contre la vision platonicienne de l’âme qui prévalait alors, et le développement de la psychologie moderne.

La compréhension de l’âme selon Platon a eu une influence prépondérante sur les philosophes et les théologiens durant ces deux derniers millénaires. Modifiant l’ancienne compréhension hébraïque de la nature de la personne, la vision platonicienne mit en évidence une âme immortelle emprisonnée dans un corps mortel, et attendant sa libération à la mort. La redécouverte par les théologiens d’une vision plus globale de la personne selon l’Ancien Testament conduisit au discrédit de l’âme platonicienne et au rejet du dualisme corps-âme qui lui était associé.

Tout concept d’une âme a été éliminé de la psychologie moderne. Cela est très paradoxal, étant donné que le mot « psychologie » signifie littéralement «science de l’âme ». Cependant, sous l’influence dominante de la philosophie positiviste, la science de l’âme est devenue la science « sans âme ». Les psychologues ont évité tout  ce qu’ils ne pouvaient observer, et orienté leurs recherches sur le comportement de l’être humain. La psychologie moderne, voulant se définir comme une science et prenant ses distances avec la religion, considéra l’âme comme un héritage inutile du passé, et tenta de l’ignorer radicalement. Rapidement, elle fut considérée comme dépassée par la plupart des gens dans une culture matérialiste, sécularisée et psychologisante.

2. LA REDÉCOUVERTE DE L’ÂME

Quelle surprise quand tout-à-coup, durant cette dernière décade, le concept de l’âme fit sa réapparition. A la suite de Thomas Moore et de son best-seller « Care of the Soul » (1992, New York), les éditeurs ont rapidement compris qu’il y avait là un nouveau marché et il s’ensuivit une avalanche d’autres titres sur ce sujet. Encore plus surprenant est le fait que ce regain d’intérêt pour l’âme et ses soins est intervenu dans un contexte de renouveau d’intérêt pour la spiritualité. Cet intérêt pour l’âme est accompagné d’un intérêt pour les anges, le channeling, la méditation et le chant grégorien. L’âme qui a été redécouverte n’est pas quelque être éthéré, immortel ou d’essence platonicienne, mais un noyau spirituel, très vital, incarné, de la personnalité.

L’importance de ce retour de l’âme et de l’intérêt pour la spiritualité ne doit pas être sous-estimée. D’un côté, cela semble être une réaction contre le matérialisme. Quelle que soit la définition de l’âme, elle est invisible et immatérielle. En tant que telle, elle n’existait pas dans une culture qui donnait la primauté aux choses qui pouvaient être vues, senties et traduites en valeurs financières.

D’un autre côté, la spiritualité, qui a été associée au regain d’intérêt pour l’âme durant la dernière décade, est aussi une réaction contre la religion, en particulier le christianisme. Pour la plupart de ceux qui sont intéressés au retour du spirituel, le dernier endroit où ils voudraient se tourner pour être guidés dans leur quête serait l’Eglise. L’émergence de la spiritualité apparaît comme une réponse, non seulement à la faillite du matérialisme, mais aussi à la non pertinence des religions traditionnelles du monde occidental.

Percevant ce phénomène, les chrétiens ont souvent considéré ces développements avec suspicion et animosité. Classant ces spiritualités sous l’appellation « Nouvel Age », et se focalisant sur les points évidents de divergences avec la vision spirituelle du christianisme historique, nous avons souvent manqué de discernement sur la faim spirituelle de ceux qui s’ouvrent à des spiritualités non chrétiennes à la fin de ce 20e siècle. Nous n’avons pas non plus compris le changement qui s’est opéré dans la vision prédominante du monde, associée à ce que la modernité nous a légué. Selon beaucoup d’observateurs, le monde occidental n’est plus simplement post-chrétien, il est maintenant post-moderne. La redécouverte de l’âme et l’intérêt pour le spirituel forment tous deux une partie essentielle de ce développement.

3. L’ARTICULATION DU PSYCHOLOGIQUE ET DU SPIRITUEL

Sans minimiser les défis importants que ces développements représentent pour le christianisme, les deux groupes de gens qui forment la première audience de ce livre – les pasteurs et les professionnels de la santé – devraient aussi reconnaître l’importance majeure que ces défis représentent. L’âme est le point d’articulation du psychologique et du spirituel. Cela veut dire que les soins de l’âme, qui bénéficient à la fois des meilleures connaissances de la psychologie moderne et des approches du christianisme, ne pourront plus jamais accepter la distinction artificielle entre le psychologique et le spirituel. Une compréhension correcte de l’âme réunifie le psychologique et le spirituel et oriente les activités de ceux qui en prennent soin de telle manière qu’ils touchent les niveaux les plus profonds de la vie intérieure des gens.

Pour les pasteurs, cela représente la possibilité d’inverser leur marginalisation dans les domaines de l’âme. L’acceptation d’une distinction entre les aspects psychologique et spirituel des personnes, induite par le développement du mouvement thérapeutique moderne, a eu pour conséquence que la compétence de l’Eglise a été réduite à la partie spirituelle des personnes. Dans un monde intérieur ainsi fragmenté et Dieu conçu comme intéressé en priorité aux affaires religieuses, l’Eglise a largement abandonné ses efforts pour offrir une aide dans les domaines de la vie intérieure dans sa globalité. Cela a finalement conduit au remplacement des pasteurs par les psychothérapeutes en tant que vicaires de l’âme. Si les pasteurs veulent être remis à leur juste place de responsabilité, il est essentiel que la nature psycho-spirituelle de l’âme soit rétablie.

Les professionnels de la santé ont un besoin encore plus grand de retrouver cette compréhension de l’âme et des soins à lui apporter. Habituellement, ils ont offert une forme d’aide qui tire son énergie et son orientation uniquement d’une vision de la guérison fournie par la psychothérapie moderne. Et ils ont tâtonné pour trouver des chemins d’intégration de leur foi chrétienne personnelle dans leur pratique. Un des défauts de cette recherche d’intégration est qu’elle assume que deux choses qui sont fondamentalement séparées peuvent, par de la créativité et des efforts, être connectées. Cela ne peut que conduire à l’échec car, en fait, elles sont déjà connectées. L’âme est le point de rencontre du psychologique et du spirituel. Les soins de l’âme doivent, par nécessité, inclure à la fois les aspects spirituel et psychologique. Les professionnels chrétiens qui osent affronter le changement de paradigme que cela implique, en remettant à leur juste place la relation d’aide (counselling) et la psychothérapie en tant que soin de l’âme, ont alors à leur disposition des moyens d’aide qui sont plus vitaux, spirituels et spécifiquement chrétiens.

Pour les pasteurs et pour les professionnels de la santé, la réémergence de l’âme et le regain d’intérêt pour l’aide à lui apporter offrent la possibilité d’un ministère chrétien plus global. L’aide chrétienne qui réussit à réunifier les aspects psychologique et spirituel des personnes tient la promesse d’une pertinence et d’une efficacité qui ont souvent manqué dans le service des chrétiens et des professionnels de la santé.

4. RENOUVEAU DE LA SPIRITUALITÉ CHRÉTIENNE

Une juste compréhension de l’âme contient également la promesse de revitaliser la spiritualité chrétienne. Une autre conséquence de la distinction artificielle entre les aspects psychologique et spirituel des personnes a été une pratique de la spiritualité chrétienne qui mettait l’accent sur la connaissance de Dieu, mais qui a négligé la connaissance de soi. Cela a malheureusement conduit à une spiritualité qui n’était ni fondée ni intégrée de façon vitale dans la réalité de la personnalité entière. Non seulement une telle spiritualité n’arrive pas à nous transformer dans les profondeurs de notre être, mais elle conduit aussi à tous les dangers liés à un manque d’intégrité. Une spiritualité qui n’implique pas la totalité de notre être est une spiritualité qui augmente notre fragmentation. D’un autre côté, une compréhension de la spiritualité chrétienne qui affirme l’interdépendance entre une profonde connaissance de Dieu et de soi est une spiritualité qui nous unifie dans nos profondeurs et nous rend entier et saint.

La clé de ces possibilités est la redécouverte des soins de l’âme dans la tradition chrétienne, enrichie des meilleurs discernements de la psychologie moderne. Même s’il était possible d’inverser l’histoire, ce n’est pas souhaitable. Une aide chrétienne vitale ne peut pas venir d’un retour au passé. La vie chrétienne est rédemptrice et non régressive. Le défi est de retrouver le bon du passé, et d’alimenter ce bon par les meilleurs discernements du présent.

Les églises qui cherchent à être pertinentes dans la vie des hommes et des femmes du troisième millénaire ont désespérément besoin de comprendre la dynamique de l’âme et l’aide à lui apporter. Les professionnels de la santé, qui ont assumé beaucoup de responsabilité pour cette aide durant les dernières décades, doivent comprendre combien les préoccupations psychologiques que les gens partagent, cachent en fait des préoccupations spirituelles. Au-delà, tous ceux qui cherchent à aider d’autres ont grandi en tant qu’humains et, comme chrétiens, ils doivent mieux comprendre ce qui est impliqué dans une telle croissance. Parents, enseignants, amis, ainsi que conseillers, pasteurs, guides spirituels, tous ont besoin d’une carte du terrain qu’ils traversent avec les autres dans leur parcours de vie, tout en suivant le Christ.

5. LE MYSTÈRE DE L’ÂME

Il est cependant important de reconnaître que la nature de l’âme échappe à une cartographie précise. Si les cartes de l’âme éliminent le mystère, elles éliminent aussi l’âme. Nous devons donc nous préparer à des définitions qui semblent vagues et des frontières floues. L’esprit et le mystère sont intimement connectés. Alors que tout ce qui est mystérieux n’est pas forcément spirituel, ce qui est véritablement spirituel contient un élément de mystère. C’est pourquoi des cartes de l’âme ne devraient pas éliminer le mystère qui fait inévitablement partie de la nature psycho-spirituelle des personnes…

APPEL À TOUS

Le but de cette étude est d’apporter une contribution à la redécouverte d’une aide pour l’âme qui soit spécifiquement chrétienne. Cela concerne un groupe bien plus large que les pasteurs et professionnels de la santé. Parents, éducateurs, amis, tous ceux qui sont engagés dans une forme quelconque de ministère chrétien, les conseillers laïques et tous ceux qui cherchent à apporter une nourriture chrétienne, des soins, ou la guérison de la personne, tous sont impliqués dans le travail pour les soins de l’âme. Tous ont un rôle crucial à jouer pour la restauration d’une partie essentielle du ministère de l’Eglise.

6. LA DYNAMIQUE PSYCHOSPIRITUELLE DE LA PERSONNALITE

Le terme « psychospirituel » fait référence au fait que le monde intérieur de l’homme n’a pas de compartiments séparés, l’un spirituel et l’autre psychologique. Les humains, intérieurement, sont des êtres psychospirituels. Aucun problème n’est, soit spirituel, soit psychologique, tous les problèmes sont psychospirituels. Les aspects psychologiques et spirituels du fonctionnement humain sont identiques. Toute séparation de la spiritualité et de la psychologie est par conséquent artificielle et destructrice en ce qui concerne la juste compréhension de l’homme.

C’est pourquoi, quand nous parlons du spirituel, nous devons comprendre que nous faisons référence à l’aspect spirituel de la dynamique psychospirituelle, une dimension qui est typiquement ignorée dans le discours et l’analyse psychologiques. De même, quand nous parlons du psychologique, nous devons comprendre que nous faisons référence à l’aspect psychologique de la même dynamique psychospirituelle, une dimension qui est également négligée dans le discours spirituel.

Toute psychologie qui cherche à comprendre la condition humaine doit aborder l’ensemble de cette dynamique psychospirituelle. Et toute théologie qui cherche à être en accord avec la condition humaine doit comprendre combien la vie spirituelle chrétienne est en fait profondément en accord avec cet ensemble de la dynamique psychospirituelle. Les catégories psychologique et spirituelle sont des inventions humaines, et relativement récentes. Elles déforment la compréhension biblique de la nature holistique de la personne. L’affirmation fondamentale de l’anthropologie biblique est que la personne est un tout unique. Nous ne sommes pas composés de parties séparées et indépendantes, telles que corps et âme, ou âme et esprit.

Ceux qui cherchent à prendre soin des autres dans leur profondeur et leur totalité doivent désapprendre toutes ces fausses distinctions qu’ils ont faites entre les aspects psychologique et spirituel de la personne. Ils doivent aussi apprendre à reconnaître et comprendre cette dynamique psychospirituelle telle qu’elle apparaît à la fois dans la vie de la santé et dans les pathologies. Plus important encore, ils doivent apprendre à discerner l’aspect spirituel de ce qui peut apparaître simplement comme un problème psychologique, et l’aspect psychologique de ce qui peut apparaître simplement comme un problème spirituel. Les soi-disant besoins et problèmes « spirituels » se manifestent à travers des symptômes et mécanismes psychologiques, de la même manière que les soi-disant besoins et problèmes « psychologiques » se manifestent à travers des éléments qui sont apparemment plus spirituels. Si les soins de l’âme concernent ce monde intérieur psychospirituel, ceux qui veulent s’y consacrer doivent en comprendre les fonctionnements.