INTERVIEW DE
JACQUES ET CLAIRE POUJOL
PAR « CONSTRUIRE ENSEMBLE », MENSUEL DE LA F.E.E.B.
Claire et Jacques Poujol exercent un ministère de relation d’aide et d’accompagnement psychologique. Ils ont écrit plusieurs ouvrages qui sont diffusés dans le grand public mais s’adressent particulièrement aux chrétiens…
Claire et Jacques, quel a été votre itinéraire ?
C’est une longue histoire ! Claire avait suivi des études universitaires en psychologie, Jacques était éducateur. Après notre formation biblique et théologique, nous avons eu en charge pastorale deux églises protestantes évangéliques. C’était une joie de voir des personnes grandir dans la foi en Jésus-Christ. Mais nous étions perplexes en constatant que leurs souffrances psychiques (mauvaise image de soi, culpabilité, dépression, angoisses, difficultés conjugales, etc.) persistaient longtemps après leur conversion, malgré leurs tentatives pour prier davantage, lire la Bible, etc. Leurs efforts spirituels semblaient inefficaces pour atténuer leur mal-être.
Après réflexion, nous avons compris que chaque problème spécifique requiert l’aide d’un spécialiste : le garagiste pour notre voiture en panne, le médecin pour les douleurs physiques, le psy pour les problèmes psychologiques.
C’est pourquoi nous avons approfondi notre formation : psychothérapie du couple et de la famille, thérapie cognitive, analyse transactionnelle, écoute rogérienne, thérapie familiale systémique, Programmation Neuro-Linguistique (P.N.L.), aide aux victimes d’abus sexuels, etc. Nous avons fait chacun une psychothérapie personnelle et nous sommes régulièrement supervisés.
Comment s’exerce votre ministère au quotidien ?
Jacques : Depuis vingt ans, mon ministère pastoral consiste pour l’essentiel à enseigner la relation d’aide dans les Instituts de Théologie et les églises. Ces sessions de formation durent trois ans à raison d’un week-end par mois. Elles ont lieu en France et en Suisse. Cette formation s’intègre dans le processus d’accréditation de l’ACC France. Je suis aussi consultant pour les églises et les œuvres chrétiennes : audits, gestion des conflits, etc.
Claire : Je consacre la moitié de mon temps à rédiger les livres que nous co-signons, et à corriger et adapter les manuscrits des éditions Empreinte Temps Présent. L’autre moitié du temps, je gère le site web www.relation-aide.com et j’assure le secrétariat des formations.
Certains disent qu’un chrétien déprimé ou angoissé, c’est une contradiction…
Pourtant le Réformateur Martin Luther était un dépressif chronique, Spurgeon aussi. L’apôtre Paul a été angoissé. Etre chrétien ne nous immunise ni contre le diabète, ni contre la dépression ou l’angoisse.
Vous dites qu’une personne sur deux aurait besoin d’une aide psychologique…
De nombreux professionnels le pensent aussi. Mais il n’est pas nécessaire d’aller mal pour se faire aider ! Une relation d’aide sert aussi à développer mes potentialités, à devenir Sujet. Créé à l’image de Dieu qui est « Je suis » (Exode 3.14), je peux aussi apprendre à dire « je suis », à parler en Je. J’ai un projet de vie personnel, unique, à réaliser.
Un « travail sur soi » m’aide à faire progressivement mienne cette vie qui m’a été donnée : je ne subis plus mon existence mais je décide de vivre pleinement. Je ne peux changer certaines choses, mais j’adhère profondément à la réalité telle qu’elle est. Je « lâche prise », j’accepte mes manques et je fais peu à peu le deuil de mes besoins non comblés.
Les media parlent beaucoup des souffrances des personnes qui ont subi des abus sexuels, dans leur enfance ou à l’âge adulte. Les églises sont-elles attentives à ce problème ou est-ce encore un sujet tabou ?
Hélas, c’est encore complètement tabou dans nos églises. Or les abuseurs sexuels sévissent dans tous les milieux, chrétiens y compris… Même si cela nous répugne, il faut admettre que l’inceste, le viol, les abus, le harcèlement sexuel existent aussi dans les églises évangéliques. Chaque semaine nous rencontrons des chrétiens ayant subi ces traumatismes et qui luttent pour survivre.
Comment les aider ?
En les écoutant, en les assurant qu’on les croit, et en les incitant à dénoncer l’abuseur. Une victime a beaucoup de mal à dénoncer son agresseur ; elle révélera plus facilement l’abus lui-même. Pourtant, cette dénonciation a une grande portée thérapeutique et il faut l’encourager à rompre le silence. Une fois dite à un autre, la parole devient inter-dite et non plus interdite, comme le voulait l’abuseur.
Mais cette dénonciation est souvent mal acceptée dans les milieux religieux. Tant qu’une victime d’abus ne dénonce pas le coupable, elle est considérée comme victime. Mais le jour où elle décide de le dénoncer, de victime, elle devient coupable (d’avoir parlé) et le crime commis envers elle va être minimisé.
C’est pourquoi la grande majorité des personnes abusées se résignent à rester des victimes et donc à se taire, par peur d’être finalement accusées du crime qu’elles dénoncent. Or, il faut qu’elles rendent le poids du crime à celui à qui il appartient : l’agresseur sexuel.
Un mot de conclusion ?
Puisque le langage que l’être humain retient le mieux c’est le langage métaphorique, nous conclurons par une image, celle de l’Amazone.
C’est un fleuve si puissant qu’à son arrivée dans l’Océan Atlantique, il ne se mélange pas immédiatement à celui-ci. C’est seulement à cent kilomètres au large de l’embouchure qu’il s’intègre enfin à l’Océan. Après 7025 kilomètres, il a besoin de temps pour comprendre qu’il peut librement se fondre dans l’immense Océan. De même, après un certain parcours, nous découvrons un jour l’océan de l’amour de Jésus-Christ. Nous entrons dans cet amour inconditionnel avec les berges de notre vécu et de nos blessures. Nous avons, comme l’Amazone, besoin de temps pour réaliser que nous ne sommes plus prisonniers de nos rives et nous épanouir librement dans l’amour infini de Dieu.
Ce temps peut être celui où nous demandons à quelqu’un de nous accompagner, le temps d’une « relation d’aide ».