B. Le contexte psychologique
C’est un contexte personnel, qui permet l’épanouissement des conflits. Je vais vous faire faire un petit voyage, pas très loin, dans le sein de votre mère. Au fond, c’est là que tout commence. Avec quatre éléments importants, liés aux conflits et à nos relations. Ces éléments sont réels, et ils sont en même temps symboliques pour nous plus tard : ils vont demeurer dans nos têtes.
- Le premier élément important dans le sein de la mère, entre le fœtus et elle, c’est le cordon ombilical, par lequel il lui est relié. Le cordon ombilical fait que je me sens en relation. Je suis en relation – donc j’existe. Si l’on veut punir quelqu’un, on le prive de relation. Ainsi, par le cordon ombilical, j’ai la notion très forte d’exister, de vivre.
- Deuxièmement, ce cordon est relié au placenta. Le placenta est comme une source nourricière. Je suis relié à une source qui me fait du bien, une source gratifiante. Autrement dit, je suis aimé, je me sens aimé. Relié et aimé.
- Troisièmement, tout cela se vit dans un monde clos, fermé, tout baigne dans le liquide amniotique. Et comme on dit chez nous quand tout va bien : Ça baigne ! C’est dans le liquide amniotique que je me sens vraiment en sécurité. Donc relié, existant, aimé, en sécurité.
- Mais pour que tout soit ancré en moi de manière définitive, il faut un quatrième élément: je vais sucer mon pouce ou me gratouiller quelque part, tout cela pour me procurer du plaisir. Dans cette situation-là où je suis bien, où je suis relié, où je suis aimé, où je suis en sécurité, je vais faire en sorte de me procurer du plaisir.
Et c’est là que je me suis construit ma première impression du monde, dans une sorte de paradis quelque peu idyllique. Puis, quand plus tard, quelques mois après, j’entre dans ce monde, la première chose que je rencontre, c’est un conflit. Si cela n’avait tenu qu’à moi, je ne serais jamais venu ici. Mais la nature m’a un peu poussé…
Ainsi donc après la naissance, je perds tout cela. Je perds la relation, la source nourricière, la sécurité. Mes premiers cris, de peur, c’est de découvrir le poids de ma tête, et les bruits autour de moi. Voilà mon premier cri : j’ai peur. Ce sera le premier mot de l’homme sur la terre, d’ailleurs : j’ai eu peur. On m’a privé de plaisir, de relation, de sécurité.
Il va falloir que, par des conflits, je me fasse un chemin dans ce monde. D’abord avec mes parents, avec ma mère, et ainsi de suite. Et je vais rêver, car il y aura toujours inscrit au fond de moi cette notion de paradis, cette notion d’un monde idyllique. Je sais au fond de moi-même qu’il existe quelque part un endroit où on m’aime, où je suis bien, où j’ai du plaisir. Je reconstitue tout au long de ma vie des mondes, croyant rencontrer, retrouver ce monde idyllique. Je reconstruis ce monde avec mes frères et sœurs, avec ma famille, à l’adolescence avec mes copains, puis en me mariant, en me convertissant, en venant à l’église. J’essaie toujours de retrouver ce monde symbolique, où je suis bien, en sécurité, où j’ai du plaisir, où on m’aime et où il n’y a pas de conflit.
Ce monde que j’ai perdu, je le retrouve en partie, en partie seulement, dans la relation avec ma mère. Elle me donne le sein ou le biberon ; je ressens son odeur, sa présence, et j’y trouve un plaisir fou, allant jusqu’à croire par moment que j’ai retrouvé le ventre maternel. Mais voilà que cinq minutes après, cette personne qui me donne tous ces plaisirs, me met dans mon berceau, elle me coupe de tout – j’allais dire la « marâtre » -, elle me rend à moi-même, tout seul, privé de son odeur, de sa chaleur, de ses caresses, de son sein.
Il se construit là en moi des choses essentielles qui dureront au long de ma vie. Normalement, quand les choses se passent bien, le côté « bonne mère » l’emporte sur le côté « mauvaise mère », et je suis capable dans la vie d’entrer en conflit avec les gens sans me sentir rejeté, blessé, humilié, parce que j’ai construit en moi la « permanence de l’objet absent. » Et donc je sais que je peux rencontrer l’autre, que je peux m’en détacher et que je ne mourrai pas. Mais si j’ai mal vécu ce moment-là, ces premiers mois, ces premières années de ma vie avec ma mère, j’aurai toutes les peines du monde à accepter de ne pas être le centre du groupe et que le paradis n’est pas sur terre, à admettre que le groupe de prière dans lequel j’étais bien, se révèle tout d’un coup plein de défauts. Je vais fonctionner exactement de cette façon.
Et si vous regardez l’Église, c’est bien ainsi qu’elle a fonctionné. Au point de départ de l’Église, on est plutôt fusionnel : tous ensemble, tous les jours, tous les biens ensemble. C’est le moment où ils doivent construire ce que j’ai dû construire étant enfant, c’est-à-dire la permanence de l’objet absent. Jésus leur avait dit qu’il reviendrait et ils croyaient qu’il allait revenir la semaine suivante, ou quelque temps après. Ils en étaient sûrs. Il leur a fallu du temps pour construire cette vision de l’Église dans le temps. Pour comprendre que Jésus ne reviendrait pas tout de suite, et qu’il faudrait l’attendre des millénaires. Bien plus, le Seigneur a dû permettre la persécution pour les disperser. C’était l’époque primitive de l’Église, nécessaire pour son avenir, mais comme pour l’enfant, les premiers conflits (Actes 6) montrent le chemin de la maturité – ces conflits qui lui permettent de devenir plus apte à remplir sa mission.
Et puis voilà l’Église dispersée sur la terre. Elle devient adulte, pourrait-on dire. Elle est capable, elle doit l’être maintenant, de gérer ses conflits, de vivre ses conflits. Ce qui veut dire que chaque fois qu’on me fait croire que le réveil c’est le retour au fusionnel, c’est en fait un retour à l’infantilisme. Si le réveil, c’est le retour à l’Église primitive, alors c’est un retour à l’infantilisme chrétien.
Le réveil ne peut pas être un retour à l’infantilisme. C’est vrai que quand j’adhère à un groupe de prière, quand je me convertis ou que je change d’Église, il y a un moment où je retrouve ce temps fusionnel, comme le bébé, pendant ces premiers mois, les huit ou dix premiers mois avec sa mère, comme quand je tombe amoureux ou que je me marie, mais c’est aussi vrai que tout de suite après, c’est le même schéma, je retrouve le conflit. Et là, si je n’ai pas intégré en moi la notion forte de Sujet, je suis profondément blessé. Je n’y comprends plus rien. Les conflits sont souvent mal gérés dans nos communautés, nos couples, nos familles, parce que beaucoup de personnes ont mal intégré ce rapport à la mère et cherchent toujours ce paradis perdu.
Je sais qu’on parle beaucoup du rapport au père. Je suis désolé pour les pères, mais le rapport au père est secondaire comparé au rapport à la mère. Car si j’ai bien géré ce problème, si j’ai bien intégré cette présence, cette absence, cet attachement-détachement, comme dit Bowlby, alors je pourrai bien intégrer un groupe.