C. Le contexte fonctionnel

Enfin la dernière source de conflit, c’est la façon dont nous gérons nos conflits, la philosophie que nous adoptons pour le faire.

Imaginez un triangle, dont les trois angles s’appellent les personnes, le problème, le processus.

Dans un conflit, il y a toujours trois grands facteurs à prendre en considération :

  • Les personnes
  • Le problème
  • Le processus

Les personnes

Il faut prendre en considération que chaque personne impliquée dans le conflit est différente, chacune a droit à ses besoins, ses peurs, ses désirs. En outre, il faut éviter d’élargir le conflit aux gens que cela ne regarde pas, de faire appel à des gourous pour gérer le conflit. Quand surgit un conflit dans un couple ou dans un groupe, je cherche ma référence, mon maître, pour venir le résoudre, c’est-à-dire influencer l’autre pour l’amener à penser comme moi. Bien sûr, quand le conflit est grave, l’appel à la personne qui viendra gérer le conflit de l’extérieur est déjà en elle-même une décision capitale. Il faut donc bien poser la question des personnes : quelles sont les personnes concernées, quelles sont celles qu’on appelle et celles qu’il ne faut pas mettre dans le coup.

Le problème

Il y a ensuite le problème lui-même, ce qui nous oppose, ce pourquoi on est en conflit. Très souvent, le problème est le contrat relationnel, le fait qu’on ne respecte pas le contrat relationnel de base qui nous réunit. Toute relation est gérée par un contrat, conscient ou inconscient. Quand quelqu’un dans le groupe dépasse le contrat relationnel, il y a un conflit, quelle que soit la dimension du groupe. Dès qu’une partie du groupe décide de changer le contrat sans l’accord de l’autre partie, un conflit surgit. Et si le contrat est trop strict, s’il ressemble un peu à la loi des Mèdes et des Perses, vous aurez aussi des conflits. Il faut qu’il soit modulable, avec l’accord de tous, et non pas changeable sur l’avis de quelques uns. Le problème nous ramène très souvent au contrat relationnel.

Le processus

Le processus, c’est la façon de gérer les conflits telle que je l’ai apprise, telle qu’elle est inscrite dans mon cerveau. C’est ce que nous avons vu tout à l’heure par rapport à la mère. Comment ai-je appris  à gérer les conflits dans mon enfance ? Comment l’ai-je fait jusqu’à maintenant ? « Chassez le naturel, il revient au galop. » Je continuerai à gérer mes conflits selon le logiciel qui est là, ancré en moi. Il faut beaucoup de persévérance, de temps et de bonne volonté pour changer un logiciel, pour modifier la façon de gérer les conflits. Si j’ai appris à le faire par l’agressivité par exemple, j’aurai beaucoup de peine à changer mon fonctionnement, il va falloir que j’y travaille sérieusement, que je comprenne pourquoi et comment je fonctionne de cette manière. Spontanément, je reviendrai à mon logiciel de base.

Dans le contexte de gestion du conflit, il y a de nombreuses possibilités. Certaines sont bonnes, d’autres sont profondément mauvaises. Mais comme je l’ai dit, chacun a ses logiciels et c’est ce qui pose problème. Dans un conflit, il y a toujours cette opposition entre deux points, entre la tâche que nous réalisons ensemble, le pourquoi nous sommes ensemble et la relation que nous voulons développer en étant ensemble, les deux ne pouvant pas s’exclure, surtout dans une Église, une famille, un couple. C’est un petit peu différent dans une entreprise, où la tâche prime sur la relation. Mais dans un groupe relationnel, il est important que les deux marchent ensemble.

Il y a trois façons négatives de gérer le conflit :

  • L’évitement. Ne pas gérer un conflit n’a jamais fait qu’un conflit n’existe pas. Et comme on l’a déjà dit, ce n’est pas parce qu’on enfonce un conflit dans l’eau qu’il a disparu.
  • La domination. L’un impose à l’autre sa façon de voir. Peut-être que la tâche se fera, mais ce sera au détriment de la relation. Je ne vois pas comment dans une famille ou une Église, on pourrait gérer les conflits de cette façon.
  • À l’opposé de la domination, il y a le sacrifice. Ceux qui sont prêts à renoncer à tout pour qu’il n’y ait pas de conflit. Seulement, ils n’iront nulle part, ils ne feront rien et ne s’épanouiront jamais. Le sacrifice n’est pas une bonne solution pour gérer le conflit. C’est peut-être un moindre mal pour quelques-uns, permettant d’éviter la souffrance, mais ce n’est pas une solution et se sacrifier n’a jamais aidé à faire avancer une relation et encore moins la tâche.
  • Et puis il y a l’axe positif tracé au milieu, sur lequel il faut avancer, l’axe du compromis, et mieux encore, l’axe de la coopération. C’est l’axe sur lequel il faut se placer, où on renonce à dominer sur l’autre et à tout désir de puissance pour trouver une solution, où on renonce à chercher des coupables ou des responsables, mais où on trouve des gens qui veulent œuvrer ensemble pour trouver un projet commun, permettant l’épanouissement de chacun. C’est exactement cela qui est appliqué dans Actes 6, par exemple, à propos du conflit des veuves. Pierre ne domine pas, n’évite pas, ne prêche pas le sacrifice. Mais il cherche l’axe de la collaboration grâce auquel la structure même de l’Église évoluera et la relation dans l’Eglise se développera.

Dans Actes 15, on rencontre un autre conflit, entre Paul et Barnabas, et celui-là a été mal géré. Paul, on le sait, n’était pas un champion des relations humaines. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant qu’il ait fini sa vie un peu dans la solitude. Barnabas n’était pas n’importe qui. « Fils de la consolation », c’est la signification de son nom. C’est lui qui introduit Paul, qui l’amène chez les apôtres, et lui met le pied à l’étrier. On ne peut pas dire que Barnabas n’était pas un bon chrétien !

Or Paul, dans le différend qui l’oppose à Barnabas, décide de dominer. Il dit : C’est comme ça, c’est moi le chef, et c’est comme ça que je veux que ça marche. Et si tu n’es pas content, c’est pareil. Barnabas, heureusement, dit non. Il dit : Moi, je ne me sacrifierai pas. Je préfère ne pas venir avec toi plutôt que de me sacrifier. Ce jour-là, me semble-t-il, Paul et Barnabas ont raté quelque chose d’intéressant pour nous. S’ils s’étaient assis et avaient fait comme Pierre le jour du conflit d’Actes 6, ils auraient trouvé une solution à leur problème – je ne sais pas laquelle, puisqu’ils ne l’ont pas trouvée…

Vous vous rappelez qu’ils avaient l’un et l’autre été mis à part par le Saint-Esprit et qu’on leur avait imposé les mains pour la mission qui leur était réservée. Paul croit qu’il est le patron, et il s’imagine pouvoir continuer la même mission simplement en changeant d’équipier. Il croit avoir géré ce conflit. Il va essayer de continuer la tâche pour laquelle le Saint-Esprit avait mis à part Paul et Barnabas.

Et que s’est-il passé ? Eh bien, Paul, avec les gens qu’il a pris, Silas et Timothée, n’a pas pu continuer  sa mission. « Empêchés par le Saint-Esprit » nous dit la Bible. Il n’a pas pu prêcher l’Évangile comme il l’avait projeté. Il doit changer de projet parce qu’il a changé d’équipe. On oublie parfois de le dire. Paul, ce jour-là, ne s’est pas rendu compte que la non-gestion de ce conflit l’amenait à un échec. Vous allez me dire que l’évangélisation de l’Europe s’est tout de même faite. Sans doute, mais elle aurait pu se faire autrement, différemment. J’aime beaucoup l’apôtre Paul, mais là il a fait une erreur  –  et vous savez que plus tard, il reconnaîtra qu’il a eu tort.

Ce que je veux dire par ce second dessin, c’est que si nous optons pour la coopération, alors nous avons une chance que nos conflits soient positifs. Mais tant que nous restons dans la domination, dans l’évitement, dans le sacrifice, il n’y a aucune chance que le conflit nous fasse progresser en tant qu’individus comme en tant que groupes.

Pour résumer et en conclusion :

  • Avoir une attitude normale face au conflit, c’est savoir que toute relation est conflictuelle.
  • C’est choisir, dans la gestion du conflit, une attitude qui permette la création du Sujet que je suis et permettre à l’autre de devenir Sujet également.
  • C’est travailler à mon identité dans la gestion du conflit.

Et voici une dernière image : les conflits, qui souvent nous pèsent comme du plomb, « plombent » nos vies, peuvent devenir, je le crois, de l’or dans nos vies par l’alchimie d’une bonne gérance, d’une bonne volonté. Vous imaginez, si les alchimistes avaient trouvé la formule pour faire de l’or avec du plomb ! Imaginons qu’on ait la formule pour faire de l’or de tous nos plombs, de tous nos conflits qui nous tirent vers le bas. Vous imaginez la richesse de nos vies, la richesse de l’Église !