UNE RÉFLEXION SUR LE SUICIDE
© Jacques et Claire Poujol. Pages extraites de leur livre «L’accompagnement psychologique et spirituel, guide de relation d’aide», Empreinte Temps Présent, 2007. Disponible sur le site de la librairie 7ici ou par mail.
L’Ecriture Sainte faisant autorité pour tous les domaines concernant la vie et la mort des êtres humains, le commandement de Dieu « Tu ne tueras point » s’applique à notre vie aussi bien qu’à celle des autres. La transgression de cette loi est un péché.
Cependant, étrangement, le suicide ne se trouve nulle part explicitement interdit dans la Bible, qui se contente de relater les sept suicides d’Abimélec, Samson, Saül, le porteur d’armes de celui‑ci, Achitophel, Zimri et Judas, sans faire de commentaire.
Augustin, dans « La cité de Dieu », réfute tous les arguments qui autoriseraient la mort volontaire.
Thomas d’Aquin la considère comme le plus grand des crimes.
L’Eglise Catholique a adouci, dans la pratique, ses affirmations et accorde maintenant aux suicidés une sépulture chrétienne. Luther, dans ses « Propos de table », affirme qu’il faut être dur avec les suicidaires pour décourager ceux qui pourraient les imiter, mais il ajoute : « Non pas qu’ils soient damnés pour autant. »
Nombreux sont les penseurs qui se sont opposés au suicide : Descartes, Malebranche, Montesquieu, Voltaire, Kant, Schopenhauer, William James, Karl Jaspers, etc.
Albert Schweitzer a formulé l’éthique du respect de la vie (et après lui Jean Rostand aussi).
Sartre réfute le suicide « précisément au nom de la liberté, car il n’est pas le résultat d’un choix libre mais l’abandon de toute liberté. »
Albert Camus, dans Le Mythe de Sisyphe, écrit : « Je tire de l’absurde trois conséquences qui sont ma révolte, ma liberté et ma passion. Par le seul jeu de ma conscience, je transforme en règle de vie ce qui était invitation à la mort et je refuse le suicide. »
Pour le philosophe Berdiaeff, « cet acte injustifiable est un refus de la foi, de l’espérance et de l’amour, mais par ailleurs nous n’avons pas à juger le suicidé. »
Dietrich Bonhoeffer, dans son Ethique, écrit : « Mais qui oserait dire que la grâce de Dieu n’englobe et ne supporte pas la défaillance face à la suprême tentation ? »
Ce qui rejoint la phrase de Malraux : « On ne peut jamais juger des gens qui se tuent. »
Nous laisserons au théologien Karl Barth le soin de conclure sur cet acte si douloureux pour celui qui l’accomplit comme pour ceux qui restent, qui cherchent à comprendre, et qui pleurent.
Nous extrayons du chapitre 16 de sa Dogmatique quelques passages essentiels.
A. Concernant la question de savoir si le suicide est un péché
« Celui qui se tue en ce sens qu’il s’empare de sa vie, qui ne lui appartient pas, transgresse ce commandement : il ne fait pas que tuer, mais il commet un meurtre et par conséquent il pèche. Le suicide est une révolte que rien ne peut excuser et justifier. L’homme n’est pas libre d’agir en juge et de « s’ôter la vie ». Dieu peut la lui reprendre. Mais tant que Dieu ne le fait pas, celle-ci lui est prêtée comme un bien auquel il n’a pas le droit de toucher. »
B. Concernant la question de savoir si le suicide est impardonnable
« L’idée que le suicide est impardonnable repose sur la fausse conception selon laquelle l’ultime volonté et l’ultime action de l’homme, accomplies au seuil de l’éternité, seraient -parce qu’elles sont les dernières- définitivement déterminantes aux yeux de Dieu. Or Dieu voit et pèse l’ensemble de la vie humaine, il regarde au cœur, et cela selon sa justice qui est la justice de sa miséricorde. »
C. Un message émouvant de Karl Barth à ceux que le désespoir pousse vers le suicide
« Dans de semblables ténèbres, une seule lumière luit : ce n’est pas un ‘Tu dois vivre! », mais bien ‘Il t’est permis de vivre!’ La vie est en effet une liberté que Dieu donne.
La solitude, le désespoir, le suicide, tout cela ne s’imposerait à toi que si tu devais vivre, si tu devais être ton propre maître. Mais la situation est radicalement différente : il t’est permis et tu as le pouvoir de vivre, parce que Dieu te fait grâce. C’est lui qui est souverain et non pas toi. Il porte ta vie et en est responsable. Il te justifie et sanctifie, te sauve et te glorifie : ce n’est pas ta tâche à toi.
Tu n’es pas seul, quelles que soient les circonstances. Tu te trouves entouré de lui de toutes parts, tous les anges de Dieu sont avec toi et il y a pour toi pardon, secours, espoir, inépuisablement et à coup sûr.
Aussi bien ne peux-tu désirer en finir. Tu ne pourrais avoir une telle pensée que si tu te tiens pour un être qui doit vivre et dans un mouvement de révolte impuissante contre ce prétendu devoir. Mais tu es libre de vivre. Libre ! »