Textes difficiles sur le pardon

Pasteur Robin REEVE, Eglise Évangélique de Réveil de NYON (Suisse)

Quelques pistes d’interprétation de textes qui semblent établir un pardon accordé à des impénitents.

1. LA PRIÈRE DE NOTRE SEIGNEUR

Matthieu 6.12 : « Pardonne-nous nos offenses comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. »

La plupart des commentaires insistent à juste titre sur le lien entre le pardon divin et celui qui est accordé par le croyant. Si notre pardon n’est pas la cause du pardon divin, Jésus insiste toutefois clairement sur la nécessité de pardonner, si nous voulons recevoir le pardon de Dieu (cf. Mt 6.14-15).

Une erreur de compréhension de cette prière serait d’y voir l’idée que Dieu « calquerait » sa manière de pardonner sur la nôtre – par exemple, si nous pardonnons à un impénitent, Dieu nous pardonnerait dans les mêmes conditions. C’est là très mal comprendre le « comme ».

En fait, la notion de pardon (et les conditions dans lesquelles il est donné) est déjà définie par le reste des Écritures.

D’ailleurs la parabole de l’esclave impitoyable (Mt 18.23-35) illustre bien l’enseignement du Christ sur le pardon : repentant envers son maître, gracié, l’esclave est lui-même confronté à des personnes repentantes… et ne leur pardonne pas, ce qui annule en quelque sorte la grâce qui lui avait été accordée (« je t’avais remis toute ta dette, parce que tu m’en avais supplié », v. 32)

La conclusion de Jésus : « C’est ainsi que mon Père céleste vous traitera si chacun de vous ne pardonne pas à son frère de tout son cœur » (v. 35) éclaire bien le fait que le Christ conçoit le pardon comme une réponse à la repentance : pardonner de tout son cœur demeure une réponse à une demande de grâce.

2. LA PREMIÈRE PAROLE DU CHRIST EN CROIX

Luc 23.34 : « Père pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’il font. »

John White perçoit bien le problème posé par ce texte :

« À la lumière de l’enseignement de Jésus et de la Bible, il semble exclu de penser que Jésus offre à tous une sorte de grâce présidentielle, inconditionnelle. Le pardon en question concerne un péché particulier, exceptionnel, qui appelle une grâce immédiate : attacher le Fils de Dieu à une croix. […] Ce ‘‘pouvoir’’ d’opposition que les hommes exercent contre le Fils de Dieu appelle donc un pardon divin immédiat. Sans cela, la grâce, dont le Fils est déjà privé, sera aussi enlevée aux hommes. Jésus obtient, par sa prière, le pardon des hommes responsables de la crucifixion. Cette suspension du jugement rebondit en grâce pour toute l’humanité. […] Il n’est pas question d’une remise de peine par un salut universel, ou d’un pardon qui dépende de la bonne volonté de ceux qui le recherchent. Dieu retient, pour le moment, son jugement. »

(John White, Entre ciel et terre, Les dernières paroles de Jésus, Revue Réformée, n° 166 – 1990/4-5, p. 24)

Notons aussi que Jésus, à la fin du même Évangile de Luc, proclame : « Ainsi, il est écrit que le Christ souffrirait, et qu’il ressusciterait des morts le troisième jour, et que la repentance et le pardon des péchés seraient prêchés en son nom à toutes les nations, à commencer par Jérusalem » (Lc 24.46-47).

La prise en compte de « circonstances atténuantes » (« ils ne savent pas ce qu’ils font ») se retrouve chez Paul, évoquant son passé violent et le pardon de Dieu : « J’ai obtenu miséricorde, parce que j’agissais par ignorance, dans l’incrédulité » (1Tm 1.13)

Mais Paul n’a pas été pardonné pour cela sans repentance…

3. LE PARDON DU PARALYTIQUE

Matthieu 9.2 : « Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique : Prends courage, mon enfant, tes péchés sont pardonnés. »

La parole du Christ est conséquente à sa perception de la foi du malade et de ses compagnons (« voyant leur foi »). Cette foi placée en lui implique une démarche de repentance (renoncement à soi et confiance en Christ) : ce serait mal comprendre le concept de foi que d’en exclure les implications par rapport au péché.

R. T. France souligne que, si nous avons de la peine à lier la question du pardon à une situation de paralysie physique, « dans une culture où la maladie était en général rapportée au péché (voir Jn 9.2), il n’en était pas ainsi. Jésus lui-même n’affirme pas ici, ni ailleurs, qu’une maladie particulière soit le résultat du péché (cf. Jn 9.3), mais pour le malade l’assurance du pardon était une réelle raison de prendre courage (cf. v. 22 : dans les deux cas Matthieu seul inclut cette expression). » (R. T. France, Matthew, Tyndale New Testament Commentaries, Leicester : IVP, Grand Rapids : Eerdmans, 1985, p. 165)

Ainsi, même si sa maladie n’était pas la conséquence de ses péchés personnels, le paralytique avait sans doute la compréhension de ses contemporains : il est donc venu à Jésus avec la conscience de ses péchés et le désir d’en être pardonné.

Notons que l’Évangile est centré sur la question de l’autorité que Jésus a de pardonner les péchés – et que le texte ne s’étend donc pas expressément sur la condition préalable de la repentance (bien que les indices soient probants sur la présence de cette condition).

4. L’EXIGENCE DU PARDON POUR LE CROYANT EN PRIÈRE

Marc 11.25-26 : « Et lorsque vous êtes debout faisant votre prière, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez, afin que votre Père qui est dans les cieux vous pardonne aussi vos offenses. Mais si vous ne pardonnez pas, votre Père qui est dans les cieux ne vous pardonnera pas vos offenses. »

Le contexte immédiat de cet enseignement est la malédiction du figuier et un enseignement sur l’exaucement de la prière (vv. 20-24). On peut déjà comprendre que le Christ prévient ses disciples de l’erreur qui consisterait à « maudire » leurs ennemis en comptant sur un exaucement.

Jésus nous demande-t-il ici d’accorder un pardon à une personne qui ne se repent pas ? S’agit-il ici aussi d’une démarche intérieure – le pardon se définissant alors comme un renoncement à la vengeance ?

Un principe herméneutique important veut que les textes « clairs » priment sur les « obscurs » – avec le corollaire qu’un texte plus complet sur un sujet permet l’explication d’un texte plus concis.

La comparaison avec le reste des textes sur le pardon souligne la nécessité de la repentance pour recevoir le pardon. Y compris entre croyants : « Soyez bons les uns envers les autres, pleins d’une tendre bienveillance ; faites-vous grâce, comme Dieu vous a fait grâce dans le Christ » (Éph 4.32). Le modèle du pardon divin – offert à tous, mais accordé à ceux qui seuls se repentent – sert donc pour les relations interpersonnelles.

Alors comment comprendre le « pardonnez ! » du texte ci-dessus ?

On peut concevoir deux situations :

  • L’offenseur s’est repenti, mais l’offensé garde rancune : Jésus l’enjoint donc de prendre le chemin du pardon.
  • L’offensé a du ressentiment, mais aucune démarche analogue à celle que Jésus propose en Mt 18.15ss n’a été entreprise. L’offenseur ne s’est pas repenti.

Jésus limite-t-il la « résolution » du problème à une « absolution mentale » ? On se trouverait en tension avec le reste de son enseignement. Il est donc tout à fait acceptable de comprendre qu’il implique la démarche complète. Noter qu’en Mt 5.23ss, l’offenseur (« ton frère a quelque chose contre toi ») est appelé à interrompre son culte et d’aller se réconcilier avec celui qu’il a offensé (« laisse ton offrande là, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère », v. 24)

L’enseignement ici est qu’on ne peut approcher Dieu et attendre son pardon, si l’on ne va pas offrir le pardon à ceux qui nous offensent – mais l’idée d’une absolution inconditionnelle (qui serait finalement une négation du mal et un mauvais service rendu à l’offenseur, que l’on n’aide ni à prendre conscience de son péché, ni de s’en distancier) vient en conflit avec des textes plus clairs sur le sujet.