TÉMOIGNAGE SUR LA BOULIMIE

Je me présente :

Bonjour, j’ai 22 ans, je suis universitaire, et je suis heureuse !

Je ne suis pas heureuse parce que je suis amoureuse, ou parce que je viens d’apprendre une bonne nouvelle. C’est simplement parce que je me sens bien avec moi-même, que je gère mes émotions et que je me fais respecter de mon entourage. Quand des obstacles se présentent à moi, je ne baisse pas les bras et je les affronte. Je suis satisfaite parce que maintenant que je me connais moi-même, j’ai retrouvé de l’estime pour moi. Je sais ce qui est bon pour moi et je fais en sorte de l’acquérir. Mais sachez que cela n’a pas toujours été le cas.

Mon passé :

J’ai grandi dans une famille profondément dysfonctionnelle. Inutile de mettre des mots sur la situation elle-même. J’aimerais juste vous décrire ce que je ressentais. Je vivais des injustices et j’étais victime de situations aberrantes au quotidien. J’en étais totalement consciente, mais, en même temps, je me sentais impuissante pour faire cesser cette situation malsaine. J’étais complètement perdue. Et dans ces moments-là, je ressentais une énorme envie de manger.

En réalité, je ne mangeais pas, mais je m’empiffrais à un tel point qu’après je vomissais. Et quand ça ne se faisait pas naturellement, je ressentais le besoin de me forcer à le faire. C’était terrible. A cette époque ma vie était un enfer total. J’avais des mauvaises notes à l’école, peu d’amis, j’étais agressive avec mon entourage et complètement épuisée. Dans ces conditions, je commençais à devenir dépressive, à me détester, à me sous-estimer, à être pessimiste envers la vie et surtout, j’étais perpétuellement triste.

Sur la voie de la guérison :

Ma mère m’amena voir un médecin nutritionniste à l’hôpital de la pédiatrie. J’y avais rendez-vous toutes les semaines. La doctoresse me demandait de remplir des fiches avec tout ce que je mangeais. Cela ne m’a pas du tout aidé, bien au contraire. Tout d’abord, le fait de trop me focaliser sur ce que je mangeais me rendait obsédée par la nourriture ce qui, finalement, faisait augmenter le nombre de crises que je faisais. Ensuite, quand je lisais noir sur blanc tout ce que j’avais pu engloutir, je me dégoûtais encore plus de moi-même…

Finalement, il va de soi que même si j’essayais, c’était la plupart du temps impossible d’écrire à la lettre tout ce que je mangeais pendant mes crises, car dans ces moments là, j’étais inconsciente, en transe, totalement déconnectée de moi-même.

Le Docteur G. que j’ai consulté ensuite l’avait bien compris et m’aida à me guérir. Ce qui est extraordinaire, c’est que je suis arrivée dans son cabinet en exposant mon problème de nourriture et jamais nous n’avons parlé de nourriture. Dès la première consultation, elle m’a dit : « Imagine que tu as un tableau de bord avec une lumière rouge qui s’allume quand tu as une crise. Cette lumière t’informe simplement que tous tes problèmes intérieurs ne sont pas encore réglés et que la thérapie doit encore se poursuivre ». Je compris donc que mon réel problème ne concernait pas la nourriture, mais que la boulimie était pour moi un moyen d’avoir un peu de pouvoir sur ma vie. En quelque sorte, j’avais l’impression d’avaler mes problèmes et de les recracher le plus loin possible de mon corps.

Ma thérapie :

Pendant les consultations, j’ai beaucoup parlé avec mon médecin. J’ai pu raconter des choses que je n’avais jamais osé dire auparavant, j’ai pu poser des questions, et lire des livres qu’elle m’a conseillés. Je me suis sentie comprise. J’ai pu comprendre ce qui m’arrivait. J’ai appris à mettre en place beaucoup de systèmes de défense pour me protéger du monde extérieur. J’ai aussi fait quelques séances de thérapie émotionnelle (où l’on est en état de semi-conscience). Au début, j’avais peur de me laisser aller, j’étais gênée et surtout, je n’avais pas encore la force d’affronter mes problèmes. Les quelques fois ou j’ai expérimenté cette forme de thérapie, cela m’a permis de me vider de mes charges émotionnelles de manière incroyable ! Quand je repartais chez moi, je souriais à la vie et je me sentais toute légère !

De la théorie à la pratique :

Le médecin avait pour habitude de m’enseigner les théories expliquant ce que je vivais. J’écoutais toujours attentivement. Puis quand je mettais ces théories en pratique, j’étais stupéfaite de constater à quel point elles s’accordaient avec la réalité. La théorie de la victime et de l’abuseur, par exemple, m’a complètement bouleversée. Au début je ne voulais pas y croire, je ne voulais pas voir mes proches, ceux que j’aime appartenir à l’une ou l’autre de ces catégories. Finalement, plus le temps passait plus je pouvais dire « c’est incroyable ! Lui il rentre exactement dans la définition de l’abuseur, elle aussi et lui, il a le profil type d’une victime, etc. »

C’était triste de voir la réalité en face, mais en fait, c’était bien pour moi car maintenant je sais pourquoi je dois me protéger de leur influence.

Un autre exemple stupéfiant est celui concernant la théorie de la colère. J’ai appris à reconnaître les signes qui font que je suis en colère. J’ai appris à gérer cette colère avant qu’elle ne prenne des proportions gigantesques. Par exemple, si une personne me manque de respect, je m’adresse à elle directement pour lui dire ce qui me déplaît et je cherche les mots adéquats pour qu’elle y soit réceptive. Il est fini le temps où je n’osais rien dire, où je prenais tout sur moi et qu’au final, j’allais mal alors que je n’avais rien fait.

Epilogue :

Assez rapidement, j’ai quitté le domaine familial et je me suis reconstruit, petit à petit, une vie tout à fait saine. Grâce à la thérapie je me suis sentie soutenue et assez forte pour entreprendre ce grand changement dans ma vie! Actuellement, je suis en fin de thérapie. J’ai arrêté les médicaments depuis presque deux mois et je me sens très bien. Je suis sortie d’une situation extrêmement difficile et je n’ai plus aucune séquelle. Maintenant, je suis une personne normale, qui mange normalement et qui avance dans sa vie avec confiance et sérénité. Je le souhaite à tout le monde parce que je sais que c’est possible.

Lucia (pseudonyme)

Témoignage recueilli avec l’accord de Lucia par le Dr Cornelia Gauthier, médecin généraliste et psychosomaticienne suisse. Elle est l’auteur du livre « Sommes-nous tous des abusés? », paru en mai 2008 aux éditions Georg. Il est le résultat de nombreuses années de recherches et d’observations des patients abusés et représente un nouveau concept thérapeutique.