DIX CLES POUR COMPRENDRE LA BIBLE

© Extrait du livre « 10 clés pour comprendre la Bible », Valérie Duval-Poujol, Empreinte Temps Présent, 2011. Ouvrage disponible sur le site de la librairie 7ici ou par mail.

SOMMAIRE

Introduction

Première clé : L’enjeu de l’actualisation

Deuxième clé : L’allégorie et la typologie

Troisième clé : La lecture émotionnelle

Quatrième clé : L’analyse littéraire du texte

Cinquième clé : Le sens des mots

Sixième clé : Le contexte socio-culturel

Septième clé : L’Ecriture s’explique par l’Ecriture

Huitième clé : Identifier le principe du texte

Neuvième clé : Trouver l’actualisation

Dixième clé : Vivre l’approche principielle

Conclusion

Première clé: L’enjeu de l’actualisation

A. Introduction

«Ta parole est comme une lampe qui guide tous mes pas, elle est une lumière éclairant mon chemin», proclame le psalmiste. Comme lui, de nombreux chrétiens lisent la Bible pour nourrir leur vie quotidienne et connaître davantage leur Créateur et Sauveur qui s’y révèle. Toutefois, bien que convaincus de l’importance, de l’autorité et de l’actualité de cet écrit pour leur vie, ils se heurtent à des difficultés qu’ils ne parviennent pas toujours à surmonter.

Comment comprendre la Bible ? Comment identifier, dans ses divers enseignements et textes, les repères sûrs pour prendre les bonnes directions ? Sur le plan éthique, familial, professionnel ou encore spirituel, comment trouver dans la Bible les réponses aux questions que je me pose aujourd’hui ? Comment percevoir le sens donné par Dieu à tel passage de l’Ancien ou du Nouveau Testament et ensuite, comment l’appliquer à ma vie ? Quelle rencontre est-elle possible avec tous ces personnages et ces récits à la fois si haut en couleur mais également enracinés dans une culture distante de plusieurs millénaires ? Nous emploierons souvent au fil des pages le terme d’ «actualisation» pour décrire le processus d’application à notre temps des enseignements bibliques. Comment parvenir à une telle actualisation, à la fois personnalisée et respectueuse du texte ?

Il n’est pas possible en un seul ouvrage de donner au lecteur l’ensemble des compétences nécessaires pour comprendre et trouver l’application de tous les textes bibliques. Mais nous tenterons, au fil des différentes étapes proposées dans ce livre sous forme de clés, de familiariser le lecteur avec des outils permettant une meilleure intelligence de la Bible. Par là même, le processus indiqué dans ces pages facilite la démarche d’actualisation des Ecritures, indispensable pour permettre à la Parole de jouer son rôle de lampe sur le sentier de la vie.

Nous ne tentons pas ici de répondre à des questions telles que «pourquoi faut-il lire la Bible ?», «la Bible est-elle un guide digne de confiance ?» ou bien «quelle autorité les Ecritures ont-elles ?». Notre attention veut délibérément se porter davantage sur le comment comprendre le texte et identifier des outils concrets nous permettant de l’appliquer à notre situation. «Car toute l’Ecriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, réfuter, redresser et apprendre à mener une vie conforme à la volonté de Dieu.» (2 Timothée 3,16)

La première étape de notre parcours au cœur de la Bible pour une plus grande compréhension de celle-ci consiste à cerner avec justesse l’importance de la démarche d’actualisation.

B. L’enjeu d’une bonne actualisation

Quand je considère les Ecritures comme Parole de Dieu, guide pour ma vie, comment déterminer justement ce qu’elles essaient de me dire ? La réflexion sur le lien entre ma foi et l’Ecriture ne fait en fait que commencer. Il ne suffit pas de dire que la pensée de Dieu pour ma vie se trouve dans la Bible, encore faut-il établir comment la découvrir! Pour cela il me faut comprendre le texte pour moi aujourd’hui sans en tordre le sens réel. L’autorité des Ecritures, qui est un postulat de base, constitue en réalité une invitation à un formidable travail de méditation et de réflexion. Se forger, à partir de la Bible, des convictions personnelles pour vivre sa foi en ce vingt-et-unième siècle est un parcours à préparer avec sérieux.

L’enjeu est capital. Une interprétation fallacieuse ou trop rapide du texte biblique conduit à des dérapages, pour certains anecdotiques mais pour d’autres effroyables, comme l’attestent l’histoire de l’humanité mais aussi celle de l’Eglise. Celles-ci sont jalonnées de nombreuses actualisations erronées qui eurent des conséquences néfastes voire criminelles. Justifiés par une soi-disant légitimité fondée sur tel ou tel verset, en réalité tordu et dénaturé, compris hors de son contexte, les pires agissements ont eu lieu.

Pour ne rappeler que ceux que l’Histoire a retenus, citons : les croisades; l’antisémitisme du Moyen-âge; l’esclavage dans les colonies; l’asservissement et le massacre des populations précolombiennes en Amérique; la colonisation; le racisme aux Etats-Unis; la ségrégation en Afrique du Sud; le refus des transfusions sanguines par les Témoins de Jéhovah, etc.

On se souvient également de la condamnation de Galilée par l’Inquisition en 1633 qui le contraint à renier sa thèse sur la révolution de la terre… à cause d’une interprétation impropre de deux passages semblant soutenir la mobilité du soleil et non celle de la terre : «Le soleil se lève, le soleil se couche; il soupire après le lieu d’où il se lève de nouveau», ainsi que l’épisode où le soleil s’arrêta lors d’une bataille. ( Ecclésiaste 1,5 et Josué 10,12)

Plus récemment, certains chrétiens tordirent le sens du texte biblique et justifièrent, grâce à des raccourcis fallacieux, la «théologie de l’abondance», doctrine établissant un lien automatique entre richesses matérielles et bénédictions spirituelles.

Un exemple plus grave encore de cette maltraitance du texte biblique et qui touche la moitié de l’humanité, concerne la femme. Sous prétexte de versets cités à tort, le plus souvent hors contexte et sans nuances («le corps de la femme ne lui appartient plus» ou encore «l’homme est le chef de la femme»), toutes sortes d’abus sont infligés à la femme, que ce soit en tant qu’épouse ou même en tant qu’être humain. On lui a refusé, voire on lui refuse encore, le droit d’étudier, de travailler ou de s’épanouir selon ses dons dans la société, bref d’être l’égal vis-à-vis de l’homme, comme le prévoyait le dessein divin à la création. La Bible devient alors le moyen de légitimer la violence, la domination, l’injustice.

Même en ce début de 21ème siècle, les exemples de maltraitance du texte pour une actualisation partisane sont toujours aussi fréquents. Evoquons les groupes sectaires avec un pouvoir abusif donné aux responsables sur la vie privée des personnes. Il faudrait aussi parler des prises de position éthiques douteuses qui ne s’appuient, et dans le meilleur des cas, que sur une lecture en surface des textes bibliques.

L’importance d’une actualisation respectueuse du texte qui évite les dérapages se fait aussi ressentir au niveau individuel. En effet, sur un plan personnel, avoir des convictions et des comportements qui découlent de la Parole est fondamental. Cela me conduira à une plus grande cohérence entre mon être et mon faire, à avoir un amour plus sain et équilibré de Dieu, de moi et des autres, bref à connaître un mieux-être. La loi et les principes bibliques sont bons pour moi, ils ont pour visée de m’instruire et de me conduire vers une plus grande liberté d’être Sujet, transformé à l’image de Dieu. C’est parce qu’ils correspondent à la pensée de l’Auteur que les enseignements bien compris sont porteurs de liberté et d’harmonie pour ma vie personnelle.

A cause d’une absence de méthode d’actualisation crédible, la lecture de la Bible conduit à suivre des préceptes bien loin de la signification réelle du texte, voulue par Dieu. La conséquence est double : le chrétien, victime de raccourcis face au texte ou de préjugés personnels ou collectifs déformant sa lecture ne peut s’épanouir. De plus, comme souvent la vie réelle le place en grand décalage avec les exigences soi-disant imposées par le texte biblique, il finit par les mettre de côté, et vit culpabilisé de ne pouvoir se conformer à une vision erronée concernant tel prétendu impératif du texte. Eviter le «prêt à penser», les slogans qui régissent souvent la vie chrétienne, sans avoir vérifié s’ils sont en accord avec la pensée du Créateur devient une nécessité première pour chacun.

L’enjeu d’une actualisation appropriée est donc essentiel à la foi et à la vie chrétienne. Sans une méthode rigoureuse pour comprendre la Bible, c’est à un grand nombre de dérives esquissées ici que le lecteur s’expose. Sans une approche cohérente, le lecteur, même avec la meilleure volonté du monde, se lance individuellement ou collectivement dans une compréhension superficielle et inconsciente (à la fois irresponsable et non consciente) du texte.

C. De la difficulté de l’actualisation

Toutefois, une telle démarche d’actualisation, bien qu’essentielle, n’est pas toujours évidente. Trois difficultés principales font obstacle à une actualisation cohérente.

Les premières difficultés proviennent du texte lui-même. A cause de l’énorme fossé culturel séparant les textes de la Bible de notre époque, le lecteur contemporain, si on lui pose la même question que Philippe au haut fonctionnaire éthiopien, «comprends-tu vraiment ce que tu lis ?», est tenté de répondre comme cet homme : «Comment le pourrais-je si je n’ai pas de guide ?» (Actes 8,30-31) Littéralement «si personne ne me guide». Le verbe employé odêgeô signifie conduire, assister quelqu’un en lui fournissant des informations manquantes. Il est employé pour décrire l’action du Saint-Esprit qui nous «conduit dans la vérité». (Jean 16,13)

Deuxièmement, les difficultés proviennent également du lecteur lui-même qui lit le texte avec bien peu d’objectivité. Comme le commente l’exégète Hirsch, «nous sommes rompus, sinon corrompus au maniement de la pensée contemporaine» et c’est avec cet arrière-plan contemporain que nous lisons le texte. L’un des apports majeurs de la nouvelle herméneutique a été de faire prendre conscience de ce problème, en l’expliquant notamment par le «cercle herméneutique» représenté par le schéma suivant (non reproduit ici).

A noter que l’herméneutique est la science de l’interprétation des textes, l’élaboration des règles théoriques de lecture. Ce mot, tiré du grec, est un dérivé du nom d’un dieu grec, Hermès qui était le messager des dieux, qui transmettait aux hommes leur communication. On retrouve un dérivé de ce verbe dont est tiré ce mot, pour décrire l’étude biblique que Jésus fait aux disciples d’Emmaüs : «Commençant par Moïse et les prophètes il leur interprétait dans toutes les Ecritures ce qui le concernait.» (Luc 24,27)

Notre vision du monde, nos présupposés influencent notre interprétation du texte biblique; celui-ci vient à son tour nous interpeller dans notre façon de comprendre le monde, ce qui nous conduit à une nouvelle lecture du texte et ainsi de suite. Ce va-et-vient permanent constitue le cercle herméneutique.

Troisièmement, si le processus d’actualisation existe au sein de la Bible, il n’y a pas une méthode générale d’actualisation pour les nouvelles générations indiquée dans la Bible! Nulle part ne sont mentionnés de système ou de techniques permettant de passer d’un texte biblique à une application spécifique. Il n’y a pas de méthode «réglementaire»! Certes, tout au long de l’histoire biblique, nous voyons les auteurs qui s’approprient tel texte, telle loi, telle prophétie antérieurs à eux, les relisant et les reliant pour les appliquer à leur contexte propre. Mais ils procèdent à cet effort d’actualisation sans nous livrer clairement leur méthode!

Moïse est le précurseur dans cet effort d’actualisation, à partir de ses propres écrits. Après avoir énoncé une première fois un ensemble de lois pour le peuple d’Israël au Mont Sinaï (c’est le livre de l’Exode), plusieurs décennies plus tard, il répète ces lois en les réinterprétant pour une nouvelle génération du peuple d’Israël (c’est le livre du Deutéronome). Ainsi Moïse actualise dans le Deutéronome une législation ancienne en l’adaptant aux circonstances nouvelles du peuple qui s’apprête à quitter le nomadisme du désert pour entrer en Canaan. Daniel, en lisant certains oracles de Jérémie, s’interroge longuement sur leur signification. (Daniel 9,2) L’actualisation connaît ensuite un intense développement pendant la déportation à Babylone.

Plus tard on retrouve cette démarche d’actualisation lors du retour de l’exil, du temps d’Esdras et Néhémie, lorsque les Lévites «faisaient comprendre la Loi au peuple… ils lisaient distinctement dans le livre et ils en donnaient le sens pour faire comprendre ce qu’ils avaient lu.» (Néhémie 8,7-8). Dans le Nouveau Testament, Jésus, Paul, Pierre et Jacques ou les autres auteurs citent souvent l’Ancien Testament en l’actualisant à leur nouvelle situation.

En face de cette nécessité d’actualiser le texte biblique et de la difficulté liée à l’absence de méthode claire et générale dans la Bible, il existe trois écueils qu’il nous appartient d’éviter :

  • Le relativisme dont le slogan serait «chacun sa route, chacun son chemin», chacun est «pape» devant sa Bible. Loin de vouloir rechercher la signification en vérité du texte, ici chacun pense ce qu’il veut du texte biblique et l’interprète selon les intérêts du moment. Cela débouche sur une réelle confusion éthique ou à un sectarisme, car face à l’individualisation des décisions, qu’est-ce qui détermine désormais ce qui est bien et juste de ce qui ne l’est pas ?
  • Le réductionisme émotionnel. Puisque certains textes bibliques semblent difficiles à comprendre, le lecteur est tenté de confiner sa lecture à quelques passages sécurisants. Mais allons-nous seulement lire la Bible pour trouver confirmation de ce que nous savons déjà ? Cette attitude conduit à écrire un «cinquième évangile» formé de tous les passages que nous avons déjà soulignés dans nos bibles, ceux qui nous «parlent», ceux que nous aimons relire. C’est la Bible à la carte.
  • La passivité. Le lecteur se repose sur les autres pour l’interprétation et refuse de faire l’effort personnel de la vérité du texte. Or l’intention divine est que chacun de nous trouve dans les textes bibliques la lumière sur son sentier. Dieu nous considère comme des êtres responsables, c’est notre responsabilité à chacun de savoir interpréter correctement la Parole de Dieu, au moins pour les sujets qui nous concernent. Puisque nous sommes tous des interprètes, autant interpréter le plus correctement possible.

C’est pourquoi nous allons nous intéresser au comment lire, comprendre et actualiser les Ecritures. Puisque «la force est dans la méthode» (Nietzsche), il s’agit maintenant de présenter une méthode, des outils permettant, à partir d’un texte biblique, de parvenir à une actualisation cohérente de celui-ci.

Ayant vu la nécessité d’un travail honnête pour ne pas divaguer à partir du texte, nous présenterons, dans les chapitres qui suivent, les principales manières de lire la Bible avec leur force, leur faiblesse :

  • la lecture allégorique et la lecture typologique (2ème clé)
  • la lecture émotionnelle (3ème clé)
  • la lecture par l’approche principielle (4ème à 10ème clé)