LE PERVERS NARCISSIQUE

Résumé du livre de Marie-France HIRIGOYEN «  Le harcèlement moral, la violence morale au quotidien », Pocket, 2000

 

Les traits du narcissique sont assez communément partagés (égocentrisme, besoin d’admiration, intolérance à la critique) et ne sont pas pour autant pathologiques. La notion de perversité, elle, implique une stratégie d’utilisation, puis de destruction d’autrui, sans aucune culpabilité. Un pervers narcissique ne se construit qu’en assouvissant ses pulsions destructrices.

Alberto Eiger a tenté d’en donner la définition suivante : « Les individus pervers narcissiques sont ceux qui, sous l’influence de leur soi grandiose, essaient de créer un lien avec un deuxième individu, en s’attaquant tout particulièrement à l’intégrité narcissique de l’autre, afin de le désarmer. Ils s’attaquent aussi à l’amour de soi, à la confiance en soi, à l’auto-estime et à la croyance en soi de l’autre. En même temps, il cherche, d’une certaine manière, à faire croire que le lien de dépendance à l’autre envers eux est irremplaçable et que c’est l’autre qui le sollicite. »

Les pervers narcissiques sont considérés comme des psychotiques sans symptômes, qui trouvent leur équilibre en déchargeant sur un autre la douleur qu’ils ne ressentent pas et les contractions internes qu’ils refusent de percevoir. Ils « ne font pas exprès » de faire mal, ils font mal parce qu’ils ne savent pas faire autrement pour exister. Ce transfert de douleur leur permet de se valoriser aux dépens d’autrui.

Le pervers narcissique, n’ayant pas de substance, va se « brancher » sur l’autre et, comme une sangsue, essayer d’aspirer sa vie. Etant incapable de relation véritable, il ne peut le faire que dans un registre pervers. Comme les vampires, le pervers narcissique vide a besoin de se nourrir de la substance de l’autre.

Les pervers narcissiques sont des individus mégalomanes qui se posent comme référents, comme étalon du bien et du mal, de la vérité. On leur attribue souvent un air moralisateur, supérieur, distant. Même s’ils ne disent rien, l’autre se sent pris en faute. Ils mettent en avant leurs valeurs morales irréprochables qui donnent le change et une bonne image d’eux-mêmes. Ils dénoncent la malveillance humaine. Ils présentent une absence totale d’intérêt et d’empathie pour les autres, mais ils souhaitent que les autres s’intéressent à eux. Tout leur est dû. Ils critiquent tout le monde, n’admettent aucune mise en cause et aucun reproche.

Les pervers narcissiques entrent en relation avec les autres pour les séduire. On les décrit souvent comme des personnes séduisantes voire brillantes. Une fois le poisson attrapé, il faut seulement le maintenir accroché tant qu’on en a besoin. Autrui n’existe pas, il n’est pas vu, pas entendu, il est seulement « utile ». Dans la logique perverse, il n’existe pas de notion de respect de l’autre.

Dans le couple, le partenaire n’existe pas en tant que personne, mais en tant que support d’une qualité que les pervers essaient de s’approprier. Les pervers se nourrissent de l’énergie de ceux qui subissent leur charme. Ils tentent de s’approprier le narcissisme gratifiant de l’autre en envahissant son territoire psychique. Le problème du pervers narcissique est de remédier à son vide. Pour ne pas avoir à affronter ce vide, le pervers narcissique se projette dans son contraire. Il a besoin de la chair et de la substance de l’autre pour se remplir. Mais il est incapable de se nourrir de cette substance charnelle, car il ne dispose même pas d’un début de substance qui lui permettrait d’accueillir, d’accrocher et de faire sienne la substance de l’autre.

Cette substance devient son dangereux ennemi, parce qu’elle le révèle vide à lui-même. Etant incapable d’aimer, il essaie de détruire, par cynisme, la simplicité d’une relation naturelle. Le moteur du noyau pervers, c’est l’envie ; le but, c’est l’appropriation. Les pervers absorbent l’énergie positive de ceux qui les entourent, s’en nourrissent et s’en régénèrent, puis ils se débarrassent sur eux de toute leur énergie négative.

Les pervers se considèrent comme irresponsables, parce qu’ils n’ont pas de subjectivité véritable. Absents à eux-mêmes, ils le sont tout autant aux autres. Les pervers narcissiques tendent à se présenter comme des moralisateurs, « ils donnent des leçons de probité aux autres ». En cela, ils sont proches des personnalités paranoïaques. Cependant, à la différence du paranoïaque, le pervers, s’il connaît bien les lois et les règles de la vie en société, se joue de ces règles pour mieux les contourner avec jubilation. Le propre du pervers est de défier les lois. Son but est de dérouter l’interlocuteur, en lui montrant que son système de valeurs morales ne fonctionne pas et de l’amener à une éthique perverse.