6. Les limites temporaires: fixer des limites en fonction de l’âge
Vous rencontrez probablement des difficultés dans les relations avec vos enfants. Il se peut évidemment que vous lisiez ce texte pour prévenir ces difficultés. Je pense cependant ne pas me tromper beaucoup en affirmant que vous êtes dans la peine et que vous cherchez à la soulager. Votre nouveau-né ne cesse de crier. Votre bambin impose sa loi à la maison. Votre enfant d’âge scolaire se conduit mal à l’école. Votre lycéen est mal dans sa peau. Votre étudiant à l’université boit.
Tous ces comportements mettent le doigt sur des problèmes de limites. Ce chapitre indique dans ses grandes lignes la marche à suivre pour que votre enfant apprenne les limites en fonction de son âge. Comme parents, nous devons prendre en compte le développement des besoins et des aptitudes de nos enfants et éviter de leur demander ce qu’ils ne sont pas encore aptes à faire, ou au contraire, éviter de leur demander trop peu.
Voici donc ci-après les principaux objectifs qu’il est possible de fixer à l’enfant aux différentes phases de son développement. Pour plus de détails, reportez-vous au chapitre 4 consacré à la fixation des limites dans l’enfance.
A. De la naissance à cinq mois
A cet âge, le nouveau-né a besoin de créer des liens forts avec Maman, Papa ou la personne qui s’occupe de lui. L’enfant doit sentir qu’il appartient à quelqu’un, qu’il est en sécurité et accueilli. Le rôle de l’adulte chargé de veiller sur lui est donc avant tout de lui procurer la sécurité.
La seule vraie limite de protection est la présence apaisante de la mère. Elle protège l’enfant. Son rôle consiste à aider le bébé à gérer ses peurs intenses et ses tensions. Abandonnés à eux-mêmes, les nourrissons sont terrorisés par la solitude et l’absence de toute structure interne.
Depuis des siècles, les mamans, y compris Marie, la mère de Jésus, ont bercé leurs bébés et les ont langés. En les berçant contre elles, les mamans communiquent leur chaleur à leurs petits, et en les langeant, elles leur communiquent un sentiment de sécurité, une sorte de limite extérieure. Le nourrisson sait où il commence et où il finit. Lorsqu’ils sont nus, les bébés paniquent souvent et souffrent du manque de structure autour d’eux.
Certains penseurs chrétiens bien intentionnés ont développé des théories selon lesquelles le bébé doit être nourri et pris dans les bras à certaines heures fixes. Selon eux, ce n’est pas à l’enfant d’imposer sa loi en pleurant et en criant. De plus, ces théoriciens estiment que les colères du nouveau-né révèlent «sa nature égoïste et pécheresse». Ces conceptions sont terriblement destructrices, si elles ne tiennent pas compte de l’enseignement de la Bible et du stade de développement de l’enfant.
L’enfant de quatre mois qui hurle cherche à savoir si le monde est un lieu sûr ou non. Il est en proie à une réelle terreur et se sent seul. Il n’a pas encore appris à se sentir bien quand personne n’est auprès de lui. Lui demander de se plier au planning prévu par ses parents pour être nourri et pris dans les bras, au lieu de répondre à ses besoins immédiats, c’est condamner l’innocent, comme l’a déclaré Jésus (Matthieu 12.7).
Ces chefs de file chrétiens affirment que leur méthode est biblique parce qu’elle donne de bons résultats. «Quand j’ai cessé de prendre mon bébé de quatre mois dans les bras la nuit, il a cessé de pleurer», disent-ils. C’est sans doute vrai. Mais il y a peut-être une autre explication: le nourrisson a cessé de pleurer parce qu’il est entré en phase dépressive, une phase dans laquelle il abandonne tout espoir et se replie sur lui-même. «Une personne qui attend trop longtemps quelque chose se décourage» (Proverbes 13.12).
Il ne faut pas enseigner au jeune enfant l’ajournement du plaisir avant l’âge d’un an. A ce moment, des liens solides et sécurisants se sont tissés entre lui et sa mère. Tout comme la grâce précède la vérité (Jean 1.17), l’attachement doit précéder la séparation.
B. De cinq à dix mois
Comme nous l’avons vu au chapitre 4, au cours des six derniers mois de sa première année, le bébé est dans la phase de différenciation. Il découvre qu’il est distinct de sa mère. Il constate qu’il y a autour de lui un monde effrayant et fascinant qu’il veut toucher. Bien que le bébé soit encore très dépendant de sa mère, il commence à rompre l’unité qu’il formait avec elle.
Pour aider leur enfant à acquérir des limites saines dès cet âge, les parents doivent encourager toutes les initiatives par lesquelles leur petit affiche sa séparation, tout en restant les ancres dont il a toujours besoin. Permettez-lui de s’enthousiasmer pour des objets et d’autres personnes que vous. Faites de votre maison un lieu d’exploration sûr pour votre petit.
Aider l’enfant à explorer son territoire ne signifie évidemment pas négliger l’attachement nécessaire à ses fondements internes, à son enracinement. A cet âge-là, ce besoin est encore prioritaire. Comblez son besoin de sécurité et d’attachement, tout en lui permettant de jeter déjà un regard autour de lui, au-delà de vous.
Beaucoup de mères trouvent que cette phase, au cours de laquelle le petit passe de l’amour tendre et fort avec sa mère à l’exploration du vaste monde, est particulièrement difficile à vivre. Elles ont du mal à accepter la perte de cette intimité si forte, surtout après les mois de grossesse et l’accouchement. La maman, consciente de ses responsabilités, s’efforcera alors de combler son besoin d’intimité et de tendresse par d’autres adultes. Elle favorisera la différenciation de son enfant, en sachant qu’elle le prépare et l’équipe pour qu’un jour il la quitte dans les meilleures conditions et s’attache ailleurs.
A cet âge, la plupart des enfants n’ont pas encore la faculté de comprendre et de réagir correctement au non. Il faut donc prendre des initiatives à leur place, en les arrachant au danger, et en les éloignant des endroits peu sûrs.
C. De dix à dix-huit mois
C’est le moment où l’enfant commence non seulement à parler, mais également à marcher. Devant lui s’ouvre un vaste horizon à explorer. Le monde est le moule dans lequel l’enfant s’est formé. Il essaie maintenant de l’ouvrir et de jouer avec lui. A partir de ce moment, il a les moyens émotionnels et cognitifs pour comprendre le mot non et pour réagir.
Les limites revêtent une importance sans cesse croissante à cet âge-là. Il est primordial que l’enfant apprenne à connaître ses propres besoins et qu’il les écoute. Le développement du muscle non est crucial à cet âge. Par son non, l’enfant se rend peu à peu compte si sa prise de responsabilité personnelle a des effets bénéfiques, ou s’il incite les autres à se retirer. En tant que parents, apprenez à vous réjouir du non de votre petit enfant.
En même temps vous avez la rude tâche de lui faire comprendre qu’il n’est pas le centre du monde, qu’il y a des règles dans la vie, qu’il devra subir les conséquences de ses gribouillages sur les murs ou de ses cris à l’église. Agissez cependant sans étouffer son enthousiasme et son intérêt grandissants pour le monde autour de lui.
D. De dix-huit à trente-six mois
L’enfant apprend désormais à devoir assumer sa responsabilité en tant qu’être indépendant. L’enfant qui explorait cède la place à celui qui découvre que la vie a des limites, mais que le fait d’être distinct ne signifie pas ne plus avoir de liens. Dans cette phase de son développement, voici les objectifs à atteindre:
- Être capable d’avoir de forts liens affectifs avec d’autres sans pour autant renoncer à être soi-même et à la liberté d’être séparé.
- Être capable de dire non aux autres sans crainte de perdre leur amour.
- Être capable d’accepter le non des autres sans pour autant se replier dans sa coquille sur le plan émotionnel.
Entre dix-huit et trente-six mois, l’enfant a besoin d’apprendre l’autonomie. Il veut se libérer de la tutelle de ses parents, mais son désir est fortement contrecarré par sa dépendance à leur égard. Le parent sage aidera l’enfant à cultiver le sentiment de son individualité, à accepter de perdre de sa toute-puissance, sans subir une perte d’attachement.
Pour enseigner les limites à l’enfant de cet âge, vous devez respecter son non chaque fois qu’il est justifié, mais soyez ferme sur votre propre non quand il s’impose. Vous pourriez être tenté de vouloir remporter toutes les joutes contre votre enfant, mais il y en a beaucoup trop. Même si vous remportiez presque toutes les batailles, vous perdriez la guerre pour avoir négligé l’essentiel: l’attachement. Ne gaspillez pas votre temps et votre énergie à vouloir contrôler un tourbillon. Sélectionnez les combats importants, ceux que vous ne devez pas perdre.
Les parents avisés se réjouissent des moments de plaisir qu’éprouve leur enfant, mais ils sauront fixer des lois cohérentes et fermes. A cet âge, le petit apprend à respecter les règles en usage dans la maison et à subir les conséquences en cas de transgression. Voici un exemple de discipline applicable par les parents:
- Première infraction. Dites à l’enfant de ne pas mettre du feutre sur le couvre-lit. Essayez de répondre à ses besoins d’une autre façon, en lui fournissant un livre de coloriage ou une pile de feuilles de brouillon pour qu’il exerce ses dons de dessinateur ou de peintre!
- Deuxième infraction. S’il recommence, opposez-lui un non ferme et indiquez-lui les conséquences d’une éventuelle désobéissance: par exemple, se voir retirer les crayons de couleurs pour le restant de la journée.
- Troisième infraction. Appliquez la sanction annoncée. Dites pourquoi vous le punissez. Laissez-le se mettre en colère et se détourner de ses parents pendant quelques minutes.
- Consolation et réintégration. Prenez l’enfant dans vos bras, consolez-le et facilitez la reprise du contact affectif avec vous. Cette démarche lui permettra de faire la différence entre les conséquences qu’il a dû endurer et une perte d’amour. Les sanctions ne devraient jamais inclure la rupture du lien affectif.
E. De trois à cinq ans
C’est la période où l’enfant prend conscience de sa sexualité. Chaque enfant cherche alors à s’identifier au parent de même sexe. Les petits garçons veulent ressembler à Papa, et les petites filles à Maman. Mais en même temps, ils entretiennent des idées de compétition avec le parent de même sexe, désirant épouser celui de sexe opposé, ce qui est pour eux une façon de supplanter le parent de même sexe. Ils se préparent ainsi à leur rôle d’adultes sexués.
Le travail des parents qui fixent les limites est important à cet égard. Gentiment mais fermement, les mamans doivent permettre à leurs petites filles de s’identifier à elles et de les défier dans certaines limites. Elles doivent également mettre des barrières à l’esprit possessif de leurs garçonnets, en disant par exemple: «Je sais que tu voudrais te marier avec Maman, mais Maman est déjà mariée avec Papa.» Les pères ont un rôle similaire à jouer vis-à-vis de leurs filles et de leurs garçons. L’attitude des parents aide les enfants à se situer par rapport au parent de sexe opposé et à cultiver les vertus appropriées.
Les parents qui redoutent le sentiment naissant que l’enfant éprouve de sa sexualité, risquent de lui reprocher ses désirs intenses. Leur crainte les conduit alors à le gronder ou à lui inculquer la honte, ce qui incitera l’enfant à refouler sa sexualité. A l’inverse, il arrive que le parent dont les besoins émotionnels ne sont pas comblés séduise l’enfant de sexe opposé, et même abuse physiquement de lui. La maman qui déclare à son fils: «Papa ne me comprend pas, tu es le seul à le faire» risque de mettre son fils pendant des années dans la perplexité au sujet des rôles sexuels. Les parents matures doivent à la fois permettre à l’enfant d’exprimer son rôle sexuel et maintenir une frontière claire entre parent et enfant dans ce domaine.
F. De six à onze ans
Pendant ce qu’on appelle la période de latence, l’enfant se prépare à entrer dans l’adolescence. Ce sont les dernières années de l’enfance. Elles sont donc primordiales pour orienter ses objectifs par le biais du travail scolaire et des jeux, et aussi pour apprendre à se lier d’amitié avec des enfants du même sexe.
Extrêmement importante pour l’enfant du point de vue de l’apprentissage et des jeux, cette phase réserve aux parents des limites particulières. Ils doivent aider leurs enfants à acquérir une discipline personnelle, à s’acquitter des devoirs scolaires, des corvées ménagères et à former des projets. Il faut leur apprendre à s’organiser et à aller jusqu’au bout de la tâche, jusqu’à son achèvement. Pour y parvenir, l’enfant doit comprendre l’utilité de l’ajournement du plaisir, d’une bonne gestion de son temps et d’un objectif dans la vie.
G. De onze à dix-huit ans
L’adolescence, la dernière étape avant l’âge adulte, comprend des tâches importantes, comme la maturation sexuelle, la consolidation de l’identité dans n’importe quel environnement, le choix d’un métier et les relations sentimentales. Cette période est à la fois inquiétante et passionnante aussi bien pour l’adolescent que pour ses parents.
A ce moment, le processus par lequel les parents apprennent à se dégager de leurs enfants, à lâcher du lest, à renoncer à leur pouvoir, à ne plus faire usage de leur volonté comme avant, aura déjà été mis en route. Car les rapports entre l’adolescent et les parents changent. Au lieu de contrôler l’enfant, les parents l’influencent. Ils élargissent son domaine de liberté et celui des responsabilités. Ils revoient les règles qui régissent leurs rapports, modifient les limites et les conséquences, et font preuve d’une plus grande souplesse.
Tous ces changements ressemblent au compte à rebours qui précède le départ d’une fusée Ariane en Guyane. Vous préparez le lancement de votre jeune adulte dans la vie et dans le monde. Les parents sages ont constamment présent à l’esprit l’instant où leur grand enfant prendra son envol dans la société. La question qui dicte leur conduite ne sera plus: «Que dois-je faire pour qu’il se comporte bien?» mais: «Comment l’aider à vivre par lui-même?»
Les adolescents ont besoin de prendre autant que possible eux-mêmes la responsabilité de leurs relations, de leur emploi du temps, de leur gestion financière, de définir les choses auxquelles ils attachent de la valeur. Ils devront aussi assumer les conséquences douloureuses lorsqu’ils transgressent leurs limites dans la vie réelle. L’adolescent de dix-sept ans, à qui les parents imposent encore des restrictions en matière de télévision ou de téléphone, risque de se trouver face à de réelles difficultés à son entrée à l’université un an plus tard. Les professeurs, le Doyen et les responsables des foyers d’étudiants n’imposeront aucune restriction dans ces domaines. La panoplie des sanctions est différente: échec à l’examen, suspension temporaire ou expulsion définitive.
Si vous êtes parent d’un adolescent qui n’a jamais été formé à respecter les lois, vous vous sentirez désemparé devant les mesures à prendre. Commencez par rejoindre l’ado à son niveau. S’il n’est pas encore habitué à dire non et à tenir compte du non des autres, établissez une sorte de règlement familial grâce auquel le préadolescent, puis l’adolescent, apprendra à assumer les conséquences du non respect d’un règlement avant de quitter le toit parental.
Mais certains symptômes révèlent un problème plus grave, comme:
- l’isolement de l’adolescent au sein de la famille
- la tendance dépressive
- le comportement rebelle
- les conflits permanents avec la famille
- les mauvaises fréquentations
- les difficultés scolaires
- les troubles de l’alimentation
- la consommation d’alcool
- la toxicomanie, les dépendances au jeu, à internet, etc.
- les idées ou les penchants suicidaires.
Devant ces difficultés, de nombreux parents réagissent en imposant soit trop de limites, soit trop peu. Les parents trop stricts risquent de s’aliéner l’enfant déjà presque adulte et de l’éloigner de la maison. Ceux qui sont trop laxistes se comportent en amis avec l’adolescent au moment où celui-ci a besoin de quelqu’un à respecter. Il est conseillé aux parents désemparés de consulter un thérapeute spécialisé dans ces problèmes pour les aider à les résoudre. L’enjeu est trop important pour ignorer ou sous-estimer une aide professionnelle.