5. Les besoins de limites des enfants
A quels besoins particuliers les limites répondent-elles pour nos enfants? Elles accomplissent une œuvre importante dont les effets se feront sentir toute la vie.
A. L’auto-protection
Avez-vous jamais vu quelque chose de plus démuni qu’un nourrisson? Les nouveaux-nés humains sont bien moins capables de prendre soin d’eux-mêmes que les petits des animaux. Dieu a voulu que le bébé qui vient de naître dépende de sa mère et de son père à chaque minute et pendant des mois. Pendant tout ce temps se tissent des liens forts grâce auxquels l’enfant se sentira en sécurité dans le monde.
Mais le programme divin de maturation ne s’arrête pas là. Papa et maman ne seront pas toujours là pour prendre soin et nourrir. Il faut donc qu’ils apprennent au petit à se protéger lui-même.
Délimiter notre territoire est un moyen de protéger et de préserver notre âme, de conserver ce qui est bien et bon à l’intérieur, et de repousser à l’extérieur ce qui est mal et mauvais. Pour permettre à l’enfant d’assumer la responsabilité de sa propre protection, la famille doit pratiquer l’art de dire non, de dire la vérité et de maintenir une certaine distance physique.
Voici l’exemple de deux garçons de douze ans.
Matthieu discute avec ses parents à table, à l’heure du repas. «Vous savez quoi? Quelques copains ont voulu que je fume du hasch avec eux. Quand je leur ai dit que je refusais, ils m’ont traité de poule mouillée. Je leur ai répondu qu’ils étaient stupides et qu’ils avaient tort. Je suis très attaché à certains d’entre eux, mais s’ils ne m’aiment pas parce que je refuse de fumer, j’en déduis que leur amitié est bien fragile et superficielle.»
Stéphane rentre de l’école les yeux rouges, la langue pâteuse et les mouvements mal coordonnés. Interrogé par ses parents sur ce qui ne va pas, il commence par dire que tout va bien. Mais acculé, il finit par avouer et exploser: «Tout le monde le fait. Pourquoi détestez-vous mes amis?»
Matthieu et Stéphane viennent tous deux de familles chrétiennes qui les ont entourés de beaucoup d’amour et sont attachées aux valeurs prônées par la Bible. Pourquoi les deux garçons ont-ils réagi différemment? Les parents de Matthieu ont toujours toléré que leur fils exprime ses désaccords, et lui ont donné l’occasion de s’exercer à fixer ses limites, souvent avec leur aide. Quand Matthieu, âgé de deux ans, était agité, sa maman le prenait dans les bras et le cajolait. Il se débattait en disant: «Descendre», ce qui voulait dire «Laisse-moi tranquille.» Luttant contre son penchant naturel, la maman reposait le petit par terre en ajoutant: «Et si tu allais jouer avec tes petites voitures?»
Le père de Matthieu agissait selon la même philosophie. Quand il se roulait par terre avec son fils, il essayait de faire attention aux désirs propres du petit. Lorsque le contact entre le père et le fils devenait trop violent ou que l’enfant était fatigué, celui-ci pouvait dire: «On arrête, Papa.» Le père se relevait aussitôt et les deux se tournaient vers un autre jeu.
Matthieu recevait une formation en matière de fixation de limites. Il apprenait que lorsqu’il avait peur, quand il était mal à l’aise ou voulait faire autre chose, il avait le droit de dire non. Ce petit mot lui donnait le sentiment de disposer d’un pouvoir dans sa vie. Il le délivrait de sa position de faiblesse et de l’obligation de se soumettre inconditionnellement. Matthieu avait le droit de le prononcer sans craindre de provoquer la colère de ses parents ou de recevoir une réponse cinglante, ni de subir une manœuvre manipulatrice du genre: «Mais Matthieu, vois-tu, Maman a juste envie à l’instant de te serrer dans ses bras!»
Depuis sa tendre enfance, Matthieu a appris que ses limites étaient bonnes et qu’il pouvait s’en servir pour se protéger. Il apprit ainsi à résister à ce qui n’était pas bon pour lui.
Une caractéristique de la famille de Matthieu était la permission d’être en désaccord. Par exemple, lorsque Matthieu contestait l’heure d’aller au lit fixée par les parents, ceux-ci ne lui imposaient pas de se taire. Ils ne le punissaient pas non plus, mais ils écoutaient ses arguments. S’ils leur semblaient défendables, ils changeaient d’avis. S’ils estimaient qu’il avait tort, ils tenaient ferme sur leurs positions.
Matthieu avait également voix au chapitre dans certains domaines. Lorsque arrivait le soir réservé à la sortie en famille, ses parents tenaient compte de ses désirs, soit aller au cinéma, soit assister à un match de basket, soit même rester à la maison et jouer à des jeux de société. Est-ce à dire que la famille n’avait aucun repère? Au contraire! La famille prenait très au sérieux la question des limites et tenait à les inculquer à Matthieu grâce à la pratique vécue chez lui.
Cette bonne habitude lui a permis de tenir ferme dans les jours mauvais (Éphésiens 5.16), lorsque quelques-uns de ses camarades d’école ont voulu l’entraîner à se droguer. Pourquoi Matthieu a-t-il été en mesure de refuser? Parce qu’il a derrière lui dix ou onze ans de gestion du désaccord avec les gens qui comptent beaucoup pour lui sans pour autant perdre leur amour. Il ne craint pas le rejet de ses camarades pour s’être opposé à eux. Il s’est souvent opposé à ses parents avec succès sans avoir été privé de leur amour.
De son côté, Stéphane a grandi dans un autre environnement familial. Chez lui, le non suscitait deux réactions différentes. Sa mère se sentait blessée, rentrait dans sa coquille et boudait. Mais elle continuait à envoyer des messages de culpabilisation tels que: «Comment peux-tu dire non à ta mère qui t’aime tant?» Quand il tenait tête à son père, celui-ci montait sur ses grands chevaux, le menaçait et lui rétorquait sèchement: «Ne me réponds pas ainsi!»
Il n’a pas fallu longtemps à Stéphane pour comprendre que pour parvenir à ses fins, il devait se montrer soumis en apparence. Il a appris à dire clairement oui des lèvres, faisant semblant de partager les normes de sa famille. Tout ce qu’il pensait au sujet du menu, des restrictions que ses parents imposaient sur les programmes télé, le choix de l’église, la tenue vestimentaire, l’heure du coucher, il le refoulait à l’intérieur.
Une fois, il s’était raidi quand sa mère avait voulu le serrer dans ses bras. Aussitôt, elle s’était éloignée et l’avait repoussé en lui disant: «Un jour tu regretteras d’avoir ainsi blessé les sentiments de ta mère.» Jour après jour, Stéphane était incité à ne pas protéger son territoire personnel.
L’absence de limites contribuait à faire de lui un enfant qui semblait toujours content et respectueux. Mais l’adolescence se révèle particulièrement critique pour les enfants. A cette période difficile, on découvre la personnalité qui a été construite dans l’enfant.
Stéphane a succombé. Il a cédé sous la pression de ses camarades. Est-il surprenant que les premières personnes auxquelles il a dit non ont été ses parents? Il a douze ans. Le ressentiment accumulé, et l’absence de limites pendant toutes ces années ont commencé à avoir raison de la personnalité adaptée et agréable à côtoyer qu’il s’est façonnée pour survivre.
B. Assumer la responsabilité de ses propres besoins
Le groupe de thérapie que j’anime est silencieux. Je viens juste de poser une question à laquelle Ariane ne parvient pas à répondre. La voici: «De quoi avez-vous besoin?» Troublée et pensive, Ariane se redresse sur sa chaise.
La jeune femme a décrit une semaine de pertes douloureuses: son mari a engagé les démarches en vue de la séparation, ses enfants lui échappent complètement, et son emploi est menacé. L’impact se lit facilement sur le visage des membres du groupe qui travaillent sur les questions d’attachement et de sécurité. Personne ne sait comment vraiment aider Ariane. Si bien que ma question s’adresse à tous. Mais Ariane n’a pas de réponse.
C’est normal, compte tenu de son arrière-plan. Elle a passé la plus grande partie de son enfance à endosser la responsabilité des émotions parentales. Artisan de paix à la maison, elle est toujours occupée à calmer le jeu, à apaiser l’un ou l’autre de ses parents. «Maman, je suis sûre que papa ne voulait pas te crier dessus, mais tu sais, il a une rude journée derrière lui!»
Les résultats de cette responsabilisation non biblique à l’égard de sa famille sont visibles dans la vie d’Ariane: elle porte lourdement le poids de la responsabilité à la place des autres, et n’a nullement conscience de ses propres besoins. La jeune femme a un radar qui l’avertit des souffrances d’autrui, mais son balayage ne fonctionne pas dans sa propre direction. Il ne décèle rien d’anormal. Ce n’est donc pas étonnant qu’elle ne sache pas répondre à ma question. Ariane ne comprend pas qu’elle a des besoins légitimes, créés par Dieu. Les mots lui manquent pour en parler.
L’histoire se termine pourtant bien. Une des membres du groupe intervient: «Si j’étais à votre place, je sais ce dont j’aurais besoin. J’aurais besoin de savoir que les membres du groupe se soucient de moi, qu’ils ne me considèrent pas comme une affreuse ratée, qu’ils prient pour moi et m’incitent à leur téléphoner durant la semaine pour être encouragée.»
Les yeux d’Ariane se remplissent de larmes. Les paroles compatissantes de son amie atteignent une corde sensible de son cœur qu’elle serait incapable d’atteindre elle-même. Elle permet à ceux qui ont été consolés de la consoler à leur tour (2 Corinthiens 1.4).
L’histoire d’Ariane illustre le deuxième fruit lié à la fixation de limites chez nos enfants: la capacité de faire face à leurs propres besoins, de se reconnaître responsables de leur satisfaction. Dieu veut que nous nous rendions compte quand nous avons faim, quand nous nous sentons seuls, quand nous sommes troublés, débordés, quand nous avons besoin d’une pause; il veut que nous prenions les mesures nécessaires pour satisfaire ce besoin. Les Écritures montrent que Jésus avait bien conscience de cet aspect des choses, lorsqu’il monta dans une barque avec ses disciples pour s’éloigner de la foule massée autour d’eux: «En effet, il y a beaucoup de gens qui vont et viennent, et les apôtres n’ont même pas le temps de manger» (Marc 6.31).
Les limites jouent un rôle primordial dans ce processus. Elles créent un espace spirituel et émotionnel entre nous et les autres. Cela nous aide à mieux entendre et comprendre nos besoins. Sans une solide perception des frontières personnelles, il est difficile de faire la distinction entre nos besoins et ceux des autres.
Quand on enseigne aux enfants à différencier leurs besoins personnels de ceux d’autrui, on leur donne un sérieux avantage dans la vie. Ils sont mieux préparés à éviter l’épuisement qu’entraîne inévitablement l’incapacité de prendre soin de soi.
Comment aider nos enfants à découvrir leurs besoins personnels? La meilleure chose qu’un parent puisse faire est d’encourager l’enfant à exprimer ses besoins par des mots, même s’ils vont à contre-courant de la famille. Lorsque des enfants ont la liberté de demander quelque chose qui va à l’encontre des habitudes familiales, même s’ils ne l’obtiennent pas, ils apprennent à cultiver la conscience de ce dont ils ont besoin.
Voici quelques moyens pour aider vos enfants:
- Permettez-leur de parler de leur colère.
- Permettez-leur d’exprimer leur peine, leur tristesse, de faire leur deuil de la perte de quelque chose, sans essayer de leur remonter le moral et les arracher à leurs sentiments.
- Encouragez-les à poser des questions, et n’ayez pas la prétention de croire que vos réponses remplacent l’Écriture, ce qui suppose que le parent soit au clair sur ses propres limitations!
- Demandez-leur ce qu’ils éprouvent lorsqu’ils semblent seuls et abattus; aidez-les à mettre des mots sur leurs sentiments négatifs. N’essayez pas de minimiser les choses, pour faire croire que la famille est unie et que les membres sont coopératifs.
La première démarche à entreprendre pour se sentir responsable de ses propres besoins est de les identifier. D’où le rôle de notre radar spirituel. Celui d’Ariane est en panne, car il ne détecte pas ses besoins.
La deuxième démarche consiste à prendre soin de nous-mêmes, au lieu d’attendre que les autres le fassent à notre place. Laissons nos enfants porter les conséquences de leur irresponsabilité et de leurs erreurs. C’est le but de l’entraînement d’Hébreux 5.14 et de la correction d’Hébreux 12. Au moment où ils s’apprêtent à quitter le foyer parental, nos enfants devraient avoir acquis le sentiment très fort qu’ils sont responsables de leur vie. Ils devraient être capables de se dire:
- Ma réussite ou mes échecs dans la vie dépendent en grande partie de moi.
- Bien que je dépende de Dieu et des autres pour être consolé et instruit, je suis seul responsable de mes choix.
- Même si je suis profondément influencé par les relations importantes qui marquent ma vie, je suis seul responsable de mes difficultés.
- Même si j’échoue constamment et si j’ai besoin du soutien des autres, je ne dois pas compter sur un quelconque individu, qui se sentirait responsable de moi, pour résoudre en permanence mes problèmes spirituels, émotionnels, financiers ou relationnels.
Ce sentiment que nous devons tenir les rênes de notre vie s’enracine en Dieu. Il tient à ce que nous fassions valoir les talents qu’il nous a confiés, ainsi que Jésus l’a révélé dans la parabole de Matthieu 25.14-30. Cette responsabilité nous suit toute la vie et même au-delà, jusque devant le tribunal de Christ.
Vous imaginez facilement les excuses avancées ce jour-là pour n’avoir pas su ou voulu être responsable de notre propre vie: «Mais je vivais dans une famille à problèmes», «Mais je me sentais seul», «Mais je n’avais pas la force». Tous ces «mais» que nous invoquerons comme excuses pour nous justifier n’auront pas plus de poids que celui du serviteur méchant et paresseux de la parabole des talents. Je ne veux pas dire pour autant que notre arrière-plan n’exerce pas, sur nous et sur notre façon de vivre, une influence pour le meilleur comme pour le pire. Mais en fin de compte nous sommes responsables de ce que nous faisons de notre être, même s’il est blessé et immature.
Des parents avisés laissent leurs enfants subir des souffrances salutaires, c’est-à-dire les conséquences, adaptées à leur âge, des mauvais choix qu’ils ont faits. Mais permettre à une fillette de six ans de sortir le soir, ce n’est pas la préparer pour la vie d’adulte. C’est l’obliger à prendre une décision pour laquelle elle manque de maturité. Elle ne doit pas être placée dans une situation où elle est contrainte de faire des choix qui ne sont pas ceux de son âge.
Les parents de Maëva ont laissé leur fille faire l’expérience d’une souffrance salutaire. Lorsqu’elle entre en première au lycée, ils lui donnent une certaine somme d’argent qui doit couvrir les frais trimestriels de la cantine scolaire, de l’achat de ses vêtements, de ses sorties et quelques activités extra-scolaires. Le montant alloué est légèrement supérieur au strict nécessaire. Maëva n’en revient pas: tant d’argent pour elle! A dépenser comme elle l’entend!
Le premier mois, la jeune fille s’achète de nouveaux vêtements, et sort plusieurs fois avec ses amies, à qui elle fait aussi des cadeaux. Les deux mois suivants sont ceux des vaches maigres. Maëva ne sort pratiquement plus le soir ni les week-ends, économisant ce qui lui reste d’argent pour se payer la cantine. Elle porte constamment les mêmes habits.
Le deuxième trimestre est meilleur. Lorsque Maëva entre en Terminale, elle ouvre un compte bancaire et tient minutieusement ses comptes au jour le jour. Elle apprend ainsi à être autonome. Alors qu’elle se laissait autrefois facilement aller à des dépenses inconsidérées, elle apprend à dire non à l’achat de vêtements superflus, aux CD et à certaines revues inutiles. Elle cultive ainsi le sens de ses propres responsabilités. Ainsi, elle ne termine pas comme beaucoup d’étudiantes qui, ayant pendant des années des parents qui pourvoient à tous leurs besoins et comblent régulièrement leur compte bancaire débiteur, ne savent pas faire à manger, ni prendre soin de leur linge, ni maintenir des comptes équilibrés.
Il est important de faire le lien entre les conséquences et les actions de l’enfant. C’est en général ce qui se passe dans la vie réelle.
Les devoirs scolaires constituent un autre domaine dans lequel les parents ont l’occasion d’apprendre à l’enfant à se responsabiliser, à moins qu’ils veuillent faire croire qu’ils seront toujours à ses côtés pour réparer ses gaffes. Il est difficile de rester de marbre quand l’enfant vient vers vous en larmes en disant: «J’ai une rédaction à faire pour demain, plus cinq problèmes à résoudre, et je viens juste de commencer!» En tant que parents qui ne sommes pas indifférents à la détresse de l’enfant, nous sommes tentés de l’aider en suggérant des idées pour sa dissertation, en le mettant sur la voie de la solution à ses problèmes, et même parfois en les résolvant à sa place.
Pourquoi agissons-nous de la sorte? Parce que nous aimons nos enfants. Nous souhaitons le meilleur pour eux, tout comme Dieu ambitionne le meilleur pour nous. Mais de même que Dieu nous laisse parfois connaître l’échec, laissons, le cas échéant, nos enfants revenir de l’école avec une mauvaise note, voire une remarque humiliante. Ce n’est que la conséquence logique de leur manque de travail, ou d’une mauvaise planification de leurs devoirs scolaires.
C. Cultiver la capacité de maîtriser et de choisir
– Je ne veux pas aller chez le dentiste, et tu ne m’obligeras pas à y aller!
Laure se dresse de toute la hauteur de ses onze ans et regarde de travers son père qui attend à la porte d’entrée.
Il a été un temps où Jean-Claude, le père, aurait réagi en un tour de main à l’humeur de Laure. Il l’aurait entraînée de force et jetée sans ménagement dans la voiture en marmonnant quelque chose comme: «Eh bien, c’est ce que nous allons voir!»
Mais des sessions de thérapie familiale et des lectures sur le sujet l’ont préparé à se conduire d’une façon plus saine et plus efficace. Il répond calmement à sa fille: «Tu as tout à fait raison, ma chérie. Je ne peux pas te forcer à aller chez le dentiste. Si tu ne veux pas t’y rendre, tu n’y es pas obligée. Souviens-toi cependant d’une chose: si tu décides de ne pas aller te faire soigner les dents, tu décides en même temps de ne pas participer à la soirée récréative organisée pour demain soir. Dois-je annuler ton rendez-vous chez le dentiste?»
Laure a l’air décontenancée et réfléchit quelques instants. Puis elle répond lentement: «C’est bon, j’y vais. Mais ce n’est pas parce que j’y suis obligée.» Elle a raison. Elle décide d’aller chez le dentiste parce qu’elle veut se rendre à la soirée récréative.
Il est bon que les enfants aient le sentiment de maîtriser leur vie et de décider. Il faut leur apprendre à se considérer, non comme des pions impuissants et totalement dépendants de leurs parents, mais comme des personnes dotées de volonté et capables de choisir dans certaines limites.
Les enfants commencent leur vie en étant entièrement démunis et à la merci de leurs parents. Mais de sages parents s’efforceront d’aider leurs enfants à réfléchir, à prendre des décisions et à maîtriser leur environnement dans tous les aspects de la vie. Cela va du choix du vêtement qu’ils veulent porter jusqu’à celui des matières facultatives à l’école. En apprenant à faire de bons choix, les enfants acquièrent un sentiment de sécurité et de maîtrise de leur vie.
Des parents anxieux et bien intentionnés essaient d’empêcher leurs enfants de faire des choix douloureux. Ils les protègent contre la chute et les éraflures. Ils ont une devise: «Fais-moi confiance, je décide à ta place pour ton bien.» Il en résulte qu’ils sont empêchés de développer une partie importante de leur caractère, à l’image de Dieu: leur estime personnelle et leur aptitude à opérer des changements. Les enfants ont besoin de savoir que leur vie et leur destinée sont en grande partie entre leurs mains, sous la souveraineté de Dieu. C’est ce qui leur permet de soupeser les décisions au lieu de les contourner. Ils apprennent à évaluer les conséquences de leurs choix au lieu d’être contrariés pour les choix faits à leur place.
D. L’ajournement du plaisir
L’adverbe maintenant a été créé pour les enfants. Ils vivent dans le temps présent. Essayez de faire comprendre à un enfant de deux ans qu’il aura un bon dessert demain. Cela le laisse indifférent. Pour lui, c’est comme si c’était jamais. Les nouveaux-nés n’ont pas la capacité de saisir le concept «plus tard». Cela explique pourquoi le bébé de six mois panique dès que maman sort de sa chambre. Il est persuadé qu’elle est partie à jamais.
Mais à un certain moment de notre développement, nous apprenons le sens de «plus tard», de patienter, d’ajourner un bien pour un bien supérieur. Nous appelons cette aptitude l’ajournement du plaisir. C’est la faculté de dire non à nos impulsions, à nos souhaits, à nos désirs pour en tirer un avantage ultérieur.
L’Écriture insiste beaucoup sur cette vertu. Dieu veut que nous mettions cette aptitude au service de nos projets et de notre planification. Dans ce domaine, Jésus est notre modèle, lui dont il est dit: «En vue de la joie qui lui était proposée, il a supporté la croix, méprisé la honte, et s’est assis à la droite du trône de Dieu» (Hébreux 12.2).
Cette capacité n’existe généralement pas avant la première année de vie, réservée avant tout à l’établissement des liens entre le nouveau-né et son environnement. Mais dès le début de la deuxième année, il est bon que l’enfant commence à apprendre la patience et à ajourner la jouissance de son plaisir. Le dessert vient après les légumes, pas avant.
Les enfants plus âgés doivent, eux aussi, savoir attendre. Les parents n’achèteront les vêtements souhaités par la fillette ou les jouets réclamés par le petit garçon que plus tard dans l’année. Les restrictions enseignées dans ce domaine se révéleront fort utiles dans la vie. Elles empêcheront l’enfant de devenir un adulte impulsif, incapable de maîtriser ses désirs, qui veut tout et tout de suite. Il vaut mieux que nos enfants deviennent semblables aux fourmis qui subviennent à leurs besoins plutôt que des paresseux qui sont toujours en difficulté (Proverbes 6.6-11).
L’apprentissage de l’ajournement du plaisir développe chez l’enfant l’orientation en vue d’un but dans la vie. Il apprend à économiser temps et argent pour des choses qui lui importent, et il accorde de la valeur à ce qu’il a choisi de se procurer. Le fils d’une famille amie décida d’économiser pour s’acheter sa première voiture. Avec l’aide de son père, il ouvrit un livret d’épargne à l’âge de treize ans. A force de mettre de côté une partie de son argent de poche, de l’argent qu’il recevait à l’occasion d’anniversaires ou de fêtes, et de ce qu’il gagnait en travaillant pendant ses vacances d’été, il put s’acheter sa voiture, peu après ses dix-huit ans. Inutile de dire qu’il en prit soin comme si c’était de la porcelaine! Il avait estimé la dépense et apprécié le résultat (Luc 14.28).
E. Le respect des limites d’autrui
Dès son plus jeune âge, l’enfant doit apprendre à accepter que ses parents, ses frères et sœurs, ses amis lui disent non. Il faut qu’il comprenne que les autres n’ont pas toujours envie de jouer avec lui, qu’ils ne veulent pas forcément regarder le même programme TV que lui, et qu’ils ont le droit de préférer aller dans un autre restaurant que le sien. Bref, il doit apprendre qu’il n’est pas le centre du monde.
C’est important pour deux grandes raisons. Premièrement, celui qui est capable d’accepter les limites des autres apprend à assumer ses propres responsabilités. En constatant que les autres ne sont pas toujours disponibles pour lui, qu’il n’est pas servi au doigt et à l’œil, il sera moins enclin à dépendre de l’extérieur et davantage de lui-même. Il découvre sa propre charge à assumer.
Vous êtes-vous déjà trouvé en présence d’un enfant qui ne supporte pas le non, qui pleure, hurle, tape du pied, jette tout ce qui lui tombe sous la main ou boude jusqu’à ce qu’il obtienne ce qu’il désire? Plus nous détestons les limites d’autrui, plus nous leur résistons, plus nous deviendrons dépendants de lui. Nous compterons sur les autres pour prendre soin de nous, au lieu de compter sur nous-mêmes.
De toute façon, Dieu a voulu que la vie elle-même se charge de nous enseigner cette loi. Nous sommes bien obligés de nous y soumettre si nous voulons vivre avec les autres sur notre planète. Car tôt ou tard, il y aura bien une personne qui nous dira un non que nous devrons accepter. Il s’inscrit dans la trame de la vie. Voici la gradation des non dans la vie de celui qui ne tient pas compte des refus d’autrui:
- le non des parents
- le non des frères et sœurs
- le non des enseignants
- le non des camarades d’école
- le nom du patron et des supérieurs
- le non du conjoint
- le non des problèmes de santé consécutifs à la boulimie, l’alcoolisme et une vie déréglée
- le non de la police, du tribunal et même de la prison.
Certaines personnes apprennent tôt à tenir compte des refus d’autrui, par le non des parents. D’autres, en revanche, doivent arriver au non que la police impose avant de comprendre la nécessité de respecter les limites. «Mon enfant, si tu n’écoutes plus les avertissements, tu n’apprendras plus rien» (Proverbes 19.27). Beaucoup d’adolescents réfractaires aux règles n’atteignent la maturité que vers la trentaine, lorsqu’ils sont fatigués de ne pas trouver d’emploi stable. Il a souvent fallu qu’ils soient au fond du gouffre financièrement et même qu’ils se retrouvent momentanément sans domicile fixe. Avec le temps, ils voient la nécessité de se stabiliser dans un emploi, d’économiser de l’argent et de mûrir. Ils commencent alors enfin à accepter les limites que la vie leur impose.
Nous avons beau penser être forts, il y aura toujours quelqu’un de plus fort. Si nous n’apprenons pas à nos enfants à accepter le non des autres, quelqu’un qui les aime moins que nous se chargera de le faire. Quelqu’un de plus rude. Quelqu’un de plus exigeant. Et la plupart des parents aimeraient bien éviter cette souffrance à leurs enfants. Plus tôt nous leur apprendrons à respecter les besoins des autres, mieux cela vaudra.
La deuxième raison, encore plus importante, pour laquelle il est primordial que les enfants tiennent compte de la volonté des autres est celle-ci: le respect des besoins d’autrui favorise le développement de l’amour chez les enfants. Au fond, le respect des limites d’autrui est à la base de l’empathie, du même amour dont nous aimerions qu’il nous aime. Les enfants doivent connaître la grâce de voir leur non respecté, et ils doivent, de leur côté, accorder cette même grâce aux autres. En éprouvant de l’empathie pour les besoins des autres, ils mûrissent, et leur amour pour Dieu et pour leur prochain s’approfondit. «Nous aimons, parce que Dieu nous a aimés le premier» (1 Jean 4.19).
Supposons que vous receviez un coup de ballon malencontreux de votre garçon de six ans. L’enfant ne l’a pas fait exprès, mais le coup vous fait mal. Faire comme si de rien n’était, ou prétendre que vous n’avez pas mal, c’est donner à l’enfant l’impression que ses actions n’ont aucun impact. Il risque alors de ne jamais se sentir responsable, ni de prendre conscience des besoins ou des souffrances d’autrui. En revanche, si vous lui dites: «Je sais que tu ne l’as pas fait intentionnellement, mais ce ballon m’a fait réellement mal. Essaie de faire un peu plus attention», vous lui permettez de comprendre, sans qu’il se sente condamné ou rejeté, qu’il lui arrive de faire souffrir des gens qu’il aime, et que ce qu’il fait compte.
Si ce principe n’est pas enseigné aux enfants, il leur est difficile de se développer en êtres capables d’aimer. Le plus souvent, ils deviennent centrés sur eux-mêmes et dominateurs. Il leur est alors difficile de répondre au projet de Dieu pour eux, celui de la maturation. Un de mes clients a grandi dans une famille qui lui a appris à ne pas tenir compte des refus des autres. Ses manœuvres ont fini par le conduire en prison pour différents vols. Cette expérience, aussi douloureuse soit-elle pour lui, a cependant servi à faire naître en lui de la compréhension pour les autres.
«Je n’ai jamais pensé que les autres gens pouvaient avoir des besoins et souffrir, me dit-il un jour. J’ai été élevé dans le souci de ma personne exclusivement. Quand j’ai commencé à devoir payer pour mon manque de respect des besoins des autres, quelque chose s’est déclenché en moi. Dans mon cœur un espace s’est ouvert pour mon prochain. Je n’ignorais pas pour autant mes propres besoins, mais pour la première fois, j’ai constaté des progrès en moi. J’ai commencé à me sentir coupable à cause de mes actions qui avaient blessé ma femme et ma famille.»
A-t-il encore un long chemin à parcourir? Certainement. Mais il est sur le bon chemin. En apprenant, même sur le tard, à respecter les autres, il est en voie de devenir une personne authentique et capable d’aimer conformément à la Bible.