5. Intervenir auprès de l’entourage

Nous avons vu que le comportement passé ou présent de l’entourage a pu, pour une grande part, être déterminant dans le sort de l’alcoolique. L’attitude de l’entourage, au moment de la réinsertion après soins, va revêtir une importance exceptionnelle.

Il n’est pas possible de dissocier un alcoolique du milieu familial ou professionnel dans lequel il va se réinsérer. Il faut donc apporter l’information dans ces milieux, afin de les amener à régler au mieux leur attitude.

Il faut savoir, en effet, que, même après les soins, l’alcoolique est encore pendant longtemps un personnage très susceptible.

Ayant réalisé l’ampleur des dommages qu’il a causés autour de lui, il en garde un pénible souvenir dont, peut-être, il parlera, mais il n’aime pas qu’on lui en parle. Tel ou tel geste, telle ou telle parole, venant sans intention mauvaise de son entourage, seront interprétés comme remplis de sous-entendus, comme des moyens détournés de rappel du passé. Ainsi que le définit le Dr CHAMPEAU, l’alcoolique continue, pendant un certain temps à faire de « l’urticaire du caractère ».

Mais il faut savoir surtout qu’un alcoolique devenu dépendant de l’alcool et soigné, ne peut plus, de sa vie, entrer en contact avec l’alcool, sous quelque forme que ce soit.

Toute absorption d’alcool, toute pénétration de ce produit dans l’organisme, même survenant très longtemps après les soins, même en très faible quantité, entraîne inévitablement la rechute. L’alcoolique doit se méfier des médicaments qui peuvent lui être prescrits pour d’autres soins; il doit éviter de respirer des vapeurs d’alcool (visites de caves vinicoles, maniement d’appareils fonctionnant à l’alcool), se méfier de la pénétration d’alcool par les voies cutanées (usage d’alcool médicinal sur des plaies, frictions d’eau de Cologne trop fréquentes ou trop importantes, etc.), refuser la présence d’alcool dans son alimentation solide.

On conçoit dès lors combien il peut être délicat de vivre sans alcool dans un milieu qui l’utilise en de nombreuses circonstances, pour ne pas dire continuellement, et combien l’attitude de l’entourage est déterminante dans le devenir de l’alcoolique soigné.

On comprend facilement qu’un conjoint, ou de grands enfants, ayant parfois terriblement souffert, ne soient pas spontanément enclins à oublier le passé. L’épouse, qui a supporté les scènes, les coups, les humiliations, les privations, et qui aura dû prendre en main la direction du foyer, l’éducation des enfants, qui, parfois, aura dû aller se réfugier dans sa famille, n’est évidemment pas d’elle-même portée à la mansuétude. Les grands enfants, témoins du spectacle navrant de la dégradation de leur père ou de leur mère, et parfois des deux, ne peuvent souvent se défendre de manifestations de mépris à leur encontre.

Si, après des soins efficaces, l’alcoolique est réintroduit dans un milieu familial hostile, ne voulant lui restituer ni sa dignité ni ses responsabilités, lui reprochant constamment son passé, il est à craindre qu’il rechute rapidement. A quoi bon s’être soigné, amendé, s’il faut continuer à vivre sous un statut infériorisant, dans une atmosphère empuantie par le rappel constant du passé ? Autant reboire pour oublier, voilà ce que se dira un alcoolique réinséré dans ces conditions.

Or, l’expérience prouve que, dans presque tous les cas, l’entourage familial, très sensible aux arguments des accompagnants intervenant auprès de lui, accepte de tenter l’essai proposé. Il reste toujours un peu d’amour enfoui au fond du cœur d’une femme, et celui qui, par l’apport d’une information, fait naître l’espoir d’une reconstitution d’un foyer heureux, même si la femme a dû se résoudre à quitter le foyer ou à en exclure l’alcoolique, est à même de pouvoir raviver cet amour. Il faut reconnaître objectivement que, lorsque c’est la femme qui boit, le mari comprend beaucoup plus difficilement la nécessité de consentir aux efforts suggérés pour pouvoir sauver le foyer.

Le tableau est le même en ce qui concerne le milieu professionnel. Les débordements de tous ordres de l’alcoolique ont conduit les collègues et les chefs à l’exclure de la collectivité de travail. Absences, malfaçons, manifestations intempestives, accidents, perte des qualités professionnelles, indignité, ont conduit à son isolement et à la volonté ouvertement exprimée de s’en débarrasser.

Il importe donc, pour l’accompagnant, d’aller également porter l’information dans l’entourage professionnel immédiat. Il faut amener cet entourage à une appréciation objective des choses, lui suggérer des règles de conduite vis-à-vis de l’alcoolique réinséré, dans le but, non seulement d’éviter la rechute, mais aussi d’aider l’alcoolique à récupérer ses aptitudes professionnelles, à retrouver l’estime de ses chefs, de ses collègues, des agents qu’il pouvait avoir sous ses ordres, en un mot, à reprendre sa véritable place dans la collectivité de travail.