3. Illustrations cliniques

A. Clara

Clara P. a 16 mois lors de notre première consultation. Elle est adressée pour une trichotillomanie apparue quatre mois auparavant, lors d’une séparation d’avec ses parents. Cette séparation d’un mois a été voulue par les parents et présentée par ceux-ci comme des vacances.

La trichotillomanie a persisté au retour à la maison.

Au moment de l’endormissement, Clara se balance, suce son pouce gauche et s’arrache les cheveux avec la main droite.

Lorsque je la vois en consultation pour la première fois, Clara est immobile, figée, elle semble déposée dans un coin de mon bureau, son papa et sa maman oublient de la déshabiller. Monsieur P. entame notre consultation sur ses difficultés psychologiques personnelles : il a longtemps été traité pour dépression. Madame P., en réponse, nous plonge aussi sans retenue dans son monde intérieur commençant par évoquer une histoire faite de violence, de rupture (elle a été placée dans son enfance)… et de psychiatrie (elle traverse des moments dépressifs intenses à tonalité persécutive, elle prend un traitement psychotrope).

Cette maman m’explique ce qui a motivé les « vacances » de sa fille : « ça l’a coupée d’un coup, mais ce ne serait pas bien qu’elle soit attachée à moi comme je l’ai été à ma mère ». Elle enchaîne sur la grossesse de Clara : « elle donnait des coups, c’était un petit boxeur… J’avais peur qu’elle tombe… ».

Madame P. a été hospitalisée un mois durant cette grossesse du fait d’une anémie : « la puce m’a anémiée ». Madame P. reprend :  » J’avais les cheveux jusqu’aux fesses, (elle me le dit avec fierté), mais pendant cette grossesse ils se sont abîmés, j’ai été obligée de les couper ». Persuadée d’avoir vu les cheveux de sa fille pendant l’échographie, elle ajoute : « c’était un rêve pour moi de lui voir pousser les cheveux ».

Je vais très (trop?) facilement pouvoir voir Clara seule. Elle sort de sa torpeur, s’anime, explore mon bureau et me fait participer à un jeu. Son développement psychomoteur est normal, elle semble particulièrement bien maîtriser le langage pour son âge.

Nous répéterons les consultations et essaierons, avec Clara et ses parents, de comprendre les raisons qui poussent ceux-ci à vouloir, de façon répétitive, confier leur fille aux grands-parents paternels. Dans un premier temps, Monsieur P. m’explique qu’il souhaite que ses parents voient Clara le plus souvent possible avant leur mort. Dans un second temps, j’apprendrai qu’il s’agit également (surtout?) de mettre de la distance entre Madame P. et sa fille qui semble, par période, être vécue comme une persécutrice par sa mère, ce que l’on pourra relier aux relations de Madame P. à sa propre mère.

Dans la troisième consultation, Clara a cessé de s’arracher les cheveux. Le papa, la maman et la petite fille sont allés en famille chez le coiffeur.

Les vacances chez les grands-parents vont se répéter mais, aménagées, elles ne généreront plus de nouvelle conduite de tricotillomanie.

Je revois Clara régulièrement ; elle manifeste davantage son mécontentement lors de la séparation d’avec ses parents.

B. Lili

Lili, 11 ans est adressée en consultation par un dermatologue pour trichotillomanie.

Lili vient accompagnée de sa mère qui nous retracera en grande partie l’histoire de la famille et sa propre histoire. D’emblée, elle nous apprend qu’elle a fait des études de « psychologie infantile », qu’elle a été « jardinière d’enfants » et qu’elle est veuve depuis 4 ans. Le père de Lili est décédé aux Etats-Unis d’un cancer bronchopulmonaire. Il y a 4 enfants dans la fratrie, Lili est la 3e (une fille de 19 ans, un garçon de 15 ans, Lili, une fille de 6 ans). Les parents de Lili sont originaires du Proche-Orient. Ils ont vécu dans plusieurs pays de cette région. Lili y est née puis venue en France à l’âge de 15 jours avec ses parents et ses frères et surs. Ils sont les seuls membres de la famille à vivre en France.

Cette mère porte aujourd’hui un regard sévère sur elle-même teinté de dévalorisation : « je ne suis jamais arrivée à rien toute seule ». Elle enchaîne sur ses rapports privilégiés avec sa fille : « Elle a toutes les qualités, c’est la fille que j’aime le mieux… elle est très calme, elle veut que mon attention soit centrée sur elle ». « Depuis (qu’elle a une trichotillomanie) j’ai redoublé d’attention, c’est peut-être mauvais pour les autres parce que je lui donne encore plus ». On sent poindre derrière ses propos une culpabilité importante : « J’ai été loin de mes enfants depuis le décès de mon mari, mais pas physiquement… maintenant comme famille, il n’y a que moi ». Elle nous a paru dépressive : visage triste et peu mobile, vêtue de sombre, le ton un peu monocorde, parfois cassant, presque désagréable. Elle nous dira avoir déjà demandé à sa fille si elle avait peur qu’elle meure à son tour, si elle accepterait qu’elle se remarie (le refus de sa fille a été catégorique).

Il y a quelques mois, Lili a, pour la troisième fois attrapé des poux (épidémies régulières à l’école). Elle en a été extrêmement contrariée – sa mère dira catastrophée – elle en a pleuré.

La mère de Lili, en coiffant sa fille – elle le fait très régulièrement – a découvert qu’elle perdait ses cheveux : « Sa raie s’élargissait ». Elle a été intriguée d’en trouver sur l’oreiller. Lili va voir 3 dermatologues. C’est le dernier qui porte le diagnostic de trichotillomanie mais il n’en parle qu’à la maman, préférant dire à Lili qu’elle perd ses cheveux à cause d’un stress, parce qu’elle est en train de grandir ».

Lili va être très rapidement à l’aise dans l’entretien. Elle a une chevelure plutôt belle et son alopécie ne nous est pas visible : elle se coiffe de façon à la masquer. Elle possède à la fois un bagage culturel et des capacités d’expression verbales étonnants pour son âge, une grande vivacité intellectuelle. Elle donne à l’entretien une note de séduction, évoque sa présence ici de façon détendue, parfois presque ironique, nous dit que c’est  » à cause du stress, de la nervosité ». Pas un mot sur la trichotillomanie. Elle nous rappelle que les premiers médecins qui l’ont vu lui « ont donné un traitement de pelade alors que ce n’était absolument pas une pelade », non sans sourire.

Avec vie, souplesse et facilitée elle va parler de moments de son passé. Elle se remémore des souvenirs d’enfant : « A 2 ans, je me suis mis du vernis à ongles de ma mère sur le visage… à 3 ans, je suis allée à l’école sans culotte sous ma robe, la maîtresse m’en a fait la remarque ». Elle parle de son père, avec difficulté, ne se souvient pas de son caractère, en parle au présent : « Quand il part en voyage d’affaire il me ramène des souvenirs ». Nous évoquons son décès : « Il est parti pour un long voyage », elle enchaîne : « je ne m’en soucie plus maintenant, j’ai assez de problèmes avec mes cheveux ». Nous parlons du cancer de son papa, de la possibilité d’une chimiothérapie et de la perte de cheveux. Elle enchaîne sur sa perte de cheveux. Elle se souvient précisément du jour où sa mère a découvert l’alopécie : le 6 décembre. Cette date lui fait penser à « Noël, l’hiver, la Sainte-Barbe…, l’anniversaire de sa mère, la chute des cheveux ». Jamais au cours de nos deux consultations successives la conduite d’avulsion ne sera évoquée.

Lili nous est apparue beaucoup plus détendue que sa maman et pas déprimée. Les cheveux avaient commencé à repousser, lors de notre deuxième entretien.

Lili et sa mère ne sont pas venues au 3ème rendez-vous.