2. Trouver le sens ou donner sens ?

A. Trouver le sens à la souffrance ?

Si l’on excepte les douleurs avertissant d’un dysfonctionnement de l’organisme, accompagnant la mise en oeuvre d’un processus de vie (la femme qui donne le jour à son enfant), ou que l’on s’est infligées soi-même (alcool, tabac), la souffrance, de manière générale, semble totalement insensée.

Cette absurdité, cette absence de signification, accroît la douleur, et contribue à me déstructurer davantage et à saper jusqu’aux racines mêmes de mon désir de vivre. Même le fait de croire en Dieu ne m’explique pas l’inexplicable. Comme Jésus dans son agonie je crie à Dieu : Pourquoi m’as-tu abandonné ? Et comme Jésus, je ne reçois aucune réponse.

Si seulement je discernais dans mon épreuve un seul atome d’utilité, je la supporterais mieux. Pour sortir de ce terrible trou noir du non sens qui me maintient dans la désespérance, je n’ai d’autre solution que de lâcher prise devant ce mystère qui me dépasse et cesser de chercher un sens là où il n’y a en pas.

J’ai parlé, sans les comprendre, de merveilles qui me dépassent et que je ne conçois pas, dit Job qui, après une longue recherche du sens de ses malheurs, reconnaît finalement que Dieu peut tout et que rien ne s’oppose à ses pensées.

Cet abandon de mon intellect devant le mystère de la souffrance, cet abandon aussi aux autres et à Dieu, est une décision incontournable mais difficile. En réalité c’est comme une mort à moi-même, à mes certitudes, à mes raisonnements logiques ; mais cette mort va ouvrir mon avenir vers une possible fécondité : Si le grain de blé ne meurt, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit.

Au sein des ténèbres une petite lumière va apparaître, m’invitant à un mouvement intérieur : ayant renoncé à trouver un sens à ma souffrance, je vais peut-être parvenir à lui donner un sens.

B. Donner sens à ma souffrance

Dans un livre émouvant, Victor Frankl, un psychiatre autrichien de renommée mondiale, a exposé sa psychothérapie fondée sur la recherche du sens de la vie. Il l’a appelée logothérapie (du grec logos : raison).

Victor Frankl sait de quoi il parle : il passa trois ans en camp de concentration à Dachau et à Auschwitz, où on lui confisqua un manuscrit qu’il venait d’achever. Libéré en 1945 il revint chez lui pour apprendre que sa jeune femme, sa mère, son père et son frère étaient morts en déportation.

Il aime citer cette phrase de Nietzsche : « Celui qui a un pourquoi qui lui tient lieu de but, de finalité, peut vivre avec n’importe quel comment. »

La logothérapie considère la responsabilité comme l’essence même de l’existence humaine. Je dois prendre ma destinée en main. L’important n’est pas ce que j’attends de la vie mais ce qu’elle attend de moi.

Au lieu de me demander quel sens elle a, je dois imaginer qu’elle me pose cette question : « Quel sens vas-tu donner à ton existence ? »

En résumé, je renonce à chercher le sens de la vie et je décide de donner sens à ma vie. Je deviens ainsi acteur de ma propre histoire. Celle-ci m’appartient, moi seul peux y donner un sens, qui satisfera mon inquiétude existentielle.

Et il en va de même pour le sens de la souffrance. Il ne peut exister indépendamment de celui qui souffre. C’est à lui de donner sens à sa vie, malgré l’absurdité qu’y fait pénétrer l’épreuve qui le submerge. Certains malades peuvent témoigner que leur maladie a été une bénédiction pour eux, que leur vie a été pour ainsi dire « guérie » par la maladie. Ils ont pris conscience de certaines choses qu’ils ne percevaient pas étant bien portants. Comme le dit Bernie Siegel, « la maladie et la mort ne sont pas des échecs, le seul échec, c’est de ne pas vivre pendant qu’on est vivant. »

Au cours de soixante ans de pratique psychothérapique, Victor Frankl demandait parfois à ses patients en proie au désespoir : « Pourquoi ne vous suicidez-vous pas ? »

C’est à partir de leurs réponses qu’il arriva à la conclusion que le sens de la vie peut se trouver de trois façons différentes :

  • Par l’accomplissement d’une œuvre bonne.
  • En faisant l’expérience de quelque chose (la beauté, la musique, la nature, etc.) ou d’une personne, à travers l’amour.
  • Par le développement d’une attitude positive devant la mort et les souffrances inévitables.

Les deux premiers points sont assez évidents mais le troisième appelle des précisions.

La souffrance prend parfois un caractère inéluctable. Si je me rends compte que je n’ai aucun autre choix que celui de l’endurer, il me reste cette ultime liberté, celle de la supporter avec courage. Le poète Rilke écrivait : « Que de souffrances à assumer ! »

Je dois reconnaître que je suis seul à pouvoir décider de transformer ma tragédie personnelle en victoire. Cela fait appel à mon potentiel le plus élevé, au plus grand des courages, celui de souffrir.

Ma douleur reste la même, mais c’est moi qui me transforme.

Soyons réalistes : c’est un combat où l’on n’est jamais sûr d’avoir gagné. Il faut de la patience, de l’héroïsme. Mais sur ce chemin difficile et solitaire, Dieu est tout près de moi : « J’ai l’assurance que ni la mort, ni la vie, (…) ni les choses présentes ni les choses à venir (…) ne pourront nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur » (Romains 8 : 38, 39).

Soyons-en sûr, les silences de Dieu ne sont jamais des absences de Dieu.