2. Les penseurs se référant de près ou de loin à la Bible

Aux angoisses de l’homme face au mal, ceux-ci se devaient de chercher des réponses. Elles furent influencées, selon les époques, par les idées que nous venons de mentionner. Leurs théories se classent autour de trois thèmes : la solution par l’ordre universel ; la solution par la liberté indépendante ; la solution par la dialectique.

A. La solution par l’ordre universel

Elle est prônée par Teilhard de Chardin, Claude Tresmontant, Jacques Maritain, à la suite d’Augustin et Thomas d’Aquin.

Cette conception s’apparente un peu à celle des optimistes : elle gomme et rectifie les contours les plus scandaleux du mal, cherche à rapprocher l’existence du mal et la bonté de Dieu.

Les théologiens et Pères de l’Eglise partisans de cette solution ont voulu apaiser l’angoisse des hommes et, en se fondant sur la Bible, justifier Dieu tout puissant de permettre le mal.

Ce point de vue mise sur la raison, sur son pouvoir de construire, classer, comprendre et lier les choses ensemble. Le mal est compris dans l’ordre universel et il y contribue à sa façon. Elle mise aussi sur la finitude de la créature ; créée ex nihilo, tirée du néant, elle reste marquée par ce néant, par ce manque d’être. De là procède la possibilité du mal. Pour Jacques Maritain, l’origine du mal se trouve dans la « morsure du néant » qui marque toute créature.

Cette analyse du mal en termes de privation du bien constitue un acquis fondamental. Dieu est bon, le mal est une perversion. La Bible évoque souvent celui‑ci en termes de « néant » (par exemple, quatre fois dans le seul verset de Zacharie 10 : 2).

Mais l’énigme douloureuse du mal subsiste. Non, le désordre n’entre pas dans l’ordre, qui le justifierait.

Pour Philippe Nemo, qui fait parler Job, « le mal n’est pas un étant du monde, étant dans le monde, coordonné au monde dans un Ordre unique. L’être du mal est d’être horreur, jetant l’âme dans le combat contre l’horreur. »

En d’autres termes, c’est une chose de dire que Dieu peut tirer le bien du mal, une autre de dire que Dieu l’a voulu ou permis en vue de ce bien.

Cette façon de voir est la tentation des « sages », soucieux d’ordre et d’harmonie, désireux de tout expliquer pour tout maîtriser.

B. La solution par la liberté indépendante

Cette école de pensée refuse l’idée que le mal est nécessaire comme moteur dans l’évolution de l’ordre universel et exonère Dieu de complicité avec le mal.

L’amour pour exister doit être libre. La vraie liberté exige la possibilité d’un choix entre le bien et le mal.

Le point de naissance de celui-ci serait donc la liberté. L’homme est libre, a priori, de faire le mal. Son libre choix ne saurait être à l’avance prédéterminé par Dieu.

La liberté est une valeur suprême, indispensable à l’amour. Dieu devait donc prendre le risque de créer des êtres libres s’il voulait en être aimé. Il n’est pas responsable si les hommes choisissent le mal.

Cette théorie pose le problème de la souveraineté de Dieu.

A côté de Nicolas Berdiaeff, le pasteur Bonhoeffer insiste sur le « Dieu faible parmi nous », dépendant des hommes.

Avant eux, Emmanuel Kant au 18ème siècle, a porté cette doctrine à la perfection : c’est ma liberté qui m’incline au mal, car je me détourne du devoir.

Le père de l’existentialisme, Kierkegaard, penseur du péché, du choix, du devoir et de l’angoisse, explique lui aussi le mal par la liberté donnée à l’homme.

Un théologien contemporain, Jean-Michel Garrigues, développe cette idée. Se fondant sur cette phrase de Thomas d’Aquin « Dieu n’a pas idée du mal » et sur plusieurs versets comme : Tes yeux sont trop purs pour voir le mal (Habakuk 1 : 12) ou : Dis-nous qui t’a frappé (Luc 22 : 63), il explique que Dieu ne peut pas « dire » le mal car il ne le conçoit pas, il ne peut qu’en assumer les conséquences.

Il ne peut ni le prévoir ni même le voir, car il est étranger ontologiquement (c’est-à-dire dans son être) au mal. Il n’a absolument rien à voir avec lui. Dieu ne permet pas le mal, il permet la liberté humaine qui peut poser un acte mauvais.

Son ouvrage est émouvant, mais J.M. Garrigues a de la difficulté à expliquer que Dieu avait prévu que Christ serait l’Agneau prédestiné avant la fondation du monde à nous racheter.

Cette deuxième école de pensée a des points forts (l’importance de la liberté humaine, le fait que Dieu n’est jamais l’auteur du mal). Mais elle n’explique pas le mal, et la Bible n’enseigne pas que la possibilité de celui-ci était la rançon inéluctable de la création d’êtres libres.

On peut se demander aussi, étant donné que le Dieu tout-puissant maîtrise les choix humains, pourquoi il permet que ceux-ci soient mauvais.

C. La solution par la dialectique

Pour Hegel, la dialectique est la marche de la pensée reconnaissant le caractère inséparable des propositions contradictoires (thèse et anti‑thèse) que l’on peut unir dans une catégorie supérieure (synthèse).

Les dialecticiens ont deux pensées principales :

  • Le mal (néant ou non être) est présent dès l’origine du monde.
  • L’affrontement qu’il implique joue un rôle positif : il y a fécondité du négatif.

L’accent est mis sur le dynamisme qui naît de la contradiction intériorisée. Le précurseur, Jacob Boehme, réalisa un jour que « la lumière ne vit que par l’opposition des ténèbres ».

Le théologien Paul Tillich suit ses traces. Pour lui, le négatif est justifié par le bien que sa présence provoque, le mal travaille pour l’affirmation de la vie. Tillich appelle au « courage d’être » en dépit de l’absurde et de la mort.

Citons aussi Karl Barth pour qui il fallait le mal pour que règne la grâce.

Certes, les dialecticiens ont raison de rappeler que Dieu sait utiliser l’œuvre des méchants à ses desseins, la faire servir au bien, surtout la crucifixion de Jésus-Christ. Mais leur théorie n’est qu’une pseudo-solution. Seule la Bible nous parle avec justesse du problème du scandale du mal (voir l’article : que dit la Bible du  mal ?).