2. Le pardon, une porte ouverte sur l’avenir

Ce bon usage de la mémoire conduit parfois au pardon. En redonnant ses droits à la vie, cette démarche est libératrice non seulement pour la personne pardonnée, mais peut-être plus encore pour celle qui pardonne.

Ainsi, « le pardon est plus un acte qui invente un avenir qu’un acte qui efface le passé ». Inversement, entretenir un sentiment de rancune, voire de vengeance est néfaste pour l’individu. Comme le dit un proverbe chinois : « Celui qui poursuit la vengeance devrait creuser deux tombes. »

C’est précisément la leçon qu’a apprise Jean-Paul Kauffmann, otage au Liban, qui a pardonné à ses geôliers, à la grande surprise de ses proches : « Honnêtement, je n’ai eu aucun mal à pardonner à mes ravisseurs, l’esprit de vengeance m’est très vite apparu comme une seconde souffrance, il empoisonne l’existence. »

Des psychothérapeutes ont d’ailleurs constaté que des personnes qui pardonnent voient diminuer sensiblement en eux la colère, la dépression et l’anxiété. Les réflexions de Donald Hope sont intéressantes à cet égard. Ce praticien estime que les thérapeutes talentueux invitent implicitement leurs patients à pardonner lorsqu’ils leur suggèrent d’accepter les blessures du passé. De plus, par l’attitude d’acceptation et de valorisation qu’ils manifestent eux-mêmes envers leurs clients, en dépit des défauts évidents de ces derniers, ils constituent involontairement un modèle d’acceptation et de pardon. Ainsi, selon cet auteur, « le processus du pardon est une partie clé du processus de guérison psychologique, mais est rarement reconnu comme tel. »

Un autre psychologue, Robert D. Enright, est allé plus loin encore, en utilisant explicitement le pardon comme outil thérapeutique, à travers une série d’étapes. Grâce à l’aide d’une jeune thérapeute, Suzanne R. Freedman, il a pu obtenir des résultats impressionnants avec des femmes victimes d’inceste.

À titre d’illustration, Robert D. Enright et Suzanne R. Freedman décrivent le cas de Nicole, une femme divorcée de 51 ans. Au premier entretien, celle-ci signale qu’elle souffre d’anxiété, d’attaques de panique, de dépression et de faible estime de soi. Elle éprouve un fort ressentiment envers son père et pense que cela durera toujours. Mais, au cours du processus, elle cherche à mieux connaître l’enfance de son père et apprend ainsi par son oncle qu’il a vécu une enfance particulièrement malheureuse. Elle met alors à l’actif de son père le fait qu’il ait arrêté de boire et qu’il n’ait pas maltraité ses enfants.

À ce moment, elle a pardonné intellectuellement, mais non émotionnellement. Elle écrit alors à son père, et l’échange de courrier lui fait découvrir la « vulnérabilité » de cet homme et même son « côté très doux et attentionné ». « Aujourd’hui, affirme-t-elle, je peux dire que j’aime vraiment mon père. Même si j’aurai toujours du chagrin de ne pas avoir eu le père dont je rêvais, je peux maintenant ressentir des sentiments positifs envers lui et accepter ce qu’il me donne. » Le père de Nicole est mort quelques mois après qu’elle ait fini sa « thérapie par le pardon ». Pendant la maladie qui l’a précédée, Nicole a pu être auprès de lui, lui faire la lecture et le nourrir. Elle s’est alors sentie plus proche de lui que jamais auparavant.