2. La recherche thématique

A. Présentation

Jusque là, nous nous sommes demandés comment actualiser un passage. Or cette approche principielle est également utilisable pour réfléchir sur une thématique précise, pour déterminer ce que la Bible pense d’un sujet. Par exemple que dit la Bible sur l’euthanasie, l’éducation, la contraception, le mariage ou le divorce ? Surtout que, comme l’explique le théologien Bonhoeffer, «nous succombons sous une masse de questions éthiques concrètes et réelles, telle que l’histoire occidentale n’en a jamais connu.»

La démarche sera la suivante :

  • Rassembler les textes sur le thème étudié

Bien entendu, il est des sujets qui ne sont même pas mentionnés dans la Bible comme «télévision» ou «boursicoter». Mais on s’efforcera de regrouper des textes ayant un rapport avec la problématique plus large à laquelle appartient ce sujet : pour les opérations en bourse, on s’intéressera à ce que la Bible dit de l’argent ou de la valeur du travail. Ou encore, pour les accidents de la route et la prévention routière, la réflexion se ramène en fait à la question de la responsabilité envers autrui. Et sur ce sujet, la Bible a un certain nombre de choses à dire comme le fait de ne pas prendre la vie d’un autre, tout en faisant la distinction entre un acte volontaire ou accidentel. Et si vraiment aucun texte ne semble traiter d’un problème, l’ensemble du témoignage biblique, compris dans son dynamisme d’ensemble, ne manquera pas d’aider à définir une orientation féconde.

Il est intéressant de choisir, si possible, des textes appartenant à différents genres littéraires : un récit, un psaume, une loi, un enseignement didactique, afin d’avoir une vue plus globale de la manière dont la question est abordée.

  • Comprendre chaque texte sélectionné en utilisant les différents outils présentés : analyse littéraire, étude des mots, prise en compte du contexte socio-culturel, analogie des Ecritures.
  • Rechercher le principe de chaque texte : soit dans le texte, soit dans son contexte.
  • Ordonner les résultats pour déterminer un principe général, synthèse de tous les autres. Pour permettre cet ordonnancement, voici un rappel de plusieurs règles. Tout d’abord, le lecteur privilégiera le principe le plus clair, les passages où le principe a été le plus évident. Il accordera aussi sa préférence à ce qui est répété au fil des textes et ce qui est enseigné directement, de façon didactique plutôt que par un récit ou un psaume. Enfin, il choisira ce qui est révélé le plus tardivement, avec l’éclairage du Christ.
  • Trouver l’actualisation

Dans la réflexion sur une thématique, une fois le principe étudié, son actualisation se trouvera en fonction des critères déjà évoqués : la motivation, la situation et les conséquences.

La tentation consisterait, au moment d’étudier un thème, à chercher à tout prix un texte qui s’y rapporte parfaitement et dit tout ce qu’il faut savoir à ce sujet ! Cela n’existe que très peu pour les questions d’actualité qui nous intéressent. Cela signifie qu’on ne peut faire l’économie de la réflexion. Cela signifie aussi qu’on ne doit pas prétendre trancher une question au nom de la Bible en deux mouvements. On envisagera d’abord l’ensemble des textes abordant le sujet, et pas seulement ceux qui le traitent directement.

B. Un exemple : la lecture de la Bible en famille

Voilà un sujet dont aucun verset ne parle directement ! D’après certains, la lecture de la Bible en famille est non seulement bonne, mais elle se justifie bibliquement, et même, avec le «culte de famille», elle serait la forme du culte la plus ancienne. La lecture de la Bible en famille est-elle une pratique conseillée ou ordonnée par la Bible ? Que disent les textes bibliques de la responsabilité spirituelle des parents ? Comment éduquer ses enfants dans ce domaine ? Le débat n’est pas de savoir si une lecture en famille est profitable ou non, ou si je l’ai moi-même appréciée ou détestée, mais seulement de se demander qu’en dit la Bible. Suivons la démarche indiquée plus haut.

1. Rassembler les textes sur le thème

Pour se faire une idée sur la question, voici une liste, non exhaustive, de textes provenant de différents genres littéraires :

  • Quelques écrits didactiques :
    • Ephésiens 6,4 : «Vous parents, n’exaspérez pas vos enfants mais élevez-les en les éduquant et en les conseillant d’une manière conforme à la volonté du Seigneur».
    • 1 Thessaloniciens 2,11 : «Nous avons agi à l’égard de chacun de vous comme un père avec ses enfants : nous n’avons cessé de vous inviter, de vous encourager et de vous inciter à vivre d’une manière digne de Dieu qui vous appelle à son Royaume».
  • Quelques écrits poétiques :
    • Deutéronome 32,7 : «Interrogez vos pères et ils vous diront» (par rapport à la fidélité de Dieu).
    • Psaume 78,3-8 : «Ce que nous savons, ce que nos pères nous ont raconté, nous ne le cacherons point à leurs enfants ; Nous dirons à la génération future les louanges de l’Eternel, (..) afin que la génération suivante puisse l’apprendre et l’enseigner à son tour afin qu’ils placent leur confiance en Dieu».
  • Quelques textes législatifs
    • Deutéronome 6,7 : «Garde les commandements du Seigneur ; tu les inculqueras à tes enfants et tu en parleras chez toi dans ta maison et quand tu marcheras sur la route, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras».
    • Deutéronome 6,20 : «Lorsque vos fils vous interrogeront sur le pourquoi de l’observance des commandements vous leur expliquerez…»
    • Exode 13,8 sur le jour de la fête des pains sans levain : «En ce jour-là vous expliquerez à vos enfants la signification de cette fête à vos enfants. Que l’Eternel soit l’objet de vos conversations».
  • Quelques récits
    • Job 1,5 : Job fait venir ses enfants, déjà adultes, afin d’accomplir pour eux les rites de purification.
    • Luc 2,46ss : Jésus discute avec les maîtres au Temple ; il avait reçu une éducation spirituelle et participait à la vie religieuse de sa communauté.
    • 2 Timothée 1,5 ou 3,15 : Paul mentionne la foi qui habita la mère et la grand-mère de Timothée et le fait qu’il connaît les Ecritures depuis son enfance.
    • Actes 16,33 : la conversion du geôlier et de sa famille.

Citons également des récits montrant des contre-exemples : Elie et ses fils (1 Samuel 2,12-36), les fils de Samuel (1 Samuel 8,1-5), Absalom, fils de David qui viole sa sœur Tamar (2 Samuel 13)…

2. Comprendre chaque texte sélectionné en utilisant les différents outils présentés.

Il serait trop long ici de présenter une exégèse détaillée de chacun de ces textes. Mentionnons toutefois un des éléments culturels et théologiques qu’une étude sérieuse devrait avoir mis en valeur : il y avait un amalgame dans l’Israël ancien entre racine identitaire et foi, histoire des ancêtres et témoignage de foi. Parler de l’histoire des ancêtres, c’était parler de Dieu ! De plus, rappelons la place centrale de la famille dans la vie de l’Israël ancien comme il a été montré au chapitre 6. Pour cette thématique, l’écart entre le rôle de la famille dans l’Ancien et le Nouveau Testament sera bien noté. Dans ce sens, on notera que la famille joue un rôle moins important dans la nouvelle alliance et que l’Eglise semble même prendre sa place dans certains textes.

3. Rechercher le principe de chaque texte, selon l’approche principielle

Sans exposer le principe de chaque texte, on relève toutefois plusieurs constantes. Tout d’abord, personne n’a aucune garantie par rapport aux résultats de la transmission de la foi. Ceci est illustré notamment par les récits de contre-exemples. D’ailleurs, plusieurs textes dans la Bible soulignent la responsabilité individuelle de la décision d’appartenir au Christ. La foi ne s’hérite pas, elle ne se déclenche pas automatiquement ! En outre, l’environnement familial ou ecclésial peut favoriser l’éclosion de la foi. Le rôle essentiel des parents, comme celui de l’Eglise, dans la transmission de la foi est souligné en plusieurs occasions. Ce que montrent aussi ces textes, c’est que les moyens utilisés pour cette instruction par les parents ou l’Eglise sont très variés : dialogue et questionnement, témoignage, pédagogie du récit-souvenir, importance du symbolique, participation aux rites… autant de moyens diversifiés, concrets et interactifs. La lecture de la Bible en famille n’est qu’un de ces moyens, en aucun cas elle n’apparaît pas comme une obligation biblique.

4. Ordonner les résultats pour déterminer un principe général

Quel bilan faire de tous ces textes ? Le principe commun semble bien pointer vers le fait que la famille et l’Eglise sont des lieux de transmission de la foi où les enfants apprennent à vivre dans la présence de Dieu grâce à des moyens très variés.

Principe : Transmettre la foi par des moyens variés, concrets et interactifs

L’étude des textes par l’approche principielle nous a montré que la thématique de la lecture de la Bible en famille s’inscrit dans une réflexion beaucoup plus large de la transmission de la foi. De nombreux textes soulignent d’autres vecteurs possibles pour cette transmission de la foi. A côté de ceux déjà mentionnés, citons celui de l’exemple de la vie des parents et la nécessaire cohérence entre engagement de vie et croyances. Il s’agit d’être spirituellement naturel et naturellement spirituel.

5. Trouver l’actualisation

Bien entendu, l’application de ce principe dépend de chaque famille ou chaque église. Voici seulement quelques propositions allant dans la continuité des moyens découverts au fil des textes bibliques : raconter plus souvent des histoires de héros contemporains de la foi pour utiliser les vertus du récit dans la transmission de la foi ; avoir davantage recours à la transmission de la foi par le rite en encourageant par exemple les fêtes anniversaires de dates d’événements spirituels importants, qu’ils soient personnels (jour de baptême…) ou historique (40 ans du discours de Martin Luther King…) ; multiplier les gestes symboliques lors des grandes fêtes pour mieux transmettre leur message, comme allumer les bougies de l’Avent ; profiter du moment où l’on regarde les informations en famille pour discuter avec ses enfants ; etc.

La réflexion sur une thématique grâce à la méthode principielle permet de renouveler nos conceptions ou traditions, parfois éloignées de ce que les textes disent vraiment.