1. Mise en pratique

A. Le bœuf muselé (1 Corinthiens 9)

Voyons comment ce processus principiel est utilisé par Paul. Il cite un texte de l’Ancien Testament, une loi de Deutéronome 25,4 disant : «Tu ne muselleras pas le bœuf quand il foule le blé». De cette loi, qu’il comprend dans son contexte tant culturel que linguistique, il dégage un principe : celui qui travaille doit jouir du fruit de son travail. Il faut donc, comprend-il, développer une attitude de générosité, de reconnaissance et de don gracieux envers ceux et celles qui travaillent dur. C’est ce qu’il exprime au verset 14 : «Le Seigneur a ordonné à ceux qui annoncent l’Evangile de vivre de l’Evangile.»

Ce principe est confirmé par les autres paroles de Paul dans ce même passage. Ainsi au verset 10, il explique : «Celui qui foule le grain doit avoir l’espoir de recevoir sa part» et au verset 13 : «Ne savez-vous pas que ceux qui assurent le service du temple sont nourris par le temple ?» Puis, après avoir énoncé ce principe, Paul donne l’application au verset 11 : «Si nous avons semé pour vos biens spirituels, serait-il excessif de récolter vos biens matériels», c’est-à-dire que le prédicateur mérite salaire, de même que le bœuf ne devait pas être muselé pour être nourri. Il applique ce principe à la situation des Corinthiens en leur demandant de payer ceux qui exercent le ministère de la Parole auprès d’eux.

En résumé, voici les différentes phases de l’approche principielle pour ce texte :

Comprendre le texte : Paul comprend la loi du bœuf dans son contexte, ce qu’elle signifie. On remarque, par analogie, qu’il exprime cette même idée par ailleurs.

Principe : L’ouvrier mérite salaire. L’ensemble du texte, de l’argumentation montre que la thématique est du domaine des moyens de subsistance («le manger et le boire») et pas d’ordre figuré. De plus, Paul parle bien précisément de ceux qui œuvrent au sein de l’Eglise. Il faut donc préciser encore davantage ce principe : l’ouvrier qui travaille pour l’Eglise mérite un salaire financier.

Actualisation pour l’église de Corinthe : Les Corinthiens doivent financer ceux qui leur prêchent l’Evangile.

Dans le raisonnement rapide de l’apôtre, les étapes intermédiaires du processus d’actualisation ne sont pas livrées et le résultat est directement exposé. La démarche de Paul dans les exemples cités est d’obtenir d’une ordonnance spécifique de Moïse un principe éthique plus général, puis de lui trouver une application contemporaine. Ceci montre que lorsque Paul s’inspire de la Torah, il le fait avec une liberté pleine d’audace. Cette liberté se fonde sur une vérité essentielle : il faut passer de la lettre à l’esprit, c’est-à-dire avoir une intelligence de la loi qui dépasse la lettre des préceptes pour en retenir seulement la signification profonde.

Maintenant que nous avons vu la démarche de Paul, nous devons mener à terme ce processus principiel en le faisant déboucher sur une actualisation pour notre contexte, notre société, selon les critères développés au chapitre précédent.

Actualisation pour aujourd’hui : payer correctement ceux et celles qui exercent des ministères pour l’Eglise, non seulement les docteurs mais aussi les autres ministères (relation d’aide, enseignement…) ; ne pas imposer le bénévolat à quelqu’un qui a besoin d’un revenu pour vivre (moniteur dans les colonies, plombier chrétien qui refait le système de chauffage de l’église), etc.

Prenons d’autres exemples de ce processus principiel, sans toutefois vouloir être exhaustif sur chaque texte cité en exemple.

B. La balustrade de la maison (Deutéronome 22,8)

Comment actualiser ce passage du Deutéronome : «Si tu construis une nouvelle maison, tu installeras une balustrade autour de ton toit en terrasse pour que tu ne sois pas responsable de la mort de quelqu’un qui tomberait du toit».

Comprendre le texte : tout d’abord, le lecteur cherchera à comprendre ce que dit vraiment cette loi, sur quelle réalité culturelle elle repose. En l’occurrence ici, il s’intéressera à l’étude de l’architecture des maisons où il apprendra entre autre l’importance des toits-terrasses et de la vie en plein air dans ces régions.

Le principe : «agir de façon responsable pour la sécurité d’autrui dans notre sphère privée». Comme nous l’avons vu, plutôt que de formuler le principe sous forme de négation, qui pointerait uniquement vers des interdits, ici le principe, formulé positivement, incite à une grande créativité. De plus, il faut être précis dans l’énonciation du principe. C’est pourquoi le principe n’est pas seulement «agir de façon responsable» mais le lieu est précisé : «dans notre sphère privée». Précisons bien entendu, que si on doit veiller à la sécurité physique du prochain, à combien plus forte raison il faut faire attention à sa sécurité psychologique et spirituelle.

L’application : Rappelons qu’elle dépend du contexte propre ! Nous ne pouvons faire que des suggestions d’actualisations. Actualiser ce principe correspondra à mettre une clôture autour de sa piscine pour empêcher les enfants des amis ou des voisins d’y tomber ; ranger dans un placard inaccessible les produits toxiques ; sur un plan concernant la sécurité émotionnelle, l’actualisation consistera pour des parents à fermer leur porte quand ils ont des relations intimes, ou encore pour une femme, à s’éloigner d’un mari et père violent pour protéger sa sécurité et celle des enfants. Le fait d’avoir énoncé un principe assez précis mais pas exhaustif non plus, permet des actualisations variées au sein d’un même cadre délimité par le principe.

C. Un Dieu d’ordre (1 Corinthiens 14)

Comment actualiser ce paragraphe de Paul sur la discipline ecclésiale et les dons spirituels de 1 Corinthiens 14 ?

Comprendre le texte : Seule l’exégèse de ce passage difficile nous permettra de comprendre de quoi il s’agit. Notons par exemple que l’interprétation du verbe laleô, parler (v.34) doit prendre en compte ce que Paul dit par ailleurs en 1 Corinthiens 11,5 où il évoque la femme qui prophétise pendant le culte. On devra donc s’orienter vers un des sens de laleô qui est «bavarder». Du coup, ce sur quoi porte l’interdit de Paul en 1 Corinthiens 14 est le bavardage intempestif et non la simple prise de parole. Il ne s’agit donc pas d’un impératif de «silence» complet mais d’un appel au calme.

Le principe : Paul indique lui-même le principe de son argumentation dans un verset du contexte : «Que tout se fasse convenablement et dans l’ordre». Comme nous l’avons mentionné, il faut être le plus spécifique possible dans notre généralisation. Nous préciserons donc ici : «Que tout se fasse convenablement et dans l’ordre dans votre vie d’église».

Applications de Paul : De ce principe, Paul retire trois actualisations pour les Corinthiens : que les femmes ne bavardent pas pendant le culte ; qu’il y ait interprétation à chaque fois que quelqu’un prophétise ; que l’on prie l’un après l’autre.

Application contemporaine : Elle dépend évidemment du type d’église pour lesquelles on cherche l’actualisation. A titre de suggestions, l’actualisation de ce principe pourrait être : se lever pour prier fort afin de s’entendre les uns les autres ; créer pour les parents avec de jeunes enfants un espace garderie dans une pièce insonorisée, avec un écran de télévision retransmettant ce qui se passe dans la salle principale ; expliquer au fil du culte ce qui va se passer pour que chacun, même nouveau-venu, comprenne ce qui se passe et participe de façon opportune ; etc.