1. L’interprétation allégorique

A. Présentation

Cette lecture du texte consiste à voir tel passage biblique comme une allégorie, c’est-à-dire une métaphore, une comparaison dans laquelle chaque détail a une signification spirituelle, une image porteuse de vérité à décrypter. C’est un procédé que l’on retrouve dans la Bible. Par exemple, Paul décrit le chrétien comme un coureur qui s’entraîne et en déduit des vérités spirituelles pour les lecteurs de son épître. Jésus lui, utilise l’allégorie lorsqu’il se présente comme le berger (Jean 10) ou la vigne (Jean 15).

Dans l’allégorie, l’histoire apparente du texte est secondaire, elle n’est qu’un moyen d’exprimer une idée forte sous la forme d’une image qu’il faut interpréter. Le chrétien utilise souvent sans le savoir, l’allégorisation. C’est le cas lorsqu’il lit un texte, surtout un récit et qu’il essaie d’établir une comparaison spiritualisante avec sa situation. Par exemple le lecteur se penche sur le récit de la résurrection de Lazare et y voit une image de ses propres libérations possibles: quand Jésus ordonne qu’on enlève les bandelettes au mort ressuscité, le chrétien y voit lui la possibilité d’être délié de toute entrave spirituelle.

L’idée sous-jacente de cette approche est que Dieu aurait enveloppé, dans des paroles ou des histoires ordinaires, des vérités spirituelles. Les textes bibliques forment une sorte de revêtement et de voile qu’il faut écarter pour découvrir la réalité. Les passages de l’Ecriture auraient un sens figuré. Ainsi, selon la lecture allégorique, par certains Pères de l’Eglise, de l’histoire d’Hérode qui a massacré les enfants en dessous de deux ans et qui a laissé vivre ceux de trois ans, cela signifierait que ceux qui croient en la trinité seront sauvés. Ou encore, la loi sur la prisonnière de guerre qui doit suivre un rituel de purification avant de pouvoir être épousée par un Israélite a été, pour de nombreux Pères de l’Eglise, une image, une allégorie de l’acquisition du savoir: il est possible d’utiliser les textes et les idées des auteurs profanes mais seulement après les avoir «purifiés». (Deutéronome 21,10-14) Ou encore, Luther discerne l’Ancien et le Nouveau Testament dans les deux ailes de la poule à laquelle Jésus fait allusion en Matthieu 23,37.

Cette façon allégorique d’interpréter les textes domina largement l’exégèse pendant plusieurs siècles; notamment, elle fut la façon la plus courante d’interpréter les paraboles jusqu’à la fin du 19ème siècle. Elle fut développée par les rabbins des premiers siècles de notre ère, les Pères de l’Eglise, par des théologiens du Moyen-Age et même de temps en temps par les Réformateurs qui pourtant la critiquèrent vivement. Pour ne citer que quelques noms, ce sont Clément d’Alexandrie et surtout Origène, influencés par Philon, qui donnèrent ses lettres de noblesse à l’allégorisation.

A noter que l’exégèse, c’est l’enquête sur le sens d’un texte, l’étude détaillée d’un passage à l’aide d’outils linguistiques, culturels, théologiques… Le verbe dont est dérivé le terme exégèse est utilisé dans le prologue de Jean (1,18) au sujet de Jésus: « Personne n’a jamais vu Dieu mais le Fils unique qui est Dieu et demeure auprès du Père l’a fait connaître», c’est-à-dire l’a révélé, l’a dévoilé.

Il existe un lien entre l’exégèse et l’herméneutique, cet autre terme théologique déjà abordé au chapitre 1. L’exégèse se distingue de l’herméneutique de la même façon que le code de la route se distingue de la circulation réelle: l’herméneutique comprend les règles de l’interprétation, elle est la théorie des méthodes, le code de la route; l’exégèse, elle, désigne l’interprétation elle-même, l’application de ces règles, la conduite sur la route.

B. Les points forts de cette lecture

Les auteurs bibliques utilisèrent cette approche car elle leur permettait d’illustrer des vérités spirituelles complexes à partir de récits assez simples. De plus, grâce à l’allégorie, l’identification avec les héros des récits que je lis est assez facile. Du coup, l’avantage de cette lecture, consiste en ce que, guidé par mes besoins et mon inspiration, je trouve assez facilement une application pratique au texte. Cela permet de trouver assez vite un sens aux passages qui à première vue n’ont pas grand chose à voir avec mon quotidien.

C. Les faiblesses de cet outil

Le principal défaut de cet outil est la subjectivité sur laquelle il s’appuie. Sous prétexte d’y discerner un sens plus spirituel, on peut faire dire au texte ce qu’on veut. Cela amène à trouver un sens bien souvent éloigné, voire contraire, à ce que son auteur a voulu dire. C’est en partie à cause de l’interprétation allégorique que s’est développée l’idée qu’il est possible de trouver une réponse dans la Bible au moindre problème de chaque personne.

Avec cette approche, le sens premier et historique, naturel du texte est oublié. A l’extrême, il serait possible, à partir de quasiment n’importe quel texte ou récit, d’y discerner le même message!

Il est peut-être regrettable que trop fréquemment certaines prédications soient fortement imprégnées d’allégorismes. Au lieu d’écouter le texte en lui-même, on lui colle un sens souvent déjà prédéterminé, pour lui faire dire une vérité «spirituelle». Certes, cette vérité peut être juste, mais elle n’émane pas directement de ce texte. Pourquoi alors ne pas s’appuyer sur un texte qui en parle plus directement? Chaque texte a pourtant sa spécificité, pourquoi ne pas la discerner? Le plus souvent, ce n’est plus alors le texte biblique en lui-même qui est écouté mais l’interprétation allégorique proposée.

De plus, le recours à l’allégorisation risque de se faire davantage pour des raisons «rhétoriques»: le prédicateur, grâce à une allégorisation à outrance parvient à faire dire quelque chose de «nouveau» à un texte déjà bien connu. La nouveauté soi-disant exégétique est alors davantage recherchée que la vérité du texte.

Cette méthode ne respecte guère l’historicité du texte. Or les auteurs bibliques ont conscience d’appartenir à une histoire qui se déroule, avec un commencement et une fin, un ici et maintenant où Dieu intervient chaque fois de manière différente pour la mener à son terme. La lecture allégorique évacue regrettablement le caractère progressif de la révélation biblique. Cette approche à tendance à détacher telle histoire de son contexte, de sa place dans la révélation du salut. Elle apparaît arbitraire et subjective quand elle devient la seule façon de voir le texte.

Prenons comme exemple de dérive possible de cette approche la lecture allégorique que certains commentaires font d’un récit bien connu: la prise de Jéricho. La chute des murailles de cette ville fortifiée représente les victoires dans la vie chrétienne. Les trompettes qui retentissent, sonnées par les sacrificateurs, représentent l’annonce de l’Evangile par les pasteurs. Josué ordonne au peuple de se taire pendant l’encerclement de la ville: «Vous ne crierez point, vous ne ferez point entendre votre voix, et il ne sortira pas un mot de votre bouche» (Josué 6,10). De même, les simples fidèles ne doivent pas eux-mêmes faire entendre leur différence et doivent garder le silence face à leurs responsables spirituels, leur témoignage se limitant à leur comportement, sans aucune parole.

Cette façon de lire ne correspond pas au sens du texte, elle lui colle un message qui ne résiste à aucune vérification sérieuse. En réalité, la seule limite dans cette approche est celle de la créativité ou de l’imagination du lecteur ou du commentateur! L’exégèse risque de sombrer dans la fantaisie, le caprice d’une imagination trop fertile ce qui risque d’introduire bien des doctrines ou décisions éthiques problématiques. Les interprétations allégoriques sont susceptibles de nous nourrir, à titre d’exemple, mais ne peuvent être présentées comme vérité biblique, dogme, point de doctrine, fondement de croyance.

Cette lecture fait certes du bien mais ne saurait prétendre avoir le label d’autorité des Ecritures… en dehors des cas où elle est clairement employée par les auteurs bibliques. Le bien ressenti par telle façon de lire le texte n’est pas un critère d’authenticité de cette lecture.

Un critère d’évaluation face aux dérives possibles

Comment savoir quand il est possible de tirer un sens allégorique d’un récit, d’un texte? Il n’y a d’allégorie, de sens spirituel caché à découvrir à un texte, que s’il est attesté et indiqué par ailleurs, par le Christ ou par les auteurs bibliques. Lorsque ce n’est pas le cas, lorsqu’une telle signification n’est pas indiquée, notre attitude est de chercher le sens que l’auteur a voulu donner à son texte. Il faut alors chercher d’abord le sens premier, historique et non y chercher un sens caché. Les risques de dérapages sont trop grands.