1. « Eux », les parents

 

L’exemple de la maman d’Isabelle montre à quel point ces parents sont en souffrance dans leur fonction parentale. On dit tellement de choses sur les parents de ces enfants là. On dit que c’est parce que l’enfant imaginaire est trop différent de l’enfant réel que ces parents là n’acceptent pas leurs enfants, mais comment peut-on accepter un enfant comme ça ? Bien sûr on l’accepte, parce que c’est le sien, mais je ne suis pas certaine qu’il soit facile de s’aimer soi, quand on a donné la vie à un enfant pas comme les autres. Bien sûr on continue à vivre, on fait des choses, on fait même beaucoup de choses, mais ce ne sera plus jamais comme avant. Personne n’est préparé à assumer la venue d’un enfant handicapé. Et s’aimer avec cet enfant là, même si faire des choses pour lui ça rassure, c’est quand même vivre avec une partie de soi qui est cassée, abîmée à tout jamais.

Un enfant, c’est le garant que la vie continue, c’est le garant que l’on est capable de donner la vie. Et là c’est presque le contraire. On parle toujours de l’enfant imaginaire, mais on parle moins du parent imaginaire. Quand on met un enfant au monde, on s’imagine un tas de choses en particulier sur ce qu’on va pouvoir lui donner. On ne sera pas avec lui comme nos parents ont été avec nous… Et là, tout s’effondre. Avec un enfant comme ça, il faut tout réinventer, ce qui est sûrement possible, mais très difficile.

En principe les progrès de la génétique devraient déculpabiliser. Les parents d’enfants autistes, savent maintenant qu’ils n’ont pas rendu leurs enfants comme ça. Ils savent que les descriptions données par Kanner, Bettelheim ou Mannoni ne correspondent pas à ce qu’ils sont. Ils ne veulent plus être « culpabilisés » par la psychanalyse qu’ils rejettent du coup en bloc, ce qui est bien dommage. N’empêche que leur enfant n’est pas comme les autres. Ils ont fabriqué ce enfant là et à leur corps défendant ils lui ont donné quelque chose, un gène, une fragilité qu’il n’aurait pas dû avoir. D’un côté ça déculpabilise, d’un autre ça ne change rien. On n’a pas rendu son enfant comme ça, parce qu’on n’a pas su l’élever, mais n’empêche qu’il est comme ça et qu’il ne sera jamais comme les autres.

Les mères d’enfants myopathes savent bien que c’est génétique, que c’est la faute à pas de chance. Ces mères sont en souffrance dans sa fonction parentale qui est de transmettre la vie et non la mort. Et cette culpabilité augmente encore, quand leur fils devenu un adolescent complètement dépendant, les appellera dix à quinze fois par nuit, parce qu’il ne peut rien faire par lui même. Alors naîtront des désirs qui n’ont pas le droit de se dire, parce qu’on voudrait que ça s’arrête et qu’on n’a pas le droit de désirer la mort de son enfant.

Elisabeth Kubler Ross a parlé des réactions – toujours les mêmes – de ceux qui apprenaient qu’ils étaient atteints d’une maladie incurable. Ces parents-là, sont atteints dans leurs enfants d’une maladie incurable et ils n’est pas étonnant de trouver du déni qui va parfois très loin, de la révolte, de la dépression.

C’est grâce à la maman d’Isabelle que j’ai pu comprendre à quel point il est difficile d’être parent d’enfant pas comme les autres. Quand on reste en souffrance dans sa fonction parentale il y a de quoi être en colère, de quoi être déprimée en profondeur.